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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/285

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THÉRÈSE (SAINTE)

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perfection, Thérèse recommande instamment à ses filles d’avoir celle crainte dans le cœur. Le « moyen de vivre sans trop d’alarme » au milieu du combat, « c’est, dit-elle, l’amour et la crainte. L’amour nous fera hâter notre marche, la crainte nous fera regarder où nous posons le pied, afin d’éviter les chutes ». C. xl, t. ii, p. 288. « La crainte doit toujours avoir le premier pas. » G. xli, p. 300. Vers la fin de sa vie, alors qu’elle était élevée au mariage spirituel depuis plusieurs années, elle parle encore de la crainte. Lorsqu’on songe, dit-elle, « à certains personnages que l’Écriture mentionne comme ayant été favorisés de Dieu, un Salomon, par exemple, qui a eu tant de communications » avec Dieu, on ne peut « s’empêcher de craindre. Ainsi, mes sœurs, que celle d’entre vous qui se figurerait être le plus en sûreté, soit celle qui craigne davantage ». Château intérieur, 7e dem., c. iv, t. vi, p. 305-306. Cette crainte était aussi motivée par la période d’infidélité qui suivit sa grande maladie. Elle était religieuse, dans le monastère de l’Incarnation, depuis plusieurs années et cependant elle fut en grand danger d’offenser Dieu. Vie, c. vu. Même dans la vie religieuse la sécurité n’est pas complète : « Quant à la sécurité, n’y comptons pas en cette vie, disait Thérèse à ses sœurs ; elle nous serait même très dangereuse. » Chem. de la perf., c. xli, t. v, p. 301.

La maladie du début.

Quelle est la nature de la

maladie dont souffrit Thérèse au début de sa vie religieuse ? — Pour essayer de la caractériser il faut tout d’abord en examiner les causes et ensuite la décrire d’après les témoignages de la sainte.

Les circonstances qui précédèrent l’entrée de Thérèse au carmel de l’Incarnation, à Avila, semblent avoir été une épreuve pour sa santé. La précipitation avec laquelle son père, inquiet de la « vie frivole » de sa fille, décida de l’envoyer comme pensionnaire au couvent des augustines d’Avila l’impressionna. Elle lui fit craindre d’avoir nui à sa réputation : « Les huit premiers jours, dit-elle, me furent très pénibles, beaucoup moins par l’ennui de me trouver dans cette maison, que par la crainte de voir ma vaine conduite mise au grand jour. » Vie, c. ii, p. 56. Lorsque la pensée d’être religieuse s’empara de son âme, ce fut durant trois mois un rude combat, qui altéra ses forces physiques, entre son « aversion pour l’état religieux » et les aspirations à cet état qui naissaient en elle. Quoique décidée à faire la volonté de Dieu, « pourtant, dit-elle, je redoutais encore la vocation religieuse et j’eusse bien désiré que Dieu ne me la donnât point ». Vie, c. iii, p. 59. Durant cette lutte intérieure elle avait été « saisie de grandes défaillances, accompagnées de fièvres ». Car sa santé « laissait toujours beaucoup à désirer ». Ibid., p. 62.

La décision prise d’entrer dans la vie religieuse fut exécutée par Thérèse avec une énergie et une fermeté d’âme peu ordinaires. Mais la violence qu’elle dut se faire ne laissa pas d’avoir de profondes répercussions sur son être physique. Elle partit malgré son père opposé à sa vocation : « Quand je quittai la maison de mon père, écrit-elle, j’éprouvai une douleur si excessive, que l’heure de ma mort ne peut, je pense, m’en réserver de plus cruelle. Il me semblait sentir mes os se détacher les uns des autres. Le sentiment de l’amour divin n’étant pas assez fort pour contrebalancer celui que je portais à mon père et à mes proches, j’étais obligée de me faire une incroyable violence et, si Dieu ne fût venu à mon aide, toutes mes considérations n’auraient pas été suffisantes pour me faire passer outre. Mais en cet instant, il me donna le courage de me vaincre, et je vins à bout de mon entreprise. » Vie, c. iv, p. 66.

Thérèse fut heureuse pendant son noviciat. Elle déclare cependant avoir éprouvé « de grands troubles

pour des choses en elles-mêmes peu importantes ». Vie, c. v, p. 76. Troubles assez fréquents, sans doute, chez les novices. Après sa profession, où elle goûta une « joie si vive », la santé de Thérèse déclina : « Ma santé, dit-elle, souffrit du changement de vie et de nourriture. Mes défaillances augmentèrent, et je fus saisie de douleurs de cœur si aiguës qu’on ne pouvait me voir sans en être effrayé… Telle était la gravité de mon état, que je me voyais continuellement sur le point de perdre connaissance, et parfois je la perdais effectivement. » Vie, c. iv, p. 69. Thérèse, à la demande de son père, s’absenta du monastère pendant un an pour se soigner. Dieu la réconforta dans cette épreuve en lui accordant « l’oraison de quiétude et quelquefois même celle d’union ». Vie, c. iv, p. 72. Elle fut conduite chez la célèbre empirique de Bécédas, qui devait, pensait-on, la guérir facilement. Le traitement dura trois mois et aggrava la maladie au lieu de la faire disparaître. C’est ici le commencement de la grande crise qui se prolongea, avec des intermittences, pendant « près de trois ans ». Vie, c. vi, p. 88. Le récit que fait Thérèse de son entrée dans la vie religieuse et de ses deux premières années au couvent de l’Incarnation, nous laisse supposer qu’une profonde dépression nerveuse s’était produite eu elle.

Elle décrit avec précision ce qu’elle souffrit à Bécédas et après : « Mon séjour en ce lieu, dit-elle, fut de trois mois. J’y endurai d’indicibles souffrances, le traitement qu’on nie fit suivre étant trop violent pour mon tempérament. Au bout de deux mois, à force de remèdes, on m’avait presque ôté la vie. Les douleurs causées par la maladie de cœur dont j’étais allée chercher la guérison étaient devenues beaucoup plus intenses. Il me semblait par moments qu’on m’enfonçait dans le cœur des dents aiguës. On finit par craindre que ce ne fût de la rage. À la faiblesse excessive — car un dégoût extrême me mettait dans l’impossibilité d’avaler autre chose que des liquides — à une fièvre continue, à l’épuisement causé par les médecines que j’avais prises tous les jours durant près d’un mois, vint se joindre un feu intérieur si violent que mes nerfs commencèrent à se contracter, mais avec des douleurs si insupportables, que je ne pouvais trouver de repos ni jour ni nuit. » Ajoutez à cela une tristesse profonde. « Voilà ce que j’avais gagné, lorsque mon père me ramena chez lui. Les médecins me virent de nouveau. Tous me condamnèrent, disant qu’indépendamment des maux que je viens de dire, j’étais atteinte de phtisie. Cet arrêt me laissa indifférente, absorbée que j’étais par le sentiment des souffrances qui me torturaient également des pieds à la tête. De l’aveu des médecins, les douleurs de nerfs sont intolérables et, comme chez moi leur contraction était universelle, j’endurais un cruel martyre. La souffrance, à ce degré d’intensité, ne dura pas plus de trois mois, me semblet-il ; mais on n’aurait jamais cru qu’il fût possible de supporter tant de maux réunis. Aujourd’hui je m’en étonne moi-même, et je regarde comme une grande faveur de Dieu la patience qu’il m’accorda. » Vie, c. v, p. 82-83. « La fête de l’Assomption de Notre-Dame arriva. Mes tortures duraient depuis le mois d’avril, plus intenses cependant les trois derniers mois. Je demandais instamment à me confesser… On crut que ce désir m’était inspiré par la frayeur de la mort, et mon père, pour ne pas m’alarmer, ne voulut pas le satisfaire. …Cette nuit-là même, j’eus une crise qui me laissa sans connaissance pendant près de quatre jours. Je reçus en cet état l’extrême-onction. À chaque heure, à chaque moment, on croyait me voir expirer, et l’on ne cessait de me dire le Credo, comme si j’eusse pu comprendre quelque chose. Parfois même on me crut morte, au point qu’on laissa couler sur mes paupières