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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/336

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THOMAS D’AQUIN : LA VISION BÉATIFIQUE

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La lutte de l’augustinisme contre le thomisme, la seule qui doive être envisagée ici, puisqu’elle prolonge immédiatement l’activité de saint Thomas lui-même, ne se limite pas au problème de la pluralité des formes. Jean Pecham avait au contraire pleine conscience de la généralité de cette opposition, lorsqu’il écrivait, le 1 er janvier 1285, aux cardinaux : cum doctrina duorum ordinum (l’ordre dominicain et l’ordre franciscain) in omnibus dubitabilibus sibi pêne penitus hodie adversetur. Denifle-Chatelain, Charlul., 1. 1, p. 627 ; Laurent, Documenta, p. 638.

La conception même de la théologie était différente. Si Pecham se défend de réprouver l’étude de la philosophie, utile servante de la science sacrée, il condamne par contre les termes nouveaux et insolites qu’on a introduits, depuis vingt ans, sur les cimes de la théologie. Denifle-Chatelain, t. i, p. 634 ; Laurent, p. 645. Dans sa lettre du 1 er janvier précédent, le prélat stigmatisait en termes encore plus sévères la théologie des prêcheurs : ex parte vilipensis sanctorum senientiis, philosophicis dogmatibus quasi totaliter innitatur ut plena sit ydolis dornus Dei. Denifle-Chatelain, t. i, p. 627 ; Laurent, p. 638. En somme, Pecham reprend à son compte les reproches que Grégoire IX adressait jadis au « studium parisiense », dans sa fameuse lettre Ab.Egijptiis du 7 juillet 1228 (cf. Grabmann, I divieti ecclesiastici di Aristoiele soto Innocenzo IIIe Gregorio IX, Rome, 1941, p. 70-88) ; plus encore est-il l’écho de saint Bonaventure dans les invectives que celui-ci adresse, dès le prologue du Brcviloquium, aux novi theologi. Op. omnia, t. v, p. 208 b.

Ce serait fausser étrangement la perspective que de voir dans ces textes la protestation de la « Théologie des Pères », telle qu’on l’entendra au xvie siècle ; cf. R. Guclly, L’évolution des méthodes théologiques à Louvain, dans Rev. d’hist. eccl., t. xxxviii, 1941, p. 128-130. De ce moderne grief, Pecham n’a certainement point l’idée. Ce n’est pas l’insullisance de la documentation patristique qui est en cause, ni l’introduction, même à dose massive, des citations des « philosophes ». Bonaventure, Pecham, Roger Mars ton, Richard de Médiavilla et bien d’autres, citent eux aussi avec abondance Averroès ou Algazel. Il ne s’agit pas non plus du rôle de l’argumentation rationnelle. C’est un étrange paradoxe de dire, comme on l’a soutenu récemment, que, pour saint Thomas, la raison « est une étrangère en doctrine sacrée », tandis que, selon saint Bonaventure, elle y serait « maîtresse », la théologie désormais « libre de ses mouvements » ne devant recourir à l’autorité de l’Écriture que lorsque la raison est impuissante..1.-1’. Honnefoy, La théologie comme science et l’explication de la foi chez saint Thomas, dans Ephem. theol. Lov., t. xiv, 1937, p. 621° ; t. xv, 1938, p. 511. Entre les deux théologies, l’une et l’autre « scolastiquos >. l’opposition réside plutôt en ceci cpic saint Thomas, parce qu’il s’inspire du principe aristotélicien de la noblesse absolue du savoir, est conduit à voir dans la théologie une science principalement spéculative, tandis que les maîtres franciscains cherchent en elle avant tout une doctrine spirituelle, ordonnée à la perfection de l’homme dam son retour à Dieu : ventntis errdibilis notifia pin. S. Bonaventure, CoU, de donis, vi, 13, op. omnia,

t. v. p. 476. Ainsi s’allume le caractère pratique de la théologie franciscaine ; cf. Amoros, In teologia CORU cirnrin pralicQ en la escuela franciacana, dans Anh. d’hist. dort, ri litt. du M. A., t. ix. 1931, p. 261-803. Il ne suflit donc pas qu’un Odon Rigaud ou un < uilhmmr de Mi liton parlent de science » ou de dignitaire, pour qu’on puisse voir en eux des adeptes, on même des précurseurs, de la théologie-science, an sens an tOté

licien du terme. D’une utilisation de tels éléments au

service de la nnlilia pia lionav eut iiricuuc. jusqu’au

remplacement de celle-ci par une théologie strictement conçue sur le modèle de la métaphysique d’Aristote, on peut dire que la route est longue. Quant à Odon Rigaud, sur lequel on voudrait remporter les honneurs de la découverte de la théologie-science, voir B. Pergamo, De quæstionibus ineditis Fr. Odonis Rigaldi. .. circa naturam theologiæ deque earum relatione ad Summam Theol. Fr. Alexandri Halensis, dans Arch. franc, hisl., t. xxix, 1936, p. 22, il n’a jamais vu dans la théologie qu’une science improprement dite. Pergamo, loc. cit., p. 21. Certains thomistes professeront sans doute la même doctrine : Hervé Nédellec, cf. E. Krebs, Theol. und Wisscnschaft nach der Lehre der Hochscholastik, dans les Beitrâge, t. xi, fasc. 3-4, 1913, p. 36* ; Jean de Naples, cf. J. Leclercq, La théologie comme science d’après la littérature quodlibétique, dans Rech. théol. anc. et médiév., t. xi, 1939, p. 360, 366. Mais ces auteurs se séparent, croyons-nous, de la pensée de saint Thomas, à laquelle Pierre d’Auvergne demeure plus fidèle (Leclercq, art. cit., p. 337). Bernard de Gannat, dans ses Impugnaliones contre Godefroid de Fontaines enseigne lui aussi que la théologie est une science « proprement dite ». Quodl., vii, 7, ms. Vat. Borgh., 2, 9$, ꝟ. 51 r° b. Ne pas confondre sur ce point science improprement dite et science dans un état imparfait. Pour plus de détails, cf. art. Théologie.

3° Points essentiels où s’opposent augustinisme et thomisme. — Surtout, ce que Pecham reproche au | thomisme c’est l’abandon des thèses capitales de ce qu’il entend par augustinisme : vilipensis auctenticis doctoribus Augustino et ceteris. Denifle-Chatelain, t. i, p. 627 ; Laurent, p. 638. Cette science nouvelle, écrirat-il encore, s’efforce de détruire la doctrine d’Augustin touchant les raisons éternelles, l’illumination divine, les puissances de l’âme et une infinité d’autres questions. Denifle-Chatelain, t. i, p. 634 ; Laurent, p. 645. Il nous reste à examiner avec quelque détail, non tous, mais les points les plus essentiels de cette opposition : 1. la vision béatifique et la science de Dieu ;

2. l’éternité du monde et les erreurs des philosophes ;

3. la composition hylémorphique des anges et de l’âme ; 4. la pluralité des formes ; 5. l’illumination intellectuelle ; 6. intellectualisme et volontarisme, la béatitude, l’acte libre.

1. Vision béatifique et science de Dieu.

Dans le traité de Dieu, Guillaume de la Mare a relevé deux thèses fameuses de saint Thomas, l’une sur la vision béatifique, l’autre sur la science de Dieu.

a) La vision béatifique. — Ex parte rei visæ per nullam similitudinem creatam Dei essentia videri potest. l a, q, xii, a. 2. Sur cette thèse, cf. art. Intuitive ( Vision), t. vii, col. 2378.

Le 13 janvier 1211, Guillaume d’Auvergne évdque de Paris, avait condamné la proposition : quod divina rssmlia nec ab homine, nec ab angrlo videatw. Denifle-Chatelain, t. i, p. 170 ; cf. A Caileliaut, Alexandre de Halès et ses confrères en face des condamnations parisiennes de 1241 et 1244, dans la France franciscaine, t. x, 1927, p. 259-272. La condamnation visait Etienne de Venizy, O. 1’. (sur ce personnage, cf. Glorieux Répertoire…, t. î. p. 79). Saint Honaventurc, qui s’occupe assez longuement de cette affaire. In II’"" Sent.. dist. XXIII, a. 2. q. iii, admet dans la vision béatifique un mrdiiim disponens, constitué par la gloire deiforme (lor. rit., ad 7° iii), mais il écarte tout médium déferais, identique au mrdiiim drdurens de la Somme d’Alex. m dre de Halès (I’-II* —, n. 517. ad 2* », QuaMtCOhi, t. H, ’l. c’est dire qu’il ccirle une chose préalablement

connue, qui jouerait le rôle d’I nterméd iaire objectif.

Saint Bonaventure ne fait point place non plus à un médium contemperans, destiné a protéger notre Intellect (outre l’éclat de la lumière divine, nr par r.icrllenlinni luris nbtiindrrctiir. C’est sans doute ce dernier