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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/339

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THOMAS D’An U IN : L’ÉTERNITÉ l>i MONDE

intentionnelle, semblable à la connaissance certaine que nous pouvons posséder d’un fait passé. Cf. Glorieux, Le correctorium Corruplorii…, p. 22, cf. p. 24. La pensée de saint Thomas a été saisie d’une façon plus profonde par Jean Quidort, dans le Correctoire « Circa ». La présence physique des choses dans l’éternité ne signifie pas la même chose que l’éternité de ces choses, pas plus que la présence d’un être quelconque dans le temps ne signifie sa coexistence à tous les instants du temps. Éd. Millier, p. 24. D’autre part, la présence des futurs dans l’éternelle durée ne rend pas les idées divines inutiles, pas plus que la présence physique de Socrate devant moi, ne supprime la nécessité de l’espèce sensible pour que je puisse le voir. Enfin, il n’est point vrai que la thèse de saint Thomas aboutisse à retirer à la science divine l’attribution de la causalité universelle : scientia Dei causa rerum. La présence des futurs dans l’éternité n’est pas le présupposé de la science divine, c’est au contraire cette science qui donne aux choses une telle présence : intelligit (Deus) de rébus quia sunt per raliones quas a rébus non accipit. Intelligit etiam de rébus quia erunt tune uel tune, quia intuetur eas sibi præsentes in œternitate, quam præsentiam etiam ipse dat rébus. Op. cit., p. 32. Sur les correctoires « Sciendum » et « Quæslione », cf. quelques remarques dans Groblieki, op. cit., p. 109-115, 125-129. Jean Quidort nous apporte la preuve qu’aux environs de 1284, à Paris, on était fort loin de reconnaître dans les objections de Guillaume de la Mare l’interprétation authentique de la pensée de saint Thomas sur ce difficile problème. À la Noèl de 1284, Henri de Gand aborde la question dans son Quodlibet vin et la résoud dans un sens nettement volontariste, qui en fait un précurseur de Scot. Schwamm, -Dos gôttliche Vorherwissen. .., >. 99-108.

Guillaume de la Mare a laissé de côté les divergences doctrinales qui concernent la théologie trinitaire. Cf. sur celles-ci M. Schmaus, Der Liber propugnatorius des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zwischen Thomas v. A. und Duns Scotus, i, dans Beitrâge…, t. xxix, 1930, surtout p. 391-482 (constitution des divines personnes par la relation ou par Vorigo).

2. L’éternité du monde et les erreurs des philosophes.

— Saint Thomas a toujours admis que la contingence essentielle du monde et sa dépendance essentielle dans l’être par rapport à Dieu étaient de soi séparables d’un commencement absolu des choses dans le temps. L’idée d’une première cause de l’être peut en effet faire l’objet d’une démonstration véritable, tandis que le commencement des choses est, selon saint Thomas, un « article de foi ». Cette thèse fameuse comporte ainsi deux parties qu’il distingue toujours avec soin : Est-il possible de prouver l’éternité du monde et les « raisons » des philosophes sont-elles sur ce point démonstratives ? (Sur le sens du terme, les « philosophes », cf. M.-D. Chenu, Les « Philosophes » dans la philosophie chrétienne médiévale, dans Rev. des se. phil. et théol., t. xxvi, 1937, p. 27-40). D’autre part est-il possible, comme le prétendaient les théologiens d’alors, de prouver de façon certaine le commencement des choses dans le temps ?

a) L’éternité du monde. — Dès son Commentaire des Sentences, saint Thomas a pensé qu’Aristote était parvenu à concevoir la contingence radicale du monde et la causalité universelle du premier moteur ; cf. InII am Sent., dist. I, q. i, a. 5, ad l un’in contrarium, éd. Mandonnet, p. 38. Jamais l’attitude du saint ne variera sur ce point et jamais il n’attribuera à Aristote ni à Platon Vintolerabilis error, celle d’un monde indépendant de Dieu dans son être. Tout au contraire : Plalo et Arisloteles perveneruni ad cognoscendum principium totius esse. Phys., t. VIII, lect. 2, n. 5, éd. léon. Mêmes affirmations au cours du second enseignement

parisien ; cf. (Montra murm., Mandonnet, Opuscula omnia, t. 1, p. 22 : philosophi confitentur et probant… ; à Naples enfin, De sabst. separ., Mandonnet, éd. cit., t. i, p. 103 : non œslimandum est… Il convient de noter cependant que la confiance de saint Thomas sur ce point prend source dans l’apocryphe Met., A, 1, 993 b, 26-27 ; cf. Phys., !. III, lect. 2, n. 4.

Par contre, saint Thomas est non moins catégorique, lorsqu’il affirme que le Stagirite a enseigné comme une thèse certaine et non comme une simple hypothèse l’éternité du monde. Son opinion sur ce point est donc « fausse et hérétique », comme celle des autres philosophes. In Sent., toc. cit. Seulement, les « raisons » du Philosophe dans la Physique et le De cselo, ne sont point, de son propre avis, pleinement i démonstratives. Top., A, 11, 104 b, 12-17 ; sur ce ! texte, cf. R. Jolivet, Aristote et la notion de création, i dans Rev. se. phil. et théol., t. xix, 1930, p. 16. Telle est I la solution de saint Thomas dans les Sentences, solu| tion qui suit de très près Maimonide. Non debemus I putare quod Aristoieles credidit raliones illas esse démontrât iones, écrivait le philosophe juif. Dux neutro| rum, ii, 15, ms. Vat. lai. 1V>4, ꝟ. 53 v° a ; S. Munck, Le j guide des égarés, t. ii, p. 28. Sur Thomas et Maimo-I nide, voir A. Rohner, Der Schbpjungsbegrifl bei Moses [ Maimonides, Albertus Magnus und Thomas von i Aquin, dans Beitrâge, t. xi, fasc. 5, 1913 ; E. Koplo| witz, Die Abhàngigkeit Thomas v. Aq. von Rabbi Mose ben Maimon, Wurtzbourg (diss.), 1935.

Dans son Commentaire des Physiques (vers 1265), saint Thomas affirmera avec force qu’il est « frivole » de penser, comme le font certains, qu’Aristote n’a pas enseigné de façon ferme l’éternité du monde. Phys., t. VIII, lect. 2, éd. léon., 16. S’il en était ainsi, on ne comprendrait point qu’Aristote parte justement de l’éternité du mouvement pour établir l’existence du premier moteur. Ibid. Le même argument sera repris par Siger de Brabant : ex œternitate motus probat [Aristoteles] quod sunt substantiæ separatæ. PI, y s., VIII, q. vi, éd. P. Delhaye, Les philosophes belges, t. xv, p. 199. Seulement, saint Thomas continue à distinguer la thèse fermement enseignée par Aristote et les « raisons » du Stagirite dans la Physique et le De cœlo. Ces dernières ne sont efficaces que si le mouvement avait dû commencer per modum naturæ. Phys., loc. cit., n. 17. Même position dans le Commentaire de la Métaphysique, t. XII, lect. 5, n. 2496-2497 (Cathala), où saint Thomas accorde aux arguments du Philosophe la valeur de démonstrations ad hominem contre Empédocle et Anaxagore. Même explication enfin dans le De cselo : Prædictæ rationes procédant contra positionem ponenlem mundum esse factum per generationem, t. I, lect. 29, n. 12.

Les « raisons » du Philosophe. — Les théologiens du Moyen-Age pouvaient lire dans Pierre Lombard une allusion aux erreurs d’Aristote sur le problème de la création. // jm Sent., dist. I, n. 3. On chercherait en vain cependant la question : ulrum mundus sit œternus ? chez les théologiens de la vieille école, même après l’introduction des Physiques dans le monde ! occidental. Voir sur ce point A. Mansion, Les traductions arabo-latines de la Physique d’Aristote dans la’tradition manuscrite, dans Rev. néo-scol. de philos., t. xxxvii, 1934, p. 202 ; De Wulf (Pelzer), Histoire de la philosophie médiévale, 6e éd., t. ii, p. 28, 38. Mais le

problème pouvait s’introduire par un autre biais dans
les préoccupations des théologiens. Dans la Summa

j aurea de Guillaume d’Auxerre, on a la surprise de le voir soulevé non point contre les philosophes, mais contre les manichéens : quærit Manichœus in quo j « principio ». Nam, si in principio temporis, ante ergo otiosus eral Deus]. Sunwm aurea, t. II, tract, vii, c. 2, i éd. Pigouchet, Paris, 1500, ꝟ. 52 r° b. Si Dieu, continue