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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/363

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THOMAS IVAQUIN : CARACTÈRES DE SON EXÉGÈSE


giis. In TU., c. iii, lect. 2, p. 278. La remarque vient de Hugues de Saint-Victor : In numeris multa mendacia scriptorum libris inesse deprehendimur. De script, et script., P. L., t. clxxv, col. 25.

VI. LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE L’EXÊQÈSE DS

3AU1T thomas. — Ainsi muni d’une bonne bibliographie, où il est informé de l’interprétation traditionnelle de l’Écriture et où il puise un minimum de connaissances philologiques, saint Thomas peut entreprendre l’exégèse des livres saints. Dans quel esprit et avec quelle méthode ?

Exégèse littérale et exégèse allégorique.

Saint

Thomas a précisé au moins une fois l’esprit dans lequel il entendait « lire » l’Écriture. Dans le prologue du Psautier, il rappelle que Théodore de Mopsueste avait été condamné pour avoir soutenu que, si les prophéties de l’Ancien Testament étaient appliquées au Christ, c’était par une pure adaptation sans fondement. Notre docteur déclare expressément vouloir éviter cette erreur et continuer la tradition hiéronymienne :

Circa inodum exponendi sciendum est, quod tam in Psalterio quam in aliis prophetiis exponendis evitaredebemus unum errorem damnatum in quinta synodo. Theodoms enim Mopsuestenus dixit quod in sacra Scriptura et prophetiis nihil expresse dicitur de Christo, sed de quibusdam aliis rébus, sed adaptarunt Christo… Beatus ergo Hieronymus super Ezechiel tradidit nobis unam regulani quam servabimus in Psalmis : scilicet quod sic sunt exponendi de rébus gestis, ut figurantibus aliquid de Christo vel Ecclesia. Éd. Vives, t. xviii, p. 230.

Rien de plus traditionnel que ce principe herméneutique majeur qui était transmis par la Glose ordinaire dans la préface du Psautier : Nihil est in divina Scriptura quod non pertineat ad Christum vel ad Ecclesiam, P. L., t. cxiii, col. 844, par Pierre Lombard, Prœf. in Ps., t. cxci, col. 59-60, et que l’on retrouve dans Gilbert de la Porrée, In Ps., dans Albert le Grand, Sum. theol, I a, tr. i, q. iii, et d’autres. De là, toute l’exégèse allégorique du haut Moyen Age. De fait, depuis les Pères, l’exégèse chrétienne visait à l’édification et poursuivait un but pastoral. Cet esprit se retrouve encore chez plusieurs commentateurs du xine siècle, chez Ulrich de Strasbourg par exemple, qui entend suivre le conseil d’Augustin, De doctrina christiana, P. L., t. xxxiv, col. 71, lequel demande d’interpréter au sens figuré tout ce qui paraîtrait inutile et ne contribuerait pas à la morale ou à la vérité de la foi, cf. J. Daguillon, Ulrich de Strasbourg. La « Summa de Bono », Paris, 1930, p. 59. C’est à ce genre littéraire qu’appartiendrait le commentaire du Cantique des cantiques, Sonet vox tua (éd. Vives, t. xviii, p. 608-667), dans la mesure où il traduit la pensée de saint Thomas. P. Mandonnet l’estime, en effet, authentique, mais retouché par Gilles de Rome, comme les plus anciens qualificatifs donnés à cet ouvrage le laissent entendre : Continuationes, Continuatio.

Mais chez saint Thomas et les meilleurs auteurs du xme siècle, surtout Albert le Grand, on voit simultanément se prolonger et se perfectionner — grâce à une meilleure notion de l’inspiration scripturaire — la forme d’exégèse littérale esquissée au xiie siècle, notamment par les Victorins, et selon laquelle, le commentateur cherche à élucider le sens obvie du texte, indépendamment de toute idée d’utilisation pratique et immédiatement édifiante. Voilà aussi pourquoi les expositiones bibliques ne sont plus des chaînes des Pères ou des collections de gloses comme Anselme de Laon et Pierre Lombard en composaient un siècle plus tôt ; ce sont des recherches en partie indépendantes des autorités reçues et où l’on ne craint plus d’exprimer un jugement personnel.

Si saint Thomas adopte délibérément la formule ancienne dans la Catena aurea sur l’ordre exprès d’Ur bain IV, il s’en écarte non moins volontairement dans l’Expositio in librum sancti Job, éd. Vives, t. xviii, p. 1-227, qui marque une étape décisive dans l’histoire de l’interprétation de ce livre. Depuis les Morales de saint Grégoire, en effet, Job avait été maintes fois commenté et uniquement par la méthode allégorique. Tout avait été dit de ce chef. Or, au lieu de poursuivre cette voie désormais stérile, saint Thomas se propose de donner une exégèse littérale qui n’avait jamais été faite : Inlendimus… secundum lilteram exponere ; ejus enim mysteria tam subtiliter et discrète beatus papa Gregorius nobis aperuit, ut his nihil ultra addendum videatur. P. 2. Aussi bien, peut-on constater que cette exposition contient fort peu de citations des commentaires anciens et de la Glose, puisque leur exégèse ne portait pas sur le sens obvie du texte. Les commentaires des Lamentations, de l’évangile de saint Jean et des épîtres de saint Paul seront composés dans le même esprit, encore que le recours à la tradition n’en soit pas exclu.

D’une manière générale, en effet, saint Thomas d’Aquin, à la fois traditionnel et novateur, tient le plus grand compte de l’exégèse de ses devanciers et, selon un procédé retenu par les modernes, il aime à donner sur chaque texte difficile les principales interprétations qui en ont été proposées. Mais il n’hésite pas à marquer ses préférences, voire même à fournir une explication personnelle. Constamment il formule son jugement en ces termes : Prima expositio… melior est, In Joa., c. i, lect. 6, ꝟ. 12, p. 38 ; tertio modo, et melius, ibid., c. v, lect. 6, ꝟ. 34, p. 169 ; vel dicendum et melius, ibid., c. xi, lect. 6, ꝟ. 43, p. 314 ; potest dupliciter intelligi ; uno modo… alio modo et melius, ibid., ꝟ. 46, p. 316 ; c. xvii, lect. 6, ꝟ. 26, p. 456. Or, parmi les exégèses traditionnelles, beaucoup sont allégoriques ou mystiques ; si saint Thomas parfois les exclut parce qu’elles ne cadrent pas avec le contexte, le plus souvent il les adopte pour leur valeur doctrinale ou religieuse, mais il prend toujours soin de les distinguer de l’interprétation littérale. Commentant la parole de Jean-Baptiste : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa sandale », Joa., i, 27, il donne d’abord son exégèse avant de signaler les expositions spirituelles : Et heec quidem expositio est litleralis. Exponitur autem et mystice. Uno modo secundum Gregorium… P. 58. Lorsque les premiers disciples demandent à Jésus : « Où habites-tu ? », Joa., i, 38, ils cherchent littéralement à connaître le lieu de sa demeure ; mais allégoriquement c’est le ciel qui est le séjour de Dieu où le Christ doit nous conduire, et moralement le Christ habite dans les justes. P. 67-68. De même, le figuier sous lequel se tient Nathanaël, Joa., i, 48, doit être entendu ad litleram d’un arbre véritable, mais on peut l’interpréter mystice du péché avec Augustin, ou de l’ancienne Loi selon saint Grégoire. P. 74.

L’exégèse spirituelle garde donc sa valeur autant pour le contenu doctrinal qu’elle renferme que pour l’autorité traditionnelle qu’elle représente et dont un commentateur théologien est avide. Lorsque le Christ dit à ses disciples : « Retournons en Judée », Joa., xi. 7, il annonce mystiquement aux Juifs son retour à la fin du monde. P. 301. Marthe et Marie sont le symbole des vies active et contemplative. In Joa., c. xi, lect. 4, ꝟ. 20, p. 305. Lorsque Marthe communique discrètement à sa sœur l’appel du Maître, on peut entendre spirituellement que l’appel intime du Christ est plus efficace que celui de la voix. Ibid., lect. 5, ꝟ. 28, p. 308,

Mais ces interprétations ne sont pas fantaisistes. Saint Thomas applique dans leur choix ses principes herméneutiques selon lesquels, dans la Bible, les réalités signifiées par les mots sont à leur tour le signe d’autres réalités. Ainsi les sens spirituels se rattachent