Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
727
72
THOMAS D’AQUIN : RÈGLES HERMÉNEUTIQUES

vu. règles herméneutiques. — Une fois précisés les caractères généraux de l’exégèse de saint Thomas, il reste à relever quelques principes de critique littéraire expressément formulés ou clairement mis en œuvre dans ses commentaires. Pas plus que ses devanciers, saint Thomas n’a écrit un traité d’herméneutique, mais il est notable qu’il ne fasse jamais allusion aux sept règles de Tychonius, donatiste du iv 8 siècle, qui furent comme canonisées dans l’Église puisqu’elles seront reprises par Augustin, De doctrina christiana, t. III, c. xxix-xxxvii, P. L., t. xxxiv, et Isidore de Séville, Sent., t. lxxxiii, col. 581, citées au xiie siècle par Hugues de Saint-Victor, Ërudil. didasc, P. L., t. clxxvi, col. 791-792, et Jean de Salisbury, Polyc, vii, 14, t. cxcix, col. 671, puis au xiiie siècle par Albert le Grand, In Ps., éd. Borgnet, t. xv, p. 434, et Ulrich de Strasbourg, cf. J. Daguillon, Ulrich de Strasbourg. La « Summa de Bono », p. 60-61, enfin sanctionnées vers 1330 par Nicolas de Lyre, cf. P. L., t. cxiii, col. 31-34 ; Postillæ, t. iv, p. 54, 138. En réalité, l’herméneutique de saint Thomas est nettement augustinienne, nombre de principes étant empruntés au De doctrina christiana, cf. E. Moirat, Notion augustinienne de l’herméneutique, Clermont-Ferrand, 1906, mais plusieurs règles lui sont personnelles.

1° La première règle vise la personne même de l’exégète. L’interprétation des Livres saints, en effet, demande un rude labeur : « Pour extraire la vérité de la foi de la sainte Écriture, il faut de longues études et beaucoup d’expérience », IIa-IIæ, q. i, a. 9, ad l um, mais avant tout, il faut implorer le secours divin, car « c’est Dieu qui ouvre le sens des paroles des Écritures. .. qui révèleles mystères cachés ». InLam., éd. Vives, t. xix, p. 20 ; d’où cette formule quasi stéréotypée que l’on trouve dans presque toutes les préfaces des commentaires du Moyen Age : « Nous nous proposons de commenter ce livre selon le sens littéral, brièvement, selon nos forces, ayant confiance dans le secours de Dieu. » In Job, t. xviii, p. 2. Or, humilité, studiosité et prière étaient déjà les vertus indispensables à l’interprète, selon saint Augustin, De doctrina christiana, P. L., t. xxxiv, col. 64. Mais dans son discours de réception à la maîtrise en théologie, saint Thomas a donné une formulation plus personnelle de l’élévation des pensées, des sentiments et de la vie requise des commentateurs : illuminés les premiers par les rayons de la divine sagesse, ils méprisent les choses de la terre pour n’aspirer qu’aux célestes. Leur vie est si éminente qu’ils sont aptes à enseigner efficacement. Finalement leur aptitude à cet office, comme celle de l’Apôtre (II Cor., iii, 5) vient de Dieu : Quamvis aliquis per se, ex se ipso, non sit sufpciens ad tantum ministerium, suffleientiam tamen potest a Deo sperare. Opuscula, éd. Mandonnet, t. iv, p. 493-496.

La vérité de l’Écriture et l’analogie de la joi.


Saint Thomas emprunte au Super Gènes, ad lilt. d’Augustin cette règle fondamentale : Primum quidem ut veritas Scripturse inconcusse leneatur, I a, q. lxviii, a. 1 ; il la répète constamment : Hoc… lenendum est, quod quidquid in sacra Scriptura continetur, verum est ; alias qui contra hoc sentirel effet hæreticus, Quodl.xii, a. 26 ; Sensui lilterali sacrée Scripturse numquam potest subesse falsum. I a, q. i, a. 10, ad 3um. D’où, d’une part, la règle herméneutique : Ne rien introduire d’erroné dans les mots de l’Écriture : Ne… aliquid falsum usseratur, præcipue quod veritati fidei contradicat, De pot., iv, 1 ; c’est un critère décisif d’interprétation : Quia ista positio per veras rationes jalsa deprehendiiur, non est dicendum hune esse intellectum Scripturæ, I a, q. lxviii, a. 3 ; d’autre part la règle de l’analogie de la foi, déjà formulée par Augustin, P. L., t. xxxv, col. 262, reprise par Hugues de Saint-Victor, Erudit. didasc, P. L., t. clxxvi, col. 808, et que saint Thomas

exprime sous cette forme : « Il y a analogie quand on fait voir que la vérité d’un passage n’est point en opposition avec la vérité d’un autre passage. » I a, q. i, a. 10, ad 2um. On sait comment notre auteur l’a mise en pratique dans son usage des références bibliques et on peut lui am.exer cet autre principe : « Sous le sens spirituel, il n’y a rien de nécessaire à la foi que la sainte Écriture ne. livre ailleurs manifestement par un sens littéral. » I », q. i, a. 10, ad l™ ; Quodl. vii, a. 14, ad l um, ad 3um.

Le recours à la tradition.

Hugues de Saint-Victor

qui est presque le seul prédécesseur de saint Thomas à avoir formulé des règles d’herméneutique déclarait que c’est par la docilité aux Pères que l’on pouvait parvenir à l’intelligence des Écritures, ou plus exactement que l’on trouve une garantie d’orthodoxie. Erudit. didasc., P. L., t. clviii, col. 143. Mais saint Thomas précise théologiquement la nature et l’origine de cette autorité des commentaires patristiques. D’abord les Pères sont dans une plus grande proximité de la révélation ; ils ont donc eu de meilleures lumières que les modernes sur le sens de l’Écriture : « Ceux qui furent plus proches du Christ, soit avant, soit après sa venue, ont connu plus pleinement les mystères de la foi. » IIa-IIæ, q. ix, a. 2. « Plus on voit de loin, et moins on voit distinctement. C’est pourquoi ceux-là connurent plus distinctement les biens espérés qui furent plus proches de l’avènement du Christ. » IIa-IIæ, q. i, a. 7, ad l um ; cf. ad 4um ; Ad Rom., c. viii, lect. 4, t. 23 ; voir A. Lemonnyer, Les apôtres comme docteurs de la foi d’après saint Thomas, dans Mélanges thomistes, Le Saulchoir, 1923, p. 153-173. Par ailleurs, les Pères ont été assistés du Saint-Esprit. Le Quodlibetxii, a. 26, pose en effet, la question de savoir si tout ce que les saints docteurs ont dit vient de l’Esprit-Saint ? Le sed contra répond : Ad eumdem perlinet facere aliquid propter finem et perducere ad illum finem. Sed finis Scripturæ, quæ est a Spiritu sancto, est erudilio hominum : Hecc autem eruditio hominum ex Scripturis non potest esse nisi per expositiones sanctorum. Ergo expositiones sanctorum sunt a Spiritu sancto, et le corps de l’article définit : Ab eodem Spiritu Scripturse sunt expositse et editse ; unde dicitur I ad Cor., n ( 1 1) : « Animalis homo non percipit ea quæ Dei sunt, spirilualis autem judicat omnia », et præcipue quantum ad ea quæ sunt fidei, quia fides est donum Dei, et ideo interpretatio sermonum numeratur inter alia dona Spiritus sancti. I ad Cor., xii. Retenons que pour Thomas d’Aquin l’exégèse chrétienne relève d’un charisme qu’il identifie à celui de 1’ « interprétation des paroles ».

4° La confrontation de Joa., xviii, 23 où Jésus proteste contre le soufflet qu’il vient de recevoir, aveu Matth., v, 39 où il prescrivait de ne pas résister aux coups, donne à saint Thomas l’occasion de rappeler le principe herméneutique suivant : « Selon Augustin, les paroles et les préceptes de la Sainte Écriture peuvent être interprétés et compris d’après les actions des saints, car le même Esprit qui a inspiré les prophètes et les autres auteurs de l’Écriture a mû les saints à agir (cf. II Petr., i, 21 ; Rom., viii, 14). Ainsi la sainte Écriture doit être comprise de la même façon que le Christ et les autres saints l’ont observée. Or, le Christ n’a pas présenté l’autre joue au valet, ni Paul (Act., ix). En conséquence, on ne doit pas comprendre que le Christ a commandé de présenter l’autre joue, physiquement (ad litteram), à celui qui a frappé la première, mais cela doit s’entendre quantum ad præparalionem animi, si c’était nécessaire ; il faut être disposé de telle sorte que l’âme ne doive pas être troublée contre l’attaquant, et qu’elle soit prête à supporter des maux semblables et même de plus graves. C’est ce que le Seigneur réalisa en présentant son corps à la mort. Ainsi donc la protestation du Seigneur fut