dont l’cxégète doit être averti sous peine de contresens certains. Or, malgré son ignorance du grec et de l’hébreu, saint Thomas est l’un des médiévaux qui se montre le plus soucieux de déterminer le sens précis des notions bibliques. L’exactitude de ses intuitions, sinon de ses analyses, est remarquable. C’est ainsi que dans son commentaire de saint Jean, il remarque que dans l’Écriture, « vrai » s’oppose à faux, figuré et participé, ce qui lui permet de donner une exégèse de Lux vera, Joa., i, 9, bien meilleure que celle de Chrysostome et d’Augustin, Marietti, p. 32 ; « monde » est pris tantôt dans le sens de création, tantôt de perfection, tantôt de perversité. Ibid. La « colère de Dieu » s’entend du châtiment des méchants. C. iii, 36, p. 116. Dans l’Ancien Testament, la « vertu divine » désigne le plus souvent la puissance créatrice. C. v, 21, p. 159. L’usage de l’Écriture est d’appeler < frères » les consanguins ou les proches parents, c. ii, 12 ; c. vii, 3, p. 83, 210, et les brebis les fidèles, c. x, 1, p. 277 ; le loup désigne le diable, ou l’hérétique, ou le tyran, c. x, 12, p. 285 ; chacune de ces nuances est appuyée d’une citation. Le commentaire étendu de la répétition Amen, Amen propre à saint Jean montre bien le bénéfice de ces précisions pour l’intelligence de la pensée :
On doit noter que cette locution Amen est hébraïque. Le Christ en use fréquemment. Aussi par respect, aucun traducteur, ni chez les grecs, ni chez les latins, n*a voulu la traduire. Parfois elle signifie : c’est vrai, ou : vraiment ; parfois : qu’il en soit ainsi. Voilà pourquoi dans les Ps. lxxi, xxxviii, evi où nous avons fiai, il y a dans l’hébreu : Amen, Amen. Or Jean est le seul évangéliste à répéter deux fois ce mot. La raison en est que les autres évangélistes relatent principalement ce qui relève de l’humanité du Christ, c’est-à-dire des choses facilement croyables qui n’ont pas besoin d’être affirmées avec force. Au contraire, Jean traite principalement ce qui relève de la divinité du Christ, c’est-à-dire des choses cachées, éloignées de la connaissance humaine, et qui ont besoin d’une affirmation renforcée. In Joa., c. m.lect. 1, ꝟ. 3, p. 94.
La formulation de cette dernière raison ne laisset-elle pas entendre que le vocabulaire est propre à l’évangéliste qui ne traduit pas mot à mot, mais ad sensum les paroles du Seigneur ?
Saint Thomas sait que, pour exprimer les qualités d’un individu, l’hébreu fait souvent précéder le nom exprimant cette qualité du mot « fils » ; « Filius olei… » Proprietas hebraici sermonis est ut quilibet illius rei dicatur esse filius in quo abundat. In Is., éd. Vives, t. xviii, p. 702. Autres idiotismes : « Dans les Écritures, Dieu est dit venir vers l’homme lorsqu’il lui octroie ses bienfaits. » In Job, ibid., p. 62. « Dans l’Ancien Testament, on trouve cette tournure du langage : tout ce qui est député au culte divin est dit être sanctifié. » In Joa., c. xvii, lect. 4, p. 17, Marietti, p. 449. L’hébreu exprime le superlatif en mettant le substantif singulier en construction avec son pluriel, ainsi : « Cantique des Cantiques » : Consuevit enim genitivus pluraliter appositus nominativo denotare excellentiam, ut Rex Regum et Dominus Dominantium, In Cant., éd. Vives, t. xviii, p. 609 ; Dicit autem « expectatio expectat », ut talis geminatio intensionem expectationis designet, secundum illud Ps. XXXIX : « Expectans expectavi Dominum ». Ad Rom., c. viii, lect. 3, ꝟ. 19, Marietti, p. 114.
C’est dire que la parole de Dieu s’adressant aux hommes s’adapte à leur entendement : Secundum opinionem populi loquitur Scriptura. I’-II », q. xcviii, a. 3, ad 2um. Cette loi, discernée par Jean Chrysostome, est plusieurs fois reprise par saint Thomas : Considerandum est quod Moyses rudi populo loquebatur, quorum imbecillitati condescendens, illa solum eis proposuit quæ manifeste sensui apparent. I", q. lxviii, a. 3 ; Moyses loquebatur rudi populo, qui nihil nisi corporalia potest capere. I », q. lxvii, a. 4. Aussi bien le langage
biblique dispose-t-il de toutes les ressources de la rhétorique, des formules métaphoriques : H&c sub metaphora dicuntur, In Job, éd. Vives, t. xviii, p. 78, 153, 155, 193 ; loquitur metaphorice, In Is., ibid., p. 726, 734 ; des métonymies, comme le ciel pour les anges et la terre pour les hommes, ibid., p. 675 ; des hyperboles : Hsec hyperbolice dicuntur, In Job, ibid., p. 215 ; cf. In Jer., t. xix, p. 140 ; In Lam., p. 222 ; figures qui, bien entendues, sont l’expression de la vérité : Sunt locutiones hyperbolicse, nec tamen lalsæ quia figuratse, quibus aliud dicitur et aliud significatur, In Lam., p. 221 ; cꝟ. 1°, q. i, a. 10, ad 3um ; « Conturbati sunt… » Glossa dicit quod loquitur hyperbolice. Sed contra. Ergo excessit veritatem propheta. Et dicendum : Quod in aliquibus Scripluris sumitur per excessum veritatis simpliciter ; in sacra Scriptura pro excessu veritatis secundum opinionem hominum ; quasi dicat : Conturbatio erit ultra quam credi possit. Vel aliter : Hyperbole est quidam tropus, et in tropicis locutionibus aliud dicitur et aliud intelligitur. Unde non est Jalsitas quantum ad sensum quem intendit (acere, sicut etiam in metaphora. In Is., t. xvii, p. 708.
Sur le dernier verset de saint Jean : « Le monde entier ne pourrait contenir les livres qu’il faudrait écrire… », Saint Thomas, après avoir relevé l’hyperbole, cite la règle herméneutique d’Augustin :
Sacra Scriptura utitur quibusdam figuratis locutionibus sicut Is., vi, 1 : Vidi Dominum sedentem super solium excelsum et elevatum, et tamen non sunt falsa> ; ita quando in sacra Scriptura est aliqua locutio hyperbolica. Non enim est intentio dicentis ut credatur quod dicit, sed quod intendit significare, scilice t excessum operum Christi. Hoc tamen non fit quando aliquid quod erat obscurum vel dubium exponitur ; sed quando id quod est apertum augetur vel attenuatur ; puta cuni quis volens copiam alicujus rei commandare, dicit : Hoc sufficit centum personis vel mille. Volens autem vituperare dicit : Hoc vix sufHccret tribus. Nec tamen falsum dicit : quia sic verba rem qua-indicatur excedunt, ut ostendatur quod non intendit mentiri, sed ostendere esse parum vel multum. Marietti, p. 518.
Enfin l’alphabétisme est un procédé aussi régulier dans la poésie hébraïque que latine. In Lam., t. xix, p. 200. Une fois son existence constatée, il permet de corriger les déplacements accidentels de versets ou de strophes : Sciendum tamen quod isti très versus, secundum quosdam, debent præponi præcedentibus, ut pue littera sit ante ain præter solilum morem. Ibid., p. 218.
10° La mystique des nombres, qui joue un grand rôle dans les commentaires du Moyen Age est surtout appliquée à l’interprétation du Psautier par Honorius d’Autun, Pierre Lombard, et saint Thomas. Ce n’est pas par hasard en effet, qu’il y a 150 psaumes. Dans la question de savoir s’il faut séparer le ps. n du ps. i ou les considérer comme une unité, il faut tenir compte du chiffre global du Psautier. Si l’on joint les deux premiers psaumes, il manquerait un psaume à la collection ; il faudrait alors ajouter le psaume Pusillus eram qui se trouve dans plusieurs psautiers. In Ps., éd. Vives, t. xviii, p. 234-235. De fait 150 se décomposent en 70 et en 80. Or, 7 est le symbole de la vie terrestre, puisque la création s’est faite en sept jours, et 8 signifie la vie future, de sorte que le psautier traite de la vie présente et de la vie éternelle ; ou bien, 7 et 8 signifient l’Ancien et le Nouveau Testament, etc. Ibid., p. 230-231.
11° Le cadre historique. — Il y a des traces dans l’exégèse de saint Thomas d’un réel souci de replacer le livre qu’il commente dans son milieu historique. C’est ainsi qu’il étudie les Psaumes en fonction des circonstances de leur composition, ce qui est assez nouveau. Mais les ressources historiques de son temps étant encore plus pauvres que ses connaissances linguistiques, on ne doit pas s’étonner d’erreurs comme