Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/380

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

745

THOMAS D’AQUJN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE

746

Ensuite, le mot quidam dénote parfois un seul auteur ; ainsi faisait Albert le Grand pour Philippe le Chancelier. L’identification de ces auteurs ne peut se faire que par une étude approfondie et comparative des contemporains. Et nous rencontrons très rarement chez saint Thomas la mention explicite de ceuxci ; après lecture de ses diverses œuvres théologiques nous avons rencontré les noms d’Albert le Grand, de Prévostin († 1210), de Pierre d’Hibernia, qui fut le professeur de Thomas à Naples, de maître Martin et de deux ou trois autres.

Par cette référence aux quidam, saint Thomas montre par le fait même qu’il connaît les divers courants et les différentes écoles de théologie de son temps et, parmi les quidam, il distingue parfois entre ceux qui suivent ou ne suivent pas tel ou tel des grands maîtres du siècle précédent, ce qui semble indiquer que réellement il parle d’une génération plus proche de lui. Ajoutons que, dans certains traités et certaines œuvres, ainsi le Commentaire sur les Sentences, les quidam reviennent à tout instant, tandis que, dans la Somme théologique, leur mention explicite est très souvent laissée de côté et leurs opinions sont alléguées à la façon de ces citations implicites dont nous parlerons plus loin. Faut il en conclure que la valeur de Vauctoritas qu’il avait cru voir dans leur texte s’en trouve diminuée ou appauvrie, en même temps que l’érudition du jeune maître a cédé la place à une science qui ne fait plus état des opinions, comme c’était le cas auparavant ? Pour la signification des formules moderni et antiqui, voir M.-D. Chenu, Antiqui, Moderni, dans Rev. se. phil. et théol., 1928, t. xvii, p. 82-94. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, il y a encore moyen de distinguer des catégories à l’intérieur même de ces classifications ; nous rencontrons des formules comme celles-ci : famosi magistri, magni doctores, nota auctorilas, tanta auctoritas ; Thomas souligne de même l’autorité qui revient à un corps professoral comme celui dont l’université de Paris jouissait en son temps. Cf. De forma absolutionis, c. n ; De malo, q. xvi, a. 4.

Citations implicites et adagia.

La recherche des

quidam et des magistri nous amène très souvent à identifier les uns aux autres. Mais la lecture et l’étude comparative de leur œuvre a encore l’avantage d’attirer notre attention sur les citations implicites qui sont presque aussi nombreuses que les citations expli cites. Le Moyen Age n’a pas transcrit sis préâéces leurs d’une manière servile, ce qui explique que les citations littérales soient assez rares. La forme extérieure ne préoccupait guère les auteurs, mais l’idée. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’attachaient aucune importance à une étude de critique textuelle. L. Baur, art. cit., p. 704, a pu écrire que le De unitale intcllectus contra Averroislas, est un chef-d’œuvre du genre. El c C U n’est pas le seul. Mais enfin on ne se souciait que très peu de la Uttera des sources. La transmission des textes dans les tabulée originalium, les florilèges chaînes, explique pour une bonne part la différence que nous constatons entre le texte médiéval et son original. Mais, en tout cas. le Moyen Age a créé du neuf, sinon dans la doctrine, du moins dans son expression et m s formule. Saint Thomas et ses contemporains usaient du liasse avec une indépendance parfois surprenante et toujours originale, selon les téristiques de l< nr personnalité, leurs allures tlfiques, les besoins théologiques, psychologiques ou historiques qui les poussaient. Il* ont vécu dans l’intimité de leur, textes, ils les décomposent, les morcellent, lis combinent, copiant parfois intégralement, parfois partiellement, vantant dl ci ili la quel us qui semblent ne pas ètr. a point.

c-i plusieur textes n’ont gardé « lieI. < u que

l’allure générale de leur état primitif, (in a comment’les textes et leurs commentaires, on les a cités de mémoire, on les a glosés, on a parfois repris uniquement l’idée d’une formule, pour frapper une formule nouvelle ; et, ce faisant, l’auteur médiéval vénérait le passé à sa façon et il inscrivait sa formule personnelle sous le nom de tel ou tel Père, sans qu’il y ait lieu de songer à une pseudépigraphie. Dès lors il n’y a qu’un pas à faire pour parler de citations implicites. Après la lecture assidue de la lettre, après la collation des diverses traductions ou transmissions de vieux textes, la mémoire des auteurs était pleine de formules dont l’idée était substantiellement exacte mais moins exactement retenue. Le Moyen Age s’est parfois « inspiré » de ses sources. Il n’y a pas lieu de croire que l’on voulait taire le nom des prédécesseurs ; mais la doctrine de ceux-ci était devenue un bien commun, que chacun exprimait à sa façon personnelle. Les citations implicites sont particulièrement nombreuses dans la théologie sacramentaire de saint Thomas, ce qui s’explique assez facilement si l’on songe au fait que ce sont précisément les auteurs des xiie et xiiie siècles qui ont élaboré cette doctrine. Dans l’abondance des opinions et des expressions on songeait à peine à la propriété littéraire. Pourtant c’est de la solution de ce difficile problème des citations implicites que dépend pour une large part le sens exact qu’il faut donner à telle ou telle doctrine d’un théologien déterminé. Évidemment, la doctrine comme telle n’est pas en jeu ; pour celle-ci, le souci de se référer nommément aux textes choisis et authentiques est trop connu, surtout chez saint Thomas. Mais il s’agit plutôt des formules à l’aide desquelles on tâchait d’expliquer le dogme. Par respect et par vénération pour celui-ci, le scolastique du xiiie siècle était content de réunir dans son esprit et sous sa plume, tout ce qu’il savait de plus apte, sans en indiquer la provenance. Sans doute, il ne s’agit pas ici de quelque formule lapidaire devenue classique, comme la définition de la personne parBoèce ; et encore dans la plupart des cas, ces définitions et ces formules lapidaires, étaient un élément patristique authentique ; qu’on songe à la formule bonumdiffusivum sui, du pseudo-Denys, ou encore à la formule subslantia continet unitatem, relatio multiplicat trinilalem, qui a été frappée par Boèce, De Trinitate, c. vi, mais où nous retrouvons l’idée d’Augustin, De Trinitate, t. VII, c. vi, n. 12 ; cf. In Joan., tract, xxxix, c. ii, n. 4 ; ou encore Pater est principium totius deitatis, pour lequel saint Thomas renvoie parfois à saint Augustin, Sum. theoL, I a, q. xxxiii, a. 1 ; q. xxxix, a. 5 ; cf. De Trinitatc, t. IV, c. xx, n. 29, P. L., t. xlii, col. 908, et qui est du matériel grec authentique que nous lisons chez saint Cyrille, In Joan., 1. 1, c. i, et chez bien d’autres avant lui et après lui ; et encore, pxiiiterc est dolere de prwterilo, cavere de fatum, qui provient de la règle de saint Augustin ; ou encore, satisfaccre est peccatorum causas excidere et peccatis aditum non indulgent, qui provient de Gennade de Marseille, De eccl. dogmat., c. liv, etc. Ces citations implicites se rencontrent partout, et il n’y a pas Jusqu’à In description de la théologie qui ne révèle une réminiscence. En écrivant : dicitur enim theologia quasi sernw de Deo, I a, q. i, a. 7, saint Thomas nous fait songer à un texte de Simon de Tournai (fin du xir 1 siècle) : Ubi Grwci dicunt theos, nos dicimus meus ; looob interprelaluT skumo. Unde theologia quasi dcologia, i. r. sermo de Deo vel de dininis. Suintna. ms. l’oris. lat. n ? « 6, iol. 1 r°, cité dans (, . Pari Brune t-P. Trembla], L" renaissance du xiie siècle, Paris, Ottawa. 1986, p. 310.

Il y a ici un travail immense à faire tant, pour la pailie morale rpie pour les traités dogmatiques de la Somme. Et, encore une fois, l’étude comparative des médiévaux rendra ici de très grands services. Parfois