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THOMAS D’AQUIN : ESPRIT DE SON TRAVAIL


a déjà donné un exemple, Contribution à l’histoire du traité de la foi, commentaire historique de II"-II K, q. i, a. :.’, dans Mélanges thomistes, Paris, 1923, p. 123-140. Il faut souhaiter que ces exemples se multiplient pour faire revivre ainsi le plus grand des théologiens scolastiques dans son milieu historique et naturel. Le grand intérêt de ces recherches sera sans doute de faire retrouver en même temps par l’étude d’une question, d’un traité, la méthode de travail et les principes même qui ont guidé l’Aquinate.

On a signalé plus haut que saint Thomas ne mettait pas toutes ses sources patristiques sur le même pied, ni au même rang. Ainsi il distinguait les authentica et les magislralia et autres ; il nous dit que l’autorité qu’on donne à un texte patristique dépend avant tout de la nature de la chose dont il s’agit, mais parfois aussi de la valeur intellectuelle dont jouissait l’auteur qui l’avait écrit, et cette valeur pouvait être soit individuelle, soit collective ; ainsi la valeur de l’opinion des jamosi magistri antiqui (il s’agit de Guillaume d’Auxerre, de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, du cardinal Hugues de Saint-Cher) ne peut pas préjuger communi sententise magislrorum theologiæ Parisiis legentium. Voir De forma absolutionis, c. n ; De malo, q. xvi, a. 4. Jean Chrysostome était un orateur ; saint Thomas juge que son opinion sur la sainteté de la vierge Marie est exagérée, III ». q. xxvii, a. 4, ad 3um ; parlant de la sorte il tenait à la règle de Yexponere reverenter, car, à cause de son opinion, Jean Chrysostome avait fait tourner contre lui toute la tradition occidentale. Saint Thomas savait marier les droits de la vérité et le respect dû aux auctoritates des Pères. Avec Origène dont la tradition de l’école avait gardé un mauvais souvenir, il n’agira pas de la sorte, surtout au début de sa carrière professorale et dans ses œuvres de jeunesse, et il dira : vocem ignorât, ex ignoranlia vel protervia locutus est. Il lit les textes patristiques avec un bon sens sûr et il note que le sanus intellectus Patrum est régula ftdei, mais il déplore que certains de ses devanciers ne l’aient pas eu. et c’est ainsi qu’il explique comment plusieurs parmi eux avaient mal compris quelques formules de la doctrine, trinitairc, car in proprietatibus loculionum non tantum atlendenda est res significata, sed etiam modus significandi. Sum. theol., I a, q. xxxix, a. 3 et 4. D’autre part, il estime qu’on ne doit pas faire un grief an pseodo-Denys pour son style obscur, quod quidem non f.r imperitia fecit, sed ex induslria. Expos, super de divin, nom., prol. ; cf. Sum. theol., III’, q. xvi, a. 8, ad l um. Revenant sur certaines doctrines théologiipirs du passé et ayant l’œil ouvert sur le progrès de celles-ci, il note que Pierre Lombard et d’autres’ « valant vu la vérité que partiellement en qualifiant d’ « opinion » (au sens philosophique et médiéval) ce qui en réalité était une hérésie condamnée par l’Église ou une vérité de foi (sententia) définie par elle. Sum. theol., III’. q. il. a. C ; cf. Inlll « m. S’enL, dist. XX II, c p. ti t. De potentia, q. iii, a. 9. Lui-même étudie le texte I’contexte, il se procure des traductions diverses dont il note les corrections et les divergences, Ni/m. theol., p, q. LVI, a. 1, ad l um ; q. l.xxix, a. 10 ; il rejette tes interpolés, De malo, q. xv, a. 2, ad ll uæ ; il fail attention au style de l’auteur et à la construction de la phrase. In X libro » Ethicorum. I. I, lect. 17, Mi l’irotta, Turin, 1931, n. 17 et n. 210 ; car tout. i le peut s. rvir pour saisir L’intention de l’auteur cité. Il note ce qui, dans une aoeforffos, se lit dans le texte

original de celle ci et CC qu’un autre J a ajouté : hoc

tnagtêler de suo addit, quia t i<rrbis Auguslini expreeee non habetur. In /" m Sent., dist. wili. exp, text. ; i f. De forma absolutionis, c. iv. Dans la dédlcao an pape Urbain Dde sa Catena <mrra sur saiul Matthieu,

il si xCOSe de ne pas dispo r d’un in ill< ur texte des

œuvres des Pères, et il explique son mode de composition. Il souligne partout que le premier devoir d’un commentateur doit être un effort soutenu pour saisir exactement l’intention d’un auteur, In III um Sent., dist. II, q. i, a. 3, qu. 3, obj. 1 et exp. text. Il proteste contre le fait que dans les discussions on se sert trop souvent de textes incomplets : glossa illa truncata est, contra intentionem glossatoris ; glossa illa maie inducitur, non enim sic habetur in glossa, sed sic, Cont. impugnantes, c. iv ; et il n’aime pas qu’on fasse violence aux textes : non potest esse extorta expositio. Sum. theol., I a, q. xxxix, a. 4, ad 5um. Quand le maître général des dominicains lui demande de qualifier et de juger quelques expressions du Commentaire de Pierre de Tarentaise (le futur Innocent V) sur les Sentences de Pierre Lombard, saint Thomas fera remarquer à son supérieur que celui-ci lui a envoyé un texte fautif : non sic est in scripto ibi, sic enim est scriptum, Declaratio C VIII dubiorum, q. iv et v. Pierre Lombard n’avait pas donné une intelligence exacte de la doctrine d’Augustin sur la charité, parce qu’il n’avait pas vu que le docteur d’Hippone s’était inspiré des doctrines et des expressions platoniciennes ; et cette mésintelligence était au détriment même de la doctrine de la charité. Sum. theol., II a -II ffi, q. xxiii, a. 2, ad l um. Quand il ne dispose pas d’une documentation suffisante ou de première main, pour juger si telle ou telle théorie a réellement été enseignée par celui auquel ses prédécesseurs l’attribuent à tort ou à raison, il se fait un devoir de citer sa source. Ainsi pour les théories de Gilbert de la Porrée, d’Eutychès, etc., ainsi encore pour Origène. Car, si en général le grand Alexandrin n’a pas eu la sympathie de saint Thomas, il arrive cependant que celui-ci en appelle à ceux qui imponunt Origeni ; secundum opinionem quæ imponitur Origeni, De potentia, q. iv, a. 1, ad 5um ; de même pour une opinion attribuée à Cyrille d’Alexandrie, ibid., q. x, a. 4, ad 24 uæ. Il nous avertit à plusieurs reprises qu’on n’a pas le droit d’attribuer à quelqu’un des théories dont on ne sait pas si l’auteur en question les a enseignées en fait, car il y a des problèmes nouveaux auxquels les anciens n’avaient pas du tout pensé, De unilate intellectus, in fine. De même on ne doit pas trop insister sur les exemples qu’Aristote a employés, surtout dans ses livres sur la Logique, car tout cela porte la marque du temps, sunt exempta quæ probabilia erant suo tempore, Sum. theol., I a, q. xlviii, a. 1 ; q. lxvii, a. 2 ; De malo, q. I, a. 1, et il fait observer à ses lecteurs que lui-même ne peut pas et ne veut pas partout donner une solution complète à toutes les difficultés qu’on lui soumet, et qu’on doit relire ce qu’il a écrit ailleurs. De rationibus fidei, c. i, 7, et ult. ; cf. In X libros Ethicorum, t. I, éd. cité(, n. 212 et 228.

Un exemple magnifique de cette probité scientifique nous est donné dans la Declaratio XLII quæstionum. Le maître général de son ordre, Jean de Verceil, lui avait demandé son avis sur quelques points de doctrine qu’il lui soumettait. Saint Thomas répond que la tâche qu’on lui impose est assez délicate et difficile : fuisse ! mihi facilius respondere, si vobis scribere placuisset rationes, quibus dicli articuli vel asscruntur vel impugnantur. Sic enim potuissem magis ad intentionem dubilantium respondere. Nihilominus laincn, quantum percipere polui in singulis… respondere curavi. Il fait observer en même temps que plusieurs de ces questions

ne rassortissent pas au domaine du théologien, sed magis ad philosophorum dogmata ; cf. De. memoria et rrrninisrenlia, éd. Pirotta, Turin. 1928. n. 317. Le fait que les Pères de l’Église ancienne avaient véOU parmi les hérétiques était considéré par lui comme un grand avantage dont lui-même- était prive, car ainsi

avaient eu l’occasion de connaître exactement

i. s doctrines énoncées qu’Us devaient réfuter, (.ont.