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757 THOMAS D’AQUIN : VALEUR D’ARGUMENT PATRISTIQUE 758

Saint Thomas enseigne donc que l’Écriture, par rapport aux explications des Pères, suffît seule, parce qu’elle a déjà dit tout ce que les Pères diront plus tard. Et l’enseignement de l’Écriture, pris au total, est suffisamment clair. Aussi pouvait-il répéter avec Augustin dans le De doctrina christiana : nihil est quod occulte in aliquo loco sacrse Scripturæ tradatur, quod non alibi manifeste exponatur. Quodl. iv, a. 14, ad 3um ; Sum. theol., I », q. i, a. 9, ad 2™ ; a. 10, ad l nm ; IIa-IIæ, q. i, a. 9, ad l om. Le sens de l’Écriture est si riche que jamais l’intelligence humaine laissée à elle seule ne parviendra à en saisir tout le contenu. Quodl. vii, a. 14, ad 5um. Les catholici tractatores, les exposilores Sacrx Scripturæ, n’ont donc aucune autorité si ce n’est précisément et uniquement en fonction des Écritures et par rapport à elles.

Selon saint Thomas l’autorité reconnue à un doctor authenticus donnait à celui-ci et quasi ipso facto la valeur d’un témoin de la Tradition. Théoriquement et parlant à priori, on devait distinguer Vauctoritas et Vauthenticitas ; mais pratiquement c’était presque la même chose. « Sans être nullement synonymes en théorie, dit J. de Ghellinck, les deux genres d’arguments (l’argument de tradition et celui d’autorité) se confondaient concrètement… Mais ce n’était pas directement à la tradition qu’en appelait l’argumentation technique, mais plutôt à une auctoritas prise sans doute à un représentant de cette tradition, dont en ce cas au moins il pouvait tirer sa valeur, mais qui, dès lors, se présentait beaucoup plus avec l’attitude d’un auteur authenticus, qui possède le robur auctoritatis ; par suite, il est envisagé comme dépositaire des mêmes prérogatives que les autres auteurs admis au rang d’auctoritates. Il serait difficile de soutenir que, lorsqu’il s’agissait d’un de ces dicta sanctorum, l’autorité de la tradition ne se reflétait pas indirectement au moins dans le respect qui s’attachait à ces énoncés des Patres orthodoxi des Patres catholici, implicitement approuvés et authentiqués et entrés dans l’arsenal des arguments scolaires ». Art. cité de Geisleswelt des M. A., p. 119. Voir également, G. Geenen, dans Bijdragen, etc., p. 131-147, où l’on peut lire les textes et quelques références pour tout ce qui suit. Ainsi l’épithète ex propriis sed probabiliter appliquée aux Pères résumait fort bien une théoiie dont il faut faire entrevoir quelques principes. Le témoin de la foi comme tel a dans une certaine mesure les prérogatives et les propriétés, sinon de la doctrine, du moins de l’organe dont il contient le témoignage et pour lequel il témoigne. Saint Thomas nous dit constamment que les Pères ont écrit surtout coacti ab hærelicis, pour enseigner et pour défendre la foi de l’Église, c’est-à-dire la doctrine des Écritures. Certes ils l’ont fait modeste et reverenter, absque comprehendendi præsumptione. Mais la doctrine qu’ils enseignent et dont ils témoignent n’est pas la leur propre, mais bien celle de la gardienne de la foi, interprète authentique des Écritures. Évidemment l’Église n’avait pas mis son sceau indistinctement sur tout ce que les Pères avaient dit, chacun pour son temps et dans son milieu et avec les multiples particularités qui sont propres à chacun, mais l’approbation globale que l’Église attachait à la doctrine de ceux qui détendaient sa foi contre les hérétiques ou qui l’exposaient aux croyants, garantissait d’une certaine façon le témoignage et l’autorité de ces exposilores cl de ces tractatortê. D’ailleurs saint Thomai a soin de noter que tri ou tel auteur a été désapprouvé, par exemple Origène, Bérenger, Joachim de Flore et d’au in. 1 1 que, en ris points désapprouvés, ils n’étaient

pas les témoins de la doctrine de l’Église gardi< une delà vérité et interprète des Écritures.

On s’explique donc que les dicta sanrlurnm. les du la

doctorxun, les expotltionet Pntrum, se trouvant pratl

quement sur le même pied, et qu’ils expriment des valeurs concrètement identiques au point de vue de Vauctoritas. Les Pères étaient des porte-paroles de la doctrine de l’Église. Bien plus, l’Église avait parfois officiellement et explicitement approuvé une doctrine patristique. C’est ce que saint Thomas suppose de toute évidence pour la doctrine d’Augustin sur la grâce, c’est ce qu’il note expressément pour la doctrine trinitaire du pseudo-Athanase, auteur du Quicumque, et ce qu’il semble insinuer pour la doctrine trinitaire de Pierre Lombard approuvé au concile du Latran de 1215. Or, ce qu’Augustin ou le pseudo-Athanase avaient fait, les autres l’avaient fait eux aussi d’une certaine façon, car ils tiennent la même doctrine ; ces autres se groupaient donc de par la nature des choses sous l’approbation authentique de l’Église. Néanmoins, puisque l’Église ne les avait pas approuvés tous en particulier ou pour toutes leurs doctrines in specie, il était loisible de faire une classification entre les auctorilates selon des degrés divers et selon la technique de l’authenticité ou de l’autorité, au sens médiéval de ces mots. Saint Thomas qui avait un esprit historique et fort nuancé, devait faire ces distinctions qui s’imposaient. Mais, d’autre part, cette conception explique aussi que Vauctoritas de ces Pères était invoquée dans des matières qui étaient loin de la théologie proprement dite, par exemple les théories sur la psychologie, l’astronomie, etc., ne fût-ce qu’à cause du grand nom qui les patronnait. Pour employer une autre formule, on pourrait dire que saint Thomas est nettement conscient qu’aucune auctoritas digne de ce nom ne parle contre la foi, car il répétait avec saint Anselme : quod non est contrarium sacrse Scripturæ veritas ejus est, In 7um Sent., dist. XI, exp. text. ; cf. De substanliis separatis, c. xvi, et avec saint Ambroise il dira : omne verum a quoeumque dicitur a Spiritu sancto est. Ainsi avec les auctoritates patristiques, le théologien pouvait argumenter ex propriis, parce qu’il y trouvait la doctrine de l’Église interprète des Écritures, mais seulement probabiliter, parce que les auctoritates ne pouvaient pas être mises sur le même pied que les Écritures.

Il y a une continuité doctrinale et historique entre les Écritures et les écrits des Pères. La foi restait identique nonobstant les divergences des explications patristiques, dont l’histoire témoignait. L’identité est dans les principes et garantie par ceux-ci, la divergence se trouve parfois dans l’explication des Pères, mais entre les deux, il y a la continuité surveillée et garantie par l’Église, interprète des Écritures et dépositaire de la tradition 2° Pourquoi faut-il recourir aux Pères ? — « Le but de l’Écriture, répond saint Thomas, est l’enseignement des hommes. Or, cet enseignement par l’Écriture ne peut se réaliser que par les explications, les expositions des Pères. » La raison en est que « c’est du même Esprit que provient et la publication de l’Écriture et son exposition ». Quodl.xii, a. 26. « Il faut donc conserver non seulement ce qui est fourni par l’Écriture, mais encore ce qui a été dit par les saints docteurs qui ont gardé l’Écriture sans tache. » In Div. nom., c. ii, lect. 1. Voir des exemples concrets dans De vrritatc, q. xviii, a. 17 ; Sum. theol., I », q. ci. a. I ; Dr potentia, q. viii, a. 1.

Cette nécessité de recourir aux Pères ne signifie pas cependant qu’on doive les suivre d’une façon servile, car « dans les matières qui ne sont pas de foi. les commentateurs (exposilores) ont dit bit n d, s choses d’après leur sentiment en quoi ils ont pu se tromper ». Quodl.xii, loc. cil. D’où la liberté que l’on peut pr. ndiv par rapport a eux.

I.a doctrine des Pères doit donc être conforme à la doctrine des Écriture Mais quel est le Critère de celle conformité ? Saint Thomas répond : llle ilirilnr aliter