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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/389

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THOMAS A KEMPIS


toujours en vue de proposer des exemples à ses novices, Thomas a retracé la vie de neuf disciples de Radewijns qu’il avait connus. Ces notices sont précédées d’une note sur la communauté de Deventer. — 38. Chronica Monlis Sanctæ Agnetis, une des sources de la vie de Thomas.

III. L’Imitation. — Tout a été dit déjà, et par des voix très autorisées, sur cette œuvre admirable qui reflète l’esprit le plus pur du christianisme. Nous avons seulement ici à étudier la doctrine de i Imitation. La controverse engagée au début du xviie siècle entre mauristes et chanoines réguliers au sujet de l’auteur a provoqué une abondante littérature, dont on trouvera la bibliographie dans Puyol, L’auteur du livre De Imitatione Christi, t. ii, Bibliographie de la contestation, Paris, 1900 ; elle n’est pas encore close, encore que les remarquables travaux de dom Jacques Huyben, Les premiers documents historiques concernant V Imitation, dans la Vie spirituelle, t.xii, 1925, p. 213228, t. xiii, 1925, p. 1-17, 96-116, 202-222, etc., et ceux, encore inédits, de dom Assemaine aient porté un rude coup aux candidatures de Gersen (abbé de Verceil, vers 1230) et de Gerson et ramené à Thomas a Kempis une gloire qu’on a mauvaise grâce à lui disputer. Au demeurant, peu importe la question de l’auteur ; ne lit-on pas dans l’Imitation même, 1. 1, c. v : Non quæras quis hos dixerit, sed quid dicatur attende.

L’Imitation se compose de quatre livres juxtaposés sans lien logique, de sorte que l’ordre entre ces livres varie suivant les manuscrits et les éditions. Le premier livre porte le titre Admonitiones ad spiritualem vitam utilem, le second Admonitiones ad interna trahentes, le Liber internas consolationis forme le troisième, le quatrième est intitulé Devota exhortatio ad sacram communionem. Il est possible, sinon probable, que ces quatre parties étaient primitivement indépendantes et qu’elles ont été réunies après coup ; les premiers manuscrits ne contiennent en effet que le premier livre. C’est pourquoi certains ont cru résoudre la controverse au sujet de l’auteur en estimant, comme M. Mourret, Histoire générale de l’Église, t. v, p. 130, que « les quatre livres de l’Imitation ne seraient que le rapiarium d’un homme de génie ».

Quoi qu’il en soit, ces quatre livres procèdent du même esprit et cet esprit appartient, sans aucun doute possible, à l’école de Windesheim. Lorsque Gérard Groote et Florent Radewijns fondèrent les frères de la vie commune, la spiritualité allemande était fort en honneur. Mais Tauler, Suso, Eckart étaient bien abstraits, et leur spiritualité trop spéculative décourageait les âmes simples. Une réaction était inévitable. Elle se produisit à la fin du xive siècle et fut dirigée en grande partie par l’école de Windesheim, c’est-à-dire par les disciples de Groote et de Radewijns. On revint donc à une spiritualité affective, accessible à tous, dégagée de tout esprit de système et de méthode. Les auteurs spirituels windésémiens exposent leur doctrine sous forme de maximes, de prières, d’élévations ; quelquefois ils recourent au soliloque ou au moyen facile du dialogue. Tel est bien la « marque » de V Imitation. « C’est un livre qui tient tout à la fois des Élévations de Rossuet, des Maximes de La Rochefoucauld, des Soliloques de saint Augustin. On y trouve des vues et des élans, mais rien de didactique. L’auteur se préoccupe plus d’inspirer à l’âme le désir de monter vers le souverain amour, que de satisfaire la curiosité de l’intelligence et de lui faire apercevoir l’harmonie de la vérité. » Puyol, La doctrine du livre De imitatione Christi, Paris, 1898, p. 30.

L’étude de la spiritualité de l’Imitation est du domaine d’un dictionnaire de spiritualité. Nous avons à dégager ici les principes de ce que l’on pourrait appeler la théologie de l’Imitation. À dire vrai, l’auteur ne

se préoccupe point des questions d’école et répudie tout système, surtout l’enseignement scolastique tel qu’il était donné à la fin du xive et au début du xve siècle. Les passages sont nombreux où l’auteur réagit contre les abus et les excès de la scolastique. Ainsi au commencement de son œuvre, t. I, c. i : Quid prodest tibi alta de Trinitate disputare ; si careas humilitate unde displiceas Trinitati ? Vere alta verba non faciunt sanctum et justum : Sed oirtuosa vila efficit Deo carum. Opto magis sentire compunctionem, quam scire ejus definitionem, etc. L’auteur de L’Imitation veut remplacer la méthode des systèmes par celle des faits. « Notre-Seigneur n’a pas eu d’autre méthode d’enseignement que d’annoncer les faits de la révélation. Sa prédication se résume en des affirmations : il loue saint Pierre d’avoir reconnu la divinité du Messie sur la révélation du Père céleste : ce n’est ni la chair, ni le sang, mais le Père céleste qui lui a révélé cette vérité. » Puyol, op. cit., p. 75. L’auteur de l’Imitation fait de même. La méthode des faits l’amène ainsi à proposer à l’âme l’imitation de Jésus-Christ. Cette imitation du Christ exige une connaissance profonde de Dieu et la connaissance de soi-même. Plus nous avancerons dans la connaissance de Dieu, plus nous avancerons aussi dans son amour. La connaissance de Dieu doit ramener l’homme à sa juste « dimension » qui est bien infime. Chaque homme a sa place dans l’édifice élevé par Dieu, sa fin précise et distincte. Il faut donc que l’homme obéisse à sa vocation particulière et tente de toutes ses forces de répondre le plus parfaitement possible à l’appel divin. Le meilleur moyen de répondre à cet appel est de suivre l’exemple de Jésus. Mais, pour imiter Jésus, il est nécessaire de le connaître : Summum igitur studium nostrum sit : in vita Jesu meditari, t. I, c. i. Or, Jésus, pendant son séjour parmi les hommes, a fait toujours et en tout la volonté de son Père, avant tout il s’est « renoncé à lui-même », il a conformé sa vie sans réserve au bon plaisir divin, il s’est fait pauvre, obéissant, il a vécu dans l’humilité, il a embrassé « la voie royale de la croix ». Nous devons le suivre en tout. À ce prix seulement nous pouvons acquérir son amitié, une amitié inestimable et qui nous procure des joies ineffables : Quando Jésus adest, totum bonum est : nec quicquam difficile videtur… Si Jésus unum tantum verbum loquitur : magna consolatio senlitur… Esse sine Jesu gravis est infernus : et esse cum Jesu dulcis paradisus…, etc., t. I, c. i, passim.

La connaissance de Dieu exige d’abord la connaissance de soi-même. La première constatation de l’homme est sa profonde misère, dont la faute originelle est la cause. Il a beau lutter, il n’arrive pas à vaincre la nature : O quanta fragililas humana : quæ semper prona est ad vitia ; confiteris peccata tua : et cras iterum perpétras confessa. L. I, c. i, in fine. Mais si l’âme sent le poids de la nature l’entraîner, elle sent aussi un autre principe déterminant : la grâce. L’auteur de l’Imitation, dont l’augustinisme est manifeste, décrit assez longuement les mouvements de la nature et de la grâce. L. III, c. uv et lv. Sans la grâce, l’âme est réduite à l’impuissance : O quam maxime est mini necessaria Domine tua gratia, ad inchoandum bonum, ad proficiendum, et ad perficiendum ; nom sine ea nihil possum facere : omnia autem possum in te confortante me gratia. L. III, c. lv. Par la grâce l’homme se libère de tout ce qui l’attache à la terre et parvient à l’union intime avec Dieu. Il continue à bénéficier de cette union par la prière, les sacrements et surtout par la fréquentation de l’eucharistie. L. IV.

Ainsi donc l’Imitation présente les caractères d’une théologie positive, pas très éloignée d’un certain réalisme. Elle est avant tout « pratique » et répudie formellement les considérations transcendentales et purement spéculatives. L’Imitation n’est pas une œuvre