courtes instructions de l’édition de Cologne (1543), dont l’esprit, la tournure et la langue sont si bien de son cru. » Dans Huguenꝟ. t. i, p. 61.
F. Vetter a reconstitué le texte allemand des sermons « d’après les manuscrits d’Engelberger et de Fribourg ainsi que d’après les copies des anciens manuscrits de Strasbourg, faites par Schmidt ». Inévitablement un travail de ce genre comporte une part de subjectif. Aussi les PP. Hugueny et Théry et M. Corin ont-ils corrigé parfois le texte de Vetter dans leur traduction des sermons de Tauler faite « sur les plus anciens manuscrits allemands ».
Ce travail critique reconstitue, autant que possible, le texte authentique des sermons. Il nous permet d’avoir la pensée du célèbre prédicateur avec assez d’exactitude pour porter un jugement sur elle.
III. Doctrine de Tauler.
1o Caractères de sa prédication. — Autant qu’on puisse le déterminer par les résumés que nous en avons, Tauler n’écrivait pas totalement ses sermons. Une bonne part était laissée à l’improvisation. Il ne donnait pas aux religieuses de grands sermons, mais plutôt des entretiens familiers, des exhortations. Il enseigne une doctrine abstraite : le renoncement à ce qui extériorise l’âme, la nécessité de se recueillir pour atteindre le fond de l’âme où s’opère la contemplation mystique. Mais il sait rendre cette doctrine concrète à l’aide de comparaisons simples, populaires, pittoresques, qui gravent pour toujours un enseignement dans l’esprit. Le nombre de ces comparaisons est d’ailleurs restreint. Tauler n’a pas le sentiment de la nature. Il ne sait pas, comme saint François d’Assise, Hugues de Saint-Victor et saint Bonaventure s’élever à la contemplation mystique en se servant de l’échelle des créatures. Conformément au génie allemand, Tauler concentre l’ascension vers les états mystiques à l’intérieur de l’âme. C’est dans l’analyse de l’âme chrétienne qu’il trouve la voie qui conduit à la contemplation sublime. L’auditeur est sans cesse exhorté à suivre cette voie intérieure pour arriver à l’union intime avec Dieu, au fond de son âme.
2o Doctrine philosophique.
On trouve dans les sermons des théories thomistes : la classification des passions procédant de l’appétit concupiscible et irascible, Vetter, p. 234, 236, 237, 388 ; Hugueny, t. iii, p. 26, 41, 256 ; la cause de nos tentations et de nos fautes, c’est l’amour désordonné de soi, Vetter, p. 94 ; Hugueny, t. ii, p. 9 ; la division des facultés spirituelles de l’âme : mémoire, intelligence, volonté libre, Vetter, p. 9 ; Hugueny, t. i, p. 167-168 ; le désir naturel de posséder Dieu, Vetter, p. 57 ; Hugueny, t. i, p. 271 ; la succession des formes dans l’homme en formation, Vetter, p. 136, 305-306 ; Hugueny, t. ii, p. 27-28, 153, et t. iii, p. 106.
Sur plusieurs points, cependant, Tauler s’écarte des doctrines philosophiques de saint Thomas et suit les doctrines néoplatoniciennes. Par exemple dans sa conception psychologique de l’homme : « On peut dire de l’homme, déclare-t-il, qu’il est comme composé de trois hommes qui n’en font ((pendant qu’un, Le premier est l’homme extérieur, animal sensible ; le second
est l’homme raisonnable avec sis facultés raisonnables ; le troisième est ! < Ge/nûi, la partie supérieure de l’âme. Tout cela réuni ne fait qu’un homme. Vetter, mu. lxjv, p. 348 ; Hugueny, t. ii, p. 35(5. Cf. Vetter, sci m. iv. p. 21 ; lx v, p. 357 ; lxvi, p. 363 ; lxvii, p. 3651. xvin, p. 373 ; Hugueny, t. i. p. 194 195 ; t. a,
p. 356 ; I. III, i J2, 87, 130-132. Cette concep tion psyi biologique s’inspire des imis termes néoplatoniciens ; le sensible (yy/rj, l’Intelligible (voûç) et l’Un.
Tauler. nous le errons, base son explication de la
contemplation mystique sur cette conception philosophique.
3o Doctrine théologique.
Tauler connaît et accepte la distinction scolastique du mal de nature et du mal de peine. Vetter, serm. xl, p. 169 ; Hugueny, t. ii, p. 236. Sa doctrine relative aux fruits de la communion est la même que celle de saint Thomas. Vetter, serm. xxxii, xxxiii, p. 124, 125 ; Hugueny, t. ii, p. 113, 116. De même au sujet de la messe. Vetter, serm. lx, p. 318 ; Hugueny, t. ii, p. 130. Tauler croit aussi, comme saint Thomas, que la sainte Vierge a été sanctifiée après sa conception. Vetter, serm. xlix, p. 219 ; Hugueny, t. iii, p. 3.
Voici des opinions théologiques différentes de celles de saint Thomas. Tauler croit qu’Adam a été créé dans l’état de nature pure et ensuite élevé à l’état surnaturel. Vetter, serm. xxxii, p. 119 ; Hugueny, t. ii, p. 106. Selon lui, conformément au pseudo-Denys, la lumière de gloire est Dieu même, alors que, d’après saint Thomas, elle est créée. Vetter, serm. lxi, p. 329 ; Hugueny, t. ii, p. 250. Le Docteur angélique enseigne que nous acquérons une connaissance analogique vraie de Dieu. Tauler, comme les néoplatoniciens, insiste sur la connaissance de Dieu par voie d’éminence et de négation : Dieu est au-dessus de nos conceptions ; nous pouvons mieux savoir ce qu’il n’est pas que ce qu’il est. Tauler, suivant en cela Jean Scot Érigène, appelle Dieu un néant : « Saint Denys, dit-il, parlait de ce néant (Dieu], quand il disait que Dieu n’est rien de ce que nous pouvons nommer, comprendre et saisir. » Vetter, serm. xlv, p. 201 ; Hugueny, t. ii, p. 338. « Le néant créé [l’homme], s’enfonce dans le néant incréé (Dieu], mais c’est là un état qu’on ne peut ni comprendre, ni exprimer. » Vetter, serm. xli, p. 176 ; Hugueny, t. ii, p. 225. Une terminologie semblable se trouve chez Henri Suso, voir ici, t. xiv, col. 2862. Elle est plutôt regrettable. Cette incompréhensibilité de Dieu motive la nudité néoplatonicienne de l’esprit, condition essentielle pour Tauler de la contemplation mystique, comme nous le dirons. Cette énumération des opinions de Tauler, qui est loin d’être exhaustive, montre combien la pensée du célèbre mystique est personnelle.
4o Doctrine mystique.
Tauler est surtout un mystique. Il faut donc exposer un peu longuement sa conception de la contemplation, sans oublier cependant que l’explication détaillée de cette contemplation est réservée au Dictionnaire de spiritualité.
Pour arriver à la contemplation mystique, il faut se dégager du sensible et de la volonté propre par la mortification et le renoncement, puis s’élever au-dessus de l’intelligible, images et idées, par la nudité de l’esprit, enfin entrer dans le fond de l’âme où s’opère la contemplation.
1. Vocation à la vie mystique.
Tous les fidèles sont-ils appelés à faire cette ascension mystique ? Le P. Hugueny croit que, d’après Tauler, une vocation spéciale est requise. T. i, p. 94 : « Dieu, dit Tauler, refuse cette expérience sentie de leur fond à de purs et braves gens pendant toute leur vie, de sorte qu’ils ne reçoivent pas la moindre miette du festin jusqu’à leur mort. » Cf. Vetter, serm. LX8, p. 317-318 ; Hugueny, t. ii, p. 1 29 et t. iii, p. 102. Mais, ailleurs, il semble dire le contraire. Vetter, serm. vi, p. 26 ; Huguenꝟ. 1. 1, p. 211.
2. Mortification et renoncement.
Tauler exhorte constamment ses auditeurs à mortifier « l’Inclination à jouir des choses sensibles, défaut qui - a son siège dans le concupiscible. Vetter, p. 23 1 ; I Iugueny, t. III, p. 26. L’irascible doit être aussi réprimé. Ihid. Le renoncement au sensible est poussé fort loin. Il s’agit
surtout du sensible en tant qu’il est une cause de
péché ou d’Imperfection.
l.c renoncement a la volonté propre s’opère par la
soumission aussi parfaite que possible a la volonté divine, Acre pi at ion de la place que Dieu nous a donnée