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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/441

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THOMISME. CONNAISSANCE ANALOGIQUE DE DIEU


intulit : Ergo alia est ratio sapientise in Deo, et alia sapientiae in creaturis.

C’est-à-dire, comme le formule Cajétan, ibid., n. 15 : non est una ratio simpliciter, sed proportionaliter una, comme il le dit dans son traité De analogia nominum c. vi. La Déité apparaît ainsi, en sa raison formelle, absolument éminente, supérieure à l’être, à l’unité, à la vérité, à la bonlé, à la sagesse, à l’amour, à la miséricorde, à la justice, et c’est pourquoi elle peut les contenir éminemment et formellement. Cela revient à dire ce qui est admis par tous les théologiens, que la Déité telle qu’elle est en soi et clare visa contient actu explicite toutes les perfections divines, et, en la voyant, les bienheureux n’ont certes pas besoin de déduire ces perfections, tandis que Dieu conçu comme l’Être même subsistant ne contient que actu implicite les attributs divins qu’il faut progressivement déduire de lui.

Les paroles de Cajétan que nous venons de rapporter donnent bien le sens thomiste de l’expression : jormaliter eminenter ; formaliter signifie à la fois : substantialiter et non solum causaliter, proprie et non solum metaphorice, attamen analogice. Eminenter exclut la distinction formelle actuelle des attributs divins et exprime leur identification, oa mieux leur identité en la raison formelle éminente de Déité, dont le mode propre, qui en soi nous reste caché, ne peut être connu in via que négativement et relativement. C’est ainsi que l’on dit : c’est un mode transcendant qui exclut toute distinction réelle et formelle antérieure à la considération de notre esprit, de telle sorte qu’il n’y a en Dieu de distinction réelle que celle des personnes divines opposées entre elles : In Deo omnia sunt unum et idem ubi non obviât relationis oppositio. Conc. Florent. , Denz.-Bannw., n. 703.

Telle est selon les thomistes l’éminence de la Déité. Cette doctrine est équivalemment exprimée en ces textes de saint Thomas, I », q. xiii, a. 4 :

Hsb quidem perfectiones in Deo præexistunt unité et simpliciter, in creaturis vero recipiuntur divise et multipliciter. .. Ita variis et multiplicibus conceptibus intcllectus nostri respondet unum omnino simplex, secundum hujusmodi conceptiones imperfecte intellectum. I », q. xiii, a. 4.

Et encore : Rationes plures horum nominum non sunt cassa : et vanæ quia omnibus eis respondet unum quid simplex, per omnia hujusmodi multipliciter et imperfecte reprœsentatum. Ibid., ad 2° m. De même, art. 5, corp.

Les attributs divins s’identifient donc sans se détruire dans l’éminence de la Déité. Ils sont en elle formellement, mais pas formellement distincts.

Bien plus les perfections divines, loin de se détruire, en s’identifiant dans l’éminence de la Déité, sont en elle, et seulement en elle, à l’état pur sans aucun mélange d’imperfection. Ainsi Dieu seul est l’Être même par essence, l’Intellection subsistante, la Bonté par essence, l’Amour subsistant.

Cette identification est plus facile à expliquer pour les perfections qui sont dans la même ligne et qui n’ont entre elles qu’une distinction virtuelle extrinsèque, fondée non pas en Dieu mais sur les créatures. Ainsi l’intelligence divine, l’intellection divine et la vérité divine toujours connue s’identifient manifestement, dès lors que Dieu apparaît comme l’intellection subsistante, ipsum intelligere subsistens.

Il est plus difficile d’expliquer l’identification des perfections qui appartiennent à des lignes différentes, comme l’intellection et l’amour, ou encore comme la justice et la miséricorde. Cependant ce qui précède montre qu’elles s’identifient dans la Déité, qui est éminemment et formellement intellection et amour, miséricorde et justice. Des expressions comme « lumière de vie », « connaissance affective », « regard aimant », « amour terrible et doux » font pressentir

cette identification, qui ne peut être clairement connue que par la vision béatiflque dont l’objet propre et immédiat est Deitas clare visa, super ens, super unum etc. C’est ce que les grands mystiques, comme la bienheureuse Angèle de Foligno appellent « la grande ténèbre », car la splendeur éclatante donne l’impression de l’obscurité à l’esprit encore trop faible pour la supporter, comme le soleil paraît obscur à l’oiseau de nuit.

Pour la même raison il n’y a pas de distinction formelle-actuelle, mais seulement une distinction virtuelle-mineure entre l’essence divine et les relations divines qui constituent les trois personnes divines, par exemple entre la nature divine communicable et la paternité incommunicable au Fils et au Saint-Esprit. C’est ce qui fait dire à Cajétan :

Secundum se, non quoad nos loquendo, est in Deo unica ratio formalis, non pure absoluta, nec pure respectiva, non pure communicabilis, nec pure incommunicabilis, sed eminentissime ac formaliter continens et quidquid absolutae perfectionis est et quidquid Trinitas respectiva exigit… Quoniam res divina prior est ente et omnibus differentiis ejus : est enimsuperens et super unum, etc. In I’n, q. xxxix, a. 1, n. 7.

Pour la même raison la réalité divine telle qu’elle est en soi est supérieure à l’absolu et au relatif qu’elle contient formellement-éminemment.

3. Corollaires.

De cette haute doctrine de l’éminence de la Déité dérivent une foule de corollaires. Nous en noterons ici trois très importants en dogmatique.

a) On voit par là que la raison par ses seules forces, en constatant ainsi la transcendance et l’inaccessibilité de la Déité, peut démontrer l’existence en Dieu d’un ordre de vérité et de vie qui reste inaccessible à toute connaissance naturelle créée, c’est-à-dire d’un ordre de vérité et de vie surnaturelles ; la raison ne l’atteint ainsi que négativement, comme l’existence de quelque chose qui est naturellement inaccessible. Cela revient à dire que la Déité, objet propre de l’intelligence divii e, dépasse manifestement les forces naturelles de toute intelligence créée et créable. C’est ce que dit saint Thomas, Cont. Gent., t. I, c. iii, n. 3 : Quod sint aliqua intelligibiliorum divinorum, quee humanæ rationis penitus excedunt ingenium, manifestissimum est. Quelques lignes plus bas, il montre que la Déité comme telle est inaccessible à la connaissance naturelle des anges. Nous avons longuement développé ailleurs cette conséquence ; cf. De revelatione, t. i, c. xi, p. 347-354.

b) Il suit encore de là que la grâce sanctifiante, qui est définie « une participation de la nature divine », est vraiment une participation physique, formelle et analogique de la Déité telle qu’elle est en soi, et non pas seulement telle qu’elle est conçue par nous, comme Être subsistant, ou Intellection subsistante. C’est pourquoi la grâce sanctifiante consommée sera principe radical de la vision béatiflque qui atteint la Déité sicuti est. De ce point de vue supérieur on voit qu’il ne faut pas accorder trop d’importance à la question : la grâce est-elle une participation de l’infinité divine ? Certainement elle n’est pas subjectivement une participation de l’infinité divine, car participation dit limitation ; mais elle nous ordonne à voir sicuti est la Déité, dont elle est la participation formelle.

Déjà les minéraux ressemblent analogiquement à Dieu comme être, les plantes lui ressemblent en tant qu’elles ont la vie, l’homme et l’ange par nature lui ressemblent en tant qu’ils sont intelligents, la grâce seule lui ressemble en tant que Dieu est Dieu, selon sa Déité, dont la grâce est une participation.

c) Enfin cette doctrine de l’éminence de la Déité, explique pourquoi nous ne pouvons in via connaître