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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/447

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THOMISME. PROVIDENCE ET PREDESTINATION


ainsi que la prédestination est, à raison de son objet, une partie de la providence et la plus élevée.

Il faut conclure de cela, comme le font généralement les thomistes, que la providence lorsqu’elle suppose la volonté conséquente de la ftn, est doublement infaillible, quant à l’ordination des moyens et quant à l’obtention de la fin, tandis qu’elle est infaillible seulement pour l’ordination des moyens, quand elle suppose seulement la volonté antécédente ou conditionnelle et inefficace de la fin. En cela la providence générale, qui s’étend à tous les hommes et leur rend le salut réellement possible, diffère de la prédestination qui conduit infailliblement les élus au terme de leur destinée. Cf. S. Thomas, De veritate, q. vi, a. 1. Telle est selon lui la nature de la providence et ce qu’elle présuppose du côté de l’intelligence et de la volonté de Dieu.

3. Extension.

Pour ce qui est de l’extension de la

providence, comment explique-t-il qu’elle s’étend à toutes les choses, même aux plus infimes, ainsi que le dit l’Évangile : « Il ne tombe pas un passereau sur la terre sans la permission de votre Père ; les cheveux même de votre tête sont tous comptés. » Matth., x, 29-30 ? Comment la providence s’étend-elle à tous ces détails, sans supprimer la contingence des événements, le caractère fortuit de plusieurs, la liberté de notre choix et sans être responsable du mal ?

Saint Thomas répond, I a, q. xxii, a. 2 : « Comme tout agent agit pour une fin, l’ordination des effets à leur fin s’étend aussi loin que s’étend la causalité (efficiente) de l’agent premier… Or, celle-ci s’étend à tous les êtres, non seulement quant à leurs caractères spécifiques, mais quant à leurs caractères individuels. Donc il est nécessaire que tout ce qui a l’être, de quelque manière que ce soit, soit ordonné par Dieu à une fin, ou soit soumis à la providence. » Les moindres détails même des choses matérielles sont encore de l’être et Dieu peut les connaître, car il est cause non seulement de la forme spécifique de ces choses, mais de la matière, qui est principe d’individuation. I », q. xiv, a. 11.

Quant aux événements fortuits, ils sont appelés ainsi par rapport aux causes secondes, mais non pas par rapport à Dieu qui a prévu toutes les séries de causes et toutes leurs rencontres accidentelles.

Pour ce qui est du mal, il n’est pas, comme tel, quelque chose de positif, mais la privation d’un bien, et Dieu ne le permet que parce qu’il est assez puissant et assez bon pour en tirer un bien supérieur ; ainsi il permet la persécution pour la patience héroïque et la gloire des martyrs. I a, q. xxii, a. 2, ad 2um. Sa motion, nous l’avons vu plus haut, loin de détruire la liberté, actualise celle-ci. I », q. xix, a. 8 ; q. xxit, a. 4.

Il est dit explicitement I a, q. xxii, a. 4, ad 3 am : « Le mode de contingence et le mode de nécessité sont des modes de l’être ; ils tombent donc sous la providence de Dieu, qui est cause universelle de l’être. » Comme un grand poète exprime aussi bien les sentiments les plus forts et les plus doux, ainsi Dieu, qui peut faire non seulement ce qu’il veut, mais comme il le veut, fait que la pierre tombe nécessairement et que l’homme agisse librement ; il meut chacun des êtres selon la nature qu’il lui a donnée.

Il suit de là que le chrétien, tout en travaillant de son mieux à son salut, doit s’abandonner à la providence de Dieu, à cause de sa sagesse et de sa bonté. Nous sommes plus sûrs de la rectitude de ses desseins que de la droiture de nos intentions les meilleures. Nous n’avons donc, en nous abandonnant à Dieu, rien à craindre que de ne pas lui être assez soumis. Comme le dit saint Paul, Rom., viii, 28 : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » et qui persévèrent dans son amour. Cet abandon ne dispense pas évidemment de faire ce qui est en notre pouvoir

pour accomplir la volonté divine signifiée par les préceptes, les conseils, les événements ; mais, quand nous l’avons fait, nous pouvons et nous devons nous abandonner pour le reste à la volonté divine de bon plaisir, non encore manifestée, si mystérieuse qu’elle soit. L’abandon est ainsi une forme supérieure de l’espérance ou confiance, unie à l’amour de Dieu pour lui-même. Il s’exprime par la prière de demande et d’adoration. Celle-ci n’a pas pour but de changer les dispositions providentielles, mais Dieu même la fait jaillir de notre cœur, comme un père résolu d’avance d’accorder un bienfait à ses enfants, les porte à le lui demander. II a -II", q. lxxxiii, a. 2.

4. La prédestination est la partie la plus élevée de la providence. Nous ne pouvons ici que résumer brièvement, du point de vue des principes, ce qu’en disent saint Thomas et son école ; nous l’avons exposé longuement ici-même à l’article Prédestination, t. xii, col. 2940-2959 et 2984-3082.

a) Fondement scripturaire. — Saint Thomas a étudié d’abord de très près, dans ses commentaires sur l’évangile de saint Jean et sur les épîtres de saint Paul, les textes scripturaires relatifs à la prédestination, à sa gratuité, à son infaillibilité, en particulier les suivants : Joa., xvii, 12 : « J’ai gardé ceux que vous m’avez donnés et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie. » Joa., x, 27 : « Mes brebis entendent ma voix, je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais et personne ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous, et personne ne peut les ravir de la main de mon Père. Le Père et moi nous sommes un. » Matth., xxii, 14 : « Il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus. » D’après ces paroles il y a des élus choisis de toute éternité par Dieu, ils seront infailliblement sauvés, Dieu les relèvera de leurs fautes et leurs mérites ne seront pas perdus. D’autres se perdront, comme le fils de perdition. Pourtant Dieu ne commande jamais l’impossible, et il rend réellement possible à tous l’accomplissement de ses préceptes à l’heure où ils obligent et dans la mesure où ils sont connus. Le repentir était réellement possible pour Judas, mais de fait il n’a pas existé. Il y a une notable différence entre la puissance et l’acte. Le mystère se trouve surtout dans la conciliation de la volonté salvifique universelle et de la prédestination, non pas de tous, mais d’un certain nombre connu de Dieu seul.

Ce mystère est nettement affirmé par saint Paul à plusieurs reprises, implicitement et explicitement, en des textes que saint Thomas commente longuement, en y montrant la gratuité de la prédestination : I Cor., iv, 7 : « Qui est-ce qui te distingue ? Qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu ? Et, si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu ne l’avais pas reçu ? » Ce qui revient à dire : nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était pas plus aimé et plus aidé par Dieu, bien que pour tous l’accomplissement des préceptes soit réellement possible. Phil., ii, 13 : « C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. »

Pour saint Thomas et son école, comme pour saint Augustin, saint Paul parle explicitement de la prédestination aux Éphésiens, i, 4 : « En lui (en Jésus) Dieu nous a élus, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui. Il nous a prédestinés dans son amour à être ses enfants adoptifs par Jésus-Christ, suivant le bon plaisir de sa volonté, pour faire éclater la gloire de sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables à ses yeux en son (Fils) bien aimé. » Saint Thomas note que saint Paul met en relief tantôt le bon plaisir de la volonté divine, tantôt le propos ou le dessein de l’intelligence divine.