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TAULER. CONTROVERSES POSTHUMES


me nommeras Père et ne cesseras d’entrer à la poursuite de ma hauteur ; mais je t’ai engendré aujourd’hui par mon Fils et dans mon Fils. « Le Saint-Esprit se répand alors dans une charité et une joie inexprimables et débordantes, et il inonde et pénètre le fond de l’homme avec ses aimables dons. » Vetter, serm. Lx d, p. 301 ; Hugueny, t. ii, p. 70-71.

Ces citations expliquent les caractères de l’union mystique d’après Tauler. Elle est une union de l’essence divine avec l’essence ou le fond de l’âme. Union sans intermédiaire, elle ne se fait pas par le moyen des facultés, d’une image ou d’une idée. Union sans différence, c’est-à-dire que, pendant l’union mystique, l’âme perd la conscience d’être distincte de Dieu, bien qu’elle le soit en réalité et qu’elle ne cesse jamais d’être une créature.

L’union mystique ne confirme pas en grâce ceux qui en sont gratifiés. Il faut toujours craindre de tomber dans le péché. Vetter, serm. lv, p. 256-257 ; Hugueny, t. iii, p. 105. Selon Tauler, l’union mystique comporte l’expérience et la jouissance de la présence de Dieu dans le fond de l’âme : « La fête suprême, dit Tauler, est la fête de la vie éternelle, c’est-à-dire l’éternelle félicité où nous serons vraiment en face de Dieu. Cela nous ne pouvons pas l’avoir ici-bas, mais la fête que nous pouvons avoir, c’est un avant-goût de celle-là ; une expérience de la présence de Dieu dans l’esprit par la jouissance intérieure que nous en donne un sentiment tout intime. » Vetter, serm.xii, p. 57 ; Hugueny, t. I, p. 270 ; cf. Vetter, serm. xiii, p. 61 ; Hugueny, t. i, p. 279, etc.

IV. Controverses posthumes.

Tauler eut à subir des contradictions de son vivant. Prédicateur renommé, directeur apprécié, ayant une pensée très personnelle, il devait être en butte à la critique. Il se donnait aussi comme le défenseur de maître Eckhart. De là des mécontentements. Il fait allusion dans l’un de ses sermons aux attaques dont il était l’objet : « S’il arrivait, par exemple, dit-il, qu’on me traitât de faux chien, qu’on tînt pour rien mes enseignements, que je fusse couvert d’ignominies, celui qui s’en peinerait et qui ne verrait pas d’un bon œil ce bonheur qui m’échoit, ne recevrait pas pour autant, de moi, une goutte de plus d’affection ; je l’en aimerais plutôt moins. Vetter, serm. lxx, p. 381 ; Hugueny, t. iii, p. 121. Il recommande à ce propos d’aimer ceux qui nous méprisent. Cf. Vetter, serm. xlii, p. 180 ; serm. xlvi, p. 202 ; Hugueny, t. ii, p. 297-298, 369-370, etc. Il est possible que Tauler ait été traité de béghard ou d’hérétique par certains. Peut-être ces critiques ont-elles empêché Tauler de publier lui-même ses sermons.

Au xvie siècle, Tauler eut les faveurs de Luther, ce qui fut l’occasion de très vives controverses. Pourquoi Luther appréciait-il tant Tauler ? Remarquons tout d’abord que Tauler ne fut pas le seul théologien mystique cité par l’auteur de la Réforme protestante. Denys le Chartreux et d’autres le furent également. Mais Luther l’avait en singulière estime. Les éloges dithyrambiques qu’il fait de lui le prouvent : Hune doctorem [Johan. Taulerum] scio quidem ignotum esse in scholis theologorum, ideoque jorle conlemptibilem. Sed ego plus in eo (licet lotus germanorum vernacula sit conscriptus) reperi theologiæ solidse et sincerse quam in universis omnium universilalum scholasticis doctoribus repertum est, aut reperiri possit in suis sententiis. Resolutiones disputationum de indulgentiarum virtute D. Martini Lulheri ad Leonem decimum Pontif. Maximum, Conclusio x, Lulheri opéra, Iéna, 1612, t. i, p. 73*. Ce qui charmait Luther dans la lecture des sermons du prédicateur rhénan, c’était la tendance qu’il croyait y découvrir à diminuer, au profit de l’union mystique, l’importance des œuvres et des exercices spirituels et à affranchir la vie intérieure du fidèle et

surtout du religieux de toute règle extérieure. Resolutiones disp., ibid. Luther s’autorisait aussi, pour établir ses erreurs sur le purgatoire, des récits de visions du purgatoire ou d’apparitions des âmes qui y souffrent qu’on trouve dans les écrits de Tauler.

On comprend le mécontentement des auteurs catholiques chargés de réfuter les erreurs luthériennes. Puisque Tauler est si bien vu de Luther, il n’y a qu’à jeter pardessus bord un écrivain aussi gênant. Si Tauler est un hérétique, l’apologétique catholique n’aura qu’à le proclamer bien haut. Les doctrines de Luther seront ainsi ruinées par la base. C’est ce que fit l’un des premiers et des plus redoutables adversaires de Luther, Jean Eck, le chancelier de l’université d’Ingolstadt. Voici un passage du très sévère jugement porté par lui contre le célèbre mystique : « Luther allègue, à l’appui de son sentiment [sur le purgatoire], Tauler son rapporteur de songes fsomnialorem suum). Nous le réfuterons sans peine, puisque cet auteur a donné dans les erreurs des vaudois et dans celles de béghards énumérées dans les Clémentines (t. V, tit. iii, De hæreticis, c. ni). Qu’il ait été infecté de ces hérésies condamnées, c’est manifeste et nous le prouverons ailleurs. » Jean Eck semble reprocher à Tauler d’avoir approuvé cette erreur des béghards, condamnée au concile de Vienne en 1311 : « À l’élévation du corps du Christ, on ne doit pas se lever, ni témoigner de révérence particulière, car ce serait une imperfection de descendre des hauteurs de la contemplation jusqu’à penser au sacrement de l’eucharistie. » Peut-être y a-t-il ici une exagération de Jean Eck. Eck se moque ensuite du dire de Luther prétendant que Tauler est supérieur, comme théologien, à tous les docteurs de toutes les universités. Enfin il reproche à Tauler d’avoir gravement nui à la discipline religieuse en mettant l’union mystique au-dessus de la vertu d’obéissance : « Plût à Dieu, après tout, dit-il, que Tauler fût totalement dans l’ombre et qu’il n’eût pas nui aux monastères ! Car [par son enseignement] il démolit toute règle, toute discipline religieuse et l’obéissance elle-même, la perle par excellence des vertus. Sans l’obéissance, que seraient les monastères sinon les gymnases du démon. » J. Eck, De purgatorio contra Lulherum, Paris, 1548, t. III, c. xiii, p. 125 sq. Cf. Vetter, serm. lxiii, p. 341342 ; serm.xii, p. 57 ; Hugueny, t. ii, p. 228-229 ; t. i, p. 272.

Ces critiques coïncidant avec les redoutables progrès de l’hérésie luthérienne discréditèrent si bien Tauler que ses écrits n’étaient lus par personne. Il fallait donc les défendre contre les attaques de Jean Eck. Trois écrivains s’en chargèrent : Louis de Blois, abbé de Lissies, saint Pierre Canisius et le chartreux Laurent Surius. Louis de Blois († 1566) composa une apologie de Tauler en réponse aux critiques formulées par Jean Eck dans son traité du purgatoire. Cette apologie fut mise en appendice au traité de Louis de Blois intitulé l’Institution spirituelle et envoyée en 1551 à l’un de ses amis, Florent du Mont : Ludovici Blosii Instilutionis spiritualis appendix quarta. sive Apologia pro D. Joanne Thaulero aduersus D. Joann. Eckium. Opéra Anvers, 1632, p. 329 sq. La réfutation des accusations de Jean Eck consiste pour Louis de Blois à renvoyer aux Institutions considérées alors comme l’œuvre de Tauler et aux Sermons.

On attribue à saint Pierre Canisius (Pierre de Nimègue, f 1597) l’édition allemande des œuvres de Tauler de 1543. L’auteur de cette édition a utilisé les éditions antérieures et aussi des manuscrits. Cf. Hugueny, t. i, p. 47. Le but de l’éditeur est évidemment apologétique : « ru, pntrer que Tauler n’est pas un précurseur de Luther ». Dans la préface, Canisius fait remarquer que la plupart des sermons de Tauler n’ont pas été rédigés par lui-même ; ce sont les auditeurs qui