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THOMISME. LE TRAITÉ DE L’INCARNATION


lui seul est son existence et son action, tandis que toute créature est composée d’essence et d’existence, nulla creatura est suum esse, sed habet esse ; la créature n’est pas son existence, mais elle a l’existence qu’elle a reçue ; on voit ici toute la différence du verbe être et du verbe avoir ; et comme l’agir suit l’être, toute créature est dépendante de Dieu dans son agir, comme elle est dépendante de lui dans son être même. Ainsi parle la sagesse qui juge de tout par la cause la plus élevée et par la fin ultime, par Dieu, principe et fin de toutes choses.

VIII. L’incarnation rédemptrice dans la synthèse thomiste. — Au sujet de l’incarnation rédemptrice, pour souligner les thèses fondamentales sur lesquelles ont particulièrement insisté les commentateurs de saint Thomas, nous parlerons 1. de la convenance et du motif de l’incarnation ; 2. d l’union hypostatiquc ou de la personnalité du Christ, de l’intimité de cette union, de l’unité d’existence pour les deux natures ; 3. des suites de l’union hypostatique pour la sainteté du Christ, sa plénitude de grâce, sa prédestination, son sacerdoce, sa royauté universelle, de la nécessité en toutes ces questions de considérer Jésus, non seulement soit comme Dieu, soit comme homme, mais aussi comme Homme-Dieu, ratione unitalis supposili ; 4. de la valeur intrinsèquement infinie de ses mérites et de sa satisfaction ; 5. de la conciliation de la liberté du Christ et de son impeccabilité absolue ; 6. du motif pour lequel Jésus a tant souffert, alors que le moindre de ses actes d’amour suffisait à notre rédemption. Nous parlerons enfin dans la section suivante de la sainteté de Marie, Mère de Dieu, de l’immaculée-conception et des rapports de la maternité divine avec la plénitude de grâce.

1° La convenance et le motif de l’incarnation. III », q. i. — Saint Thomas manifeste, sans la démontrer, la possibilité et la convenance de l’incarnation par ce principe : le bien est diffusif de soi, communicatif de lui-même et, plus il est d’ordre élevé, plus il se communique abondamment et intimement. » On voit cette loi s’appliquer de mieux en mieux, selon l’échelle des êtres, dans le rayonnement de la chaleur et de la lumière du soleil, dans celui de la vie végétative, de la vie sensitive, de l’intelligence et de l’amour. Plus le bien est parfait, plus il est diffusif de lui-même de façon intime et profonde, comme la fin qui attire, et eonséquemment par voie d’efficience, car tout agent agit pour une fin. Le bien a de soi essentiellement l’aptitude à se communiquer, à perfectionner ; quant à la communication actuelle, elle est nécessaire dans l’agent déterminé ad unum, comme dans le soleil qui rayonne, elle est libre dans l’agent libre ; cf. Cajétan, ibid., :. 1, En se communiquant ainsi, le bien perfectionne sans être lui-même perfectionné. Or, Dieu est le souverain bien, infini. Donc il convient qu’il se communique librement lui-même en personne à une nature créée, ce qui arrive par l’incarnation du Verbe.

Cette raison ne démontre pas la possibilité de l’in-CBRiation, car ni la possibilité ni l’existence d’un mystère essentiellement surnaturel n’est démontrable par la seule raison. Mais c’est là une profonde raison de convenance, qu’on peut toujours scruter davantage. Il n’y I pas eu sur ce sujet de controverse notable entre i béologlens.

Il n est autrement s’il s’agit du motif de l’incarnation. On connaît sur ce point la thèse de saint Thomas, dans le plan actuel de la providence, vi /ir/psenffl rlrrreti, si le premier homme n’avait pas péché, le Verbe ne m sérail pas incarné ; mais, après le péché, I » < » ii r offrir à Dieu une satisfaction adéquate, pour nous racheter,

La raison de cette position est celle-ci : Ce qui dépend de la seule volonté de Dieu et dépasse absolu ment ce qui est dû à la nature humaine ne peut nous être connu que par la Révélation divine. Or, dans la Révélation, contenue dans l’Écriture et. la Tradition, partout la raison de l’incarnation est tirée du péché du premier homme à réparer, ubique ratio incarnationis ex peccato primi hominis assignatur. Donc, conclut saint Thomas, il est plus convenable de dire que, si le premier homme n’avait pas péché, le Verbe ne se serait pas incarné, mais qu’après le péché il s’est incarné pour offrir à Dieu une satisfaction adéquate pour notre salut. C’est ainsi qu’il est dit en saint Luc, xix, 10 : Venit enim Filius hominis quasrere et salvum lacère qixod perlerai, cf. Matth., xviii, 11 ; I Tim., i, 15 ; Joa., iii, 17 ; cf. S. Augustin, Serm., clxxiv, n. 2 ; clxxv, n. 1 : Si homo non periisset, Filius hominis non venisset. De même S. Irénée, Cont. hier., V, xiv, 1 ; S. Jean Chrysostome, In Ep. ad Hebr., hom. v, n. 1.

Scot soutient au contraire que, même si Adam n’avait pas péché, dans le plan actuel de la Providence, le Verbe se serait incarné pour manifester la bonté divine, mais il ne serait pas venu in carne passibili, dans une chair sujette à ! a douleur et à la mort. Selon Suarez, De incarn., disp. V, sect. 2, n. 13 ; sect. 4, n. 17, l’incarnation s’est faite également pour la rédemption de l’homme et pour manifester la bonté de Dieu, et il entend « également », non pas comme les thomistes au sens d’une subordination, mais plutôt au r-ens d’une coordination de deux fins principales ex aequo, ainsi qu’en plusieurs autres points qui caractérisent son éclectisme.

Les thomistes confirment la raison donnée par saint Thomas par la considération des décrets efficaces en tant qu’ils diffèrent des décrets conditionnels et inefficaces. Ces derniers portent sur la chose à réaliser prise en soi, abstraction faite des circonstances, par exemple sur le salut de tous les hommes, car il est bon en soi que tous les hommes soient sauvés ; mais ces décrets conditionnels et inefficaces peuvent être modifiés, par exemple du fait que Dieu juge qu’il convient de permettre l’impénitence finale d’un pécheur comme Judas, pour manifester son infinie justice. Par opposition, les décrets divins efficaces portent sur la chose à réaliser avec toutes ses circonstances, car rien ne peut être réalisé de fait que hic et nunc, et par suite ces décrets efficaces ne peuvent être modifiés, mais ils s’accomplissent infailliblement ; cf. I », q. xix, a. 6, ad ï » m. Les thomistes en tirent une confirmation de la raison donnée par saint Thomas. Comme les décrets divins efficaces, disent-ils, ne sont pas modifiés par Dieu, mais s’étendent de toute éternité non seulement à la chose à réaliser, mais à toutes ses circonstances) hic et nunc, le présent décret efficace de l’incarnai ion s’étend de toute éternité à cette circonstance particulière qui est la passlbililé de la chair du Sauveur. Or, les scolistes eux-mêmes concèdent que l’incarnation dans une chair passible suppose le péché du prentl r homme. Donc, de par le présent décret efficace ou dans le plan actuel de la Providence, le Verbe ne se sérail pas incarné si Adam n’avait pas péché. Bref la volonté divine efficace porte sur l’Incarnation telle qu’elle s’est réalisée de fait in carne passibili. ce qui suppose le péché.

Aux yeux des thomistes l’argument est Irréfutable, et il suppose que la fin ultime de l’Incarnation est » par la voie de la rédemption, la manifestai ion de la bonté divine, ce. sont des fins non pas coordonnées, mais subordonnées. Cette raison ainsi confirmée paraît démonstrative et elle porte autant coude Suarez que contre Scot. Le Symbole de Nicée dil du Fils d< Dieu : qui proptT nos homines et proptrr noslrnm salittem descendit de ceeiis. Irénée, Chrysostome, Augustin ont

dil : Si homo non peccnssel. l’ilius liominis non rcmssrt. Scot et Suarez entendent : orniuet, srd non in rurnr