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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/477

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THOMISME. MARIOLOGIE


éclatant des deux précédentes, et s’accomplir par la résurrection glorieuse et l’ascension. C’est ce que dit saint Paul, Phil., ii, 8 : « Le Christ Jésus s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné un nom au dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse. .. et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. »

Ce traité de l’incarnation rédemptrice est un de ceux qui montrent bien que le thomisme n’est pas seulement la somme de certaines thèses juxtaposées, mais une manière de rechercher, d’exposer la vérité dans l’ordre de la nature et dans celui de la grâce, d’unir dans une vivante synthèse les vérités surnaturelles et naturelles selon leur subordination essentielle. La valeur de cette synthèse dépend de l’idée mère dont elle est le rayonnement. Dans le traité de Dieu, cette idée mère est celle-ci : Dieu est l’Être même subsistant, en lui seul l’essence et l’existence sont identiques. Dans le traité de l’incarnation, l’idée mère est celle de la personnalité divine du Sauveur ; l’unité de personne pour les deux natures entraîne l’unité d’existence (q. xvii, a. 2) ; elle entraîne aussi pour l’Homme-Dieu la sainteté substantielle, la perfection souveraine de son sacerdoce, sa royauté universelle sur toute créature. Enfin, la personne étant le principe quod des actes qui lui sont attribués, les actes théandriques du Christ ont une valeur intrinsèquement infinie comme mérite et satisfaction. En ce traité toutes les thèses se rattachent à cette idée fondamentale.

Ces deux traités De Deo et De Saluatore sont les deux parties les plus importantes de l’édifice théologique, et tout le reste en cet édifice dépend de leur solidité.

IX. Mariologie.

S. Thomas, III », q. xxviixxx ; commentaires de Cajétan, de Nazarius, de J.-M. Vosté, 1940 ; cf. Contenson, Theologia mentis et cordis,

t. X, diss. vi ; N. del Prado, S. Thomas et bulla Inefjabilis, 1919 ; E. Hugon, Tractatus theol., t. ii, 716-795, 5e éd., 1927 ; G. Friethoff, De aima socia Christi mediatoris, 1936 ; B.-H. Merkelbach, Mariologia, 1939 ; R. Garrigou-Lagrange, La Mère du Sauveur et notre vie intérieure, 1941. — Comme, dans le traité de l’incarnation, de l’union hypostatique dérivent la plénitude de grâce habituelle et les diverses prérogatives du Christ, dans la mariologie, la maternité divine est la raison d’être de toutes les grâces de Marie, de son rôle de mère et de médiatrice à notre égard.

Nous parlerons 1. de la prédestination de Marie,

2. de la dignité de mère de Dieu, 3. de la sainteté de Marie, 4. de sa médiation universelle. Sur ces points nous indiquerons ce qui est plus communément enseigné par les thomistes et nous essaierons de préciser les raisons pour lesquelles saint Thomas a hésité à affirmer le privilège de l’immaculée conception.

Prédestination de Marie.

Par un même décret,

Dieu a prédestiné Jésus à la filiation divine naturelle et Marie à être mère de Dieu, car la prédestination éternelle du Christ porte non seulement sur l’incarnation, mais sur les circonstances où elle devait se réaliser hic et nunc, et parmi ces circonstances, il faut surtout compter celle mentionnée par le Symbole de Nicée-Constanlinople : et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine. Pie IX, dans la bulle Ineffabilis Deus, fait clairement allusion à ce décret unique, lorsque, parlant de l’immaculée conception de Marie, il dit : illius Virginis primordia quæ uno eodemque decreto cum divinæ Sapientiee incarnatione fuerunt prœstituta.

Il suit de là que, comme Jésus fut prédestiné à la filiation divine naturelle avant (in signo priori) de l’être au plus haut degré de gloire, puis à la plénitude

de grâce, qui convenaient à la sainte âme du Verbe de Dieu fait chair, de même Marie fut prédestinée d’abord à la maternité divine et par voie de conséquence à un très haut degré de gloire, puis à la plénitude de grâce qui convenaient à la mère de Dieu pour qu’elle fût pleinement digne de la grandeur de cette mission, qui devait l’associer plus intimement que personne à l’œuvre rédemptrice de son Fils. Cf. Contenson, loc. cit. ; E. Hugon ; B.-H. Merkelbach, toc. cit.

Cette prédestination de Marie, selon la doctrine de saint Thomas, dépend in génère causse malerialis perficiendæ de la prévision du péché d’Adam, car, selon cette doctrine, dans le plan actuel de la Providence, si le premier homme n’avait pas pèche et s’il n’y avait pas eu de péché originel à réparer, Marie n’aurait pas été mère de Dieu. Mais « là où la faute a abondé, la grâce a surabondé », Rom., v, 20, et la faute a été permise par Dieu pour ce plus grand bien qui se manifeste par l’incarnation rédemptrice et son rayonnement. III », q. i, a. 3, ad 3um. D’où il suit que Marie, de par sa prédestination, est mère de miséricorde, comme mère du Rédempteur, à qui elle doit être intimement associée.

Comme celle du Christ, la prédestination de Marie à la maternité divine est absolument gratuite. La Vierge n’a pu mériter de condigno, ni même de congruo proprie d’être la mère de Dieu ; c’est la doctrine commune contre Gabriel Biel. En d’autres termes elle n’a pu mériter l’incarnation, d’où dérivent toutes les grâces qu’elle a reçues ; le principe du mérite en effet ne tombe pas sous le mérite ou ne peut être mérité ; or, dans l’économie actuelle du salut, l’incarnation est le principe de toutes les grâces et de tous les mérites, de ceux de Marie et des nôtres. De plus il n’y a pas de proportion entre les mérites de l’ordre de la grâce et l’ordre hypostatique qui est absolument transcendant ; or, les mérites de Marie restent de l’ordre de la grâce, tandis que la maternité divine se réfère à l’ordre hypostatique, puisqu’elle se termine à l’Homme-Dieu, à la personne du Verbe fait chair. Saint Thomas dit, III », q. ii, a. 11, ad 3um : B. Virgo dicitur mentisse portare Dominum omnium, non quia meruit ipsum incarnari, sed quia meruit ex gratia sibi data illum puritalis et sanctitatis gradum ut congrue posset esse mater Dei. Il va un peu plus loin, In III um Sent., dist. IV, q. iii, a. 1, ad 6um, en disant : B. Virgo non meruit incarnalionem, sed supposita incarnatione, meruit quod per eam fieret, non quidem mérita condigni, sed merito congrui, in quantum decebat quod mater Dei essel purissima et perfectissima virgo. Plusieurs thomistes, comme Sylvius et Billuart, l’entendent d’un mérite de congruo late dicto. Cf. Contenson, loc. cit. Cette doctrine se concilie parfaitement avec cette autre que Marie nous a mérité de congruo proprie les grâces que nous recevons et que le Christ nous a méritées de condigno.

2° Dignité de la maternité divine. III », q. xxxv, a. 4.

— Il a été défini par le IIe et le IIIe concile de Constantinople que « Marie doit être dite vraiment et proprement mère de Dieu ». C’est qu’en effet le terme de la génération est, non pas la nature humaine, mais la personne engendrée ; or, la personne ici est celle du Verbe incarné, qui est Dieu.

Il suit de là que la maternité divine est une relation dont les deux extrêmes sont Marie et le Christ. El, comme le Christ appartient à l’ordre hypostatique, Marie par sa maternité a une relation à l’ordre hypostatique. Cette relation est réelle du côté de Marie, et elle est de raison du côté de la personne du Verbe incarné, comme la relation de Dieu créateur aux créatures.

Saint Thomas exprime bien la dignité de la mater-