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TÉMOIGNAGE (FAUX !


duction trop étroite du texte hébreu de l’Exode, ainsi formulée : « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain », Ex., xx, 16, a fait de ce péché la substance même du huitième précepte, dont il a fallu plus ou moins facticement étendre la formule prohibitive au mensonge et à la diffamation. En fait, le texte hébreu de l’Exode, xx, 16, et du Deutéronome, v, 20 se traduit littéralement : « Tu ne répondras pas par un témoignage de mensonge contre ton prochain » ; le huitième commandement interdit donc d’une manière générale toute parole mensongère contre autrui, et tout spécialement la diffamation sous forme de témoignage, judiciaire ou non. Voir La Sainte Bible, t. ii, A. Clamer, Le Deuléronome, p. 555. Ainsi a-t-on été amené à traiter de ce péché au chapitre du mensonge ; c’est ce qui se constate dans tous les catéchismes et ouvrages de prédication, dans saint Thomas, II » -II æ, q. lxx, a. 4, et plusieurs manuels de théologie. Étudions donc le faux témoignage comme un mensonge judiciaire.

C’est un mensonge.

Le faux témoignage est par

sa nature même un mensonge, c’est-à-dire une déclaration sciemment fausse, faite dans l’intention de tromper le prochain. Renvoyons à l’article Mensonge, t. x, col. 555-569, pour l’explication du mot ; mais il faut insister sur les caractères de ce mensonge : il est un témoignage dont la fin éloignée, en trompant le tribunal, est de rendre service ou de nuire à quelqu’un.

1. Il est un témoignage, venant au secours d’une autre affirmation, celle d’un plaignant ou celle d’un prévenu, celle d’un demandeur ou celle d’un défendeur, et qui a pour fin de lui assurer créance ou d’infirmer des affirmations contraires. En prononçant son témoignage mensonger, le témoin ou celui qui se dit témoin d’un fait, d’une parole, a tout premièrement l’intention d’induire en erreur le juge, celui dont la fonction officielle est de chercher la vérité relative à un fait de la cause portée au tribunal. Or, le faux témoin cache la vérité : il la nie, il la dénature, il l’embrouille, il l’entoure de toutes sortes d’obscurités, afin de provoquer dans l’esprit du juge une idée fausse ne correspondant pas à la réalité, ou du moins un doute sérieux qui lui fera porter une sentence peut-être injuste.

2. En trompant le tribunal, le faux témoin poursuit une fin éloignée et toute spéciale qu’il ne perd jamais de vue, celle de rendre service à quelqu’un, souvent en nuisant à un autre.

a) Ordinairement, sinon toujours, le faux témoin veut d’abord rendre service ; c’est même par cette considération qu’habituellement il essaiera de tranquilliser sa conscience. À une personne, à une famille, à un corps constitué, à un parti, à une cause, il apporte aide et secours, soit par intérêt propre, amitié ou solidarité, soit parce qu’il a été acheté et qu’il a cédé à la tentation de cupidité. Ainsi le faux témoignage est directement un mensonge officieux qui tend à sauver la vie, la liberté, l’honneur, la situation, la fortune de quelqu’un, ou encore à lui procurer ou conserver des avantages matériels.

b) Souvent cet intérêt, voulu en faveur de quelqu’un, ne pourra se réaliser avec plus ou moins de probabilité, qu’au détriment injuste d’un tiers. Le témoin se trouve ainsi en face d’un acte à double effet. Le premier, celui de l’intérêt, il le désire d’une intention directe ; l’autre, l’effet injuste, non seulement il le tolère ou l’accepte, mais il le veut comme moyen de servir ses intérêts propres ou ceux d’autrui. Parfois même, le tort injuste résultera immédiatement du profit réalisé, ou bien encore, sans poursuivre un intérêt personnel ou un avantage en faveur d’un ami, le témoin se laissera exclusivement guider par le motif de nuire à un ennemi et de lui faire tort dans sa vie,

dans son honneur, dans ses biens. En pareil cas le faux témoignage devient proprement un mensonge pernicieux.

Un mensonge judiciaire.

En soi le faux témoignage

peut être porté spontanément ou à la réquisition de n’importe quelle personne. Toutefois l’usage a restreint la signification du terme, en sorte qu’il n’est entendu que d’une déposition devant les tribunaux et normalement d’un témoignage avec faux serment.

1. Au sens technique du mot le faux témoignage est nécessairement judiciaire, qu’il soit prononcé devant un tribunal ecclésiastique ou séculier, contentieux ou criminel, proprement judiciaire ou administratif, par quelqu’un qui a été régulièrement cité dans une cause comme partie ou comme témoin.

Certes, il ne manque pas de témoignages mensongers commis en dehors des tribunaux au moyen de dénonciations orales ou écrites. Près d’un supérieur, d’un chef, d’un patron on lance une calomnie et on se déclare témoin direct ou indirect de telle parole, de tel geste, de telle attitude, de tel fait ou méfait ; pour nuire à un ennemi ou à un concurrent, par lettre anonyme on diffame un fiancé, on dénonce quelqu’un à la police. Strictement, au sens étymologique, ce sont là des faux témoignages, graves de leur nature. Pourtant il ne viendra à personne l’idée de les classer dans cette espèce de mensonges qui a pris le nom de faux témoignage. — Seules méritent cette dénomination, les dépositions faites généralement de vive voix à la requête du juge siégeant en son tribunal ; le témoin est cité pour éclairer le tribunal, mais le faux témoin profite de cette circonstance pour en obscurcir et égarer l’appréciation. La citation par le juge est requise ; aussi le faux dénonciateur ne devient-il faux témoin qu’à partir du moment où il a repris et développé sa déposition devant le tribunal. En revanche, il n’est pas nécessaire d’être témoin, au sens le plus strict du mot : celui qui est cité d’office ou sur la demande des parties ; les parties en cause, elles-mêmes, surtout quand elles sont assermentées comme en certaines causes ecclésiastiques, peuvent se rendre coupables de faux témoignage. Par contre nous n’accuserions pas de faux témoignage, mais de grave abus de pouvoir, le procureur, le substitut, l’avocat qui sciemment falsifierait un texte ou un document.

2. Le faux témoignage est normalement appuyé sur un serment, celui de dire la vérité ou d’avoir dit la vérité. Cet élément si important n’est toutefois pas essentiel ; et le faux témoignage n’en existe pas moins si la déposition judiciaire n’a pas été confirmée par ce moyen ordinaire.

Le serment, voir ici t. xiv, col. 1940-1943, est l’affirmation solennelle de la vérité par l’invocation de Dieu comme témoin. C’est la définition théologique qui fait de l’invocation de Dieu en témoignage de la vérité un élément essentiel du serment ; pour le théologien le vrai serment est un acte religieux. Devant le tribunal le témoin prononce habituellement une formule juratoire par laquelle il s’engage devant Dieu à dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. En plus de son témoignage, que la société ne considère pas comme suffisant, il fait intervenir l’autorité de la vérité et de la justice divines comme garante de ce qu’il va déclarer ou, plus rarement, de ce qu’il a déjà déclaré. Sa déposition est non seulement une affirmation publique et solennelle, mais il a bien conscience d’accomplir un acte religieux quand il lève la main et, à l’invitation du juge, prononce la formule sacrée.

Toutefois il ne faut pas oublier qu’aux yeux de certaines législations le serment est uniquement une affirmation solennelle de la vérité, revêtue sans doute de formalités déterminées, mais dépourvue de tout caractère religieux. Il est donc permis de distinguer