Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
965
966
THOMISME. LES VERTUS EN GÉNÉRAL


avons vu énoncer par saint Thomas dans sa définition de l’opinion. La théorie de Médina revient à dire que l’on peut, avec une suffisante justification, soutenir le oui et le non sur un même objet d’ordre moral.

Cependant Médina fit valoir l’utilité de cette théorie, et il fut suivi par un certain nombre de dominicains espagnols : Louis Lopez, Dominique Baficz, Diego Alvarez, Barthélémy et Pierre de Ledesma. Les jésuites adoptèrent généralement cette théorie connue de plus en plus sous le nom de probabilisme.

Mais là pente était glissante. Comme le dit ici le P. P. Mandonnet, art. Frères prêcheurs, t. v, col. 919 : « La facilité à rendre toutes les opinions probables dès que les contradictoires pouvaient l’être ne tarda pas à aboutir ? de graves abus. Les Provinciales de Pascal, en 1656, jetèrent dans le domaine public ces questions demeurées jusqu’alors à l’intérieur des écoles. Le scandale fut grave, et Alexandre VII signifiait cette même année au chapitre général des dominicains sa volonté < ? voir l’ordre combattre efficacement les doctrines probabilistes. » Depuis lors, les frères prêcheurs, ne comptèrent plus d’écrivains probabilistes. Cf. art. Probabilisme, t. xiii, col. 502 sq.

En 1911, le P. A. Gardeil, O. P., publia un livre posthume de son maître le P. R. Beaudouin, O. P., Tractalus de conscientia, Paris, qui propose une conciliation intéressante des principes de saint Thomas avec l’équiprobabilisme de saint Alphonse de Liguori, considéré comme une forme du probabiliorisme. Saint Alphonse en effet, là où l’usage de la probabilité est permis, demande de recourir au « principe de possession » pour se prononcer entre deux opinions équiprobables. Le principe de possession (qui, en ce système, parait avoir une priorité sur cet autre : Lex dubia non obligal) dérive lui-même d’un principe réflexe plus général qui a toujours été admis : In dubio standum est pro quo stat præsumptio ; cf. M. Prùmmer, O. P., Manuale Iheol. mor., Eribourg-en-B., 1915, 1. 1, p. 198.

Le P. Gardeil, comme le P. Beaudouin, maintient, dès lors (ainsi que le P. Deman, O. P., art. Probabilisme, col. 431 sq.) le sens du mol « probable bien expliqué par saint Thomas, de sorte que là où le oui est cerlaineriK ni plus probable, le non n’est pas probablement vrai, mais probablement faux. En d’autres termes lorsque le oui est certainement plus probable, l’inclination raisonnable à adhérer l’emporte sur la crainte d’erreur ; et alors, si connaissant bien cela, on soutenait le non, la crainte d’erreur l’emporterait sur l’inclination à nier. Bref : In conflictu afprmationis quæ cerlo probabilior est, negatio non est probabilis, id est non est probabililer vera, sed potins probabiliter toisa.

Saint Tbomas » ï f « bien de temps à autre quelque principe réfli xe, utile pour la formation de la conscience, par exemple : In dubio standum est pro quo stiit prtestimptio ; mais, s’il insiste peu sur ces principes réflexes, c’est qu’il lui paraît plus important de rappeler que l.i certitude prudentielie, qui est per conjortnilalem ad appetilum rectum, I » -II », q. lvii, a. 5, ad 3™, se trouvi en ce qui paraît le plus proche de la vérité évidente et le plus conforme, non pas au pencbanl de l’égolsme, niais à l’inclination vertueuse.

3° Les passions. Aux actes proprement humains,

ittacbent les passions. Ce sont des actes de l’ap pétll lensitif, communs à l’homme et à l’animal : mais

ictes participent à la moralité en tant qu’ils sont

réglés ou suscités par la droite raison, ou non réprimé !

p i’ell comme il le faudrait.

La volonté doit utiliser les passions, ainsi le courage

a i li vertu de force se sert de l’espoir et de L’audace,

modérant : de même la pitié sensible facilite en

nous l’exercice de la vertu de mi série orde, et l’émotion

louable de le pud< ur Facilite la vertu de chasteté. Saint

Thomas s’élève ainsi au dessus des deux extrêmes opposés représentés par le stoïcisme, qui juge mauvaises toutes les passions, et par l’épicurisme qui les glorifie. Il est clair que Dieu nous a donne la sensibilité, l’appétit sensitif, comme il nous a donné les sens intérieurs et l’imagination, comme il nous a donné nos deux bras pour que nous les utilisions en vue du bien moral. Ainsi utilisées, les passions bien réglées sont des forces. Et, tandis que la passion dite antécédente, qui précède le jugement, obnubile la raison, comme il arrive chez le fanatique et le sectaire, la passion dite conséquente, qui suit le jugement de la droite raison éclairée par la foi, augmente le mérite et montre la force de la bonne volonté pour une grande cause. Q. xxiv, a. 3. Par contre les passions déréglées ou indisciplinées par leur dérèglement deviennent des vices ; l’amour sensible devient gourmandise ou luxure, l’audace devient témérité, la crainte devient lâcheté ou pusillanimité. Mises au service de la perversité les passions augmentent la malice de l’acte.

Suivant en cela Aristote, saint Thomas rattache les passions à l’appétit concupiscible (amour et haine, désir et aversion, joie et tristesse) et à l’appétit irascible (espoir et désespoir, audace et crainte, enfin colère). L’amour est la première de toutes les passions, toutes les autres en dépendent ; de l’amour procèdent le désir, l’espérance, l’audace, la joie, et aussi les passions contraires : la haine, l’aversion, le désespoir, la crainte, la colère, la tristesse. Saint Thomas étudie chacune de ces passions en particulier, c’est un modèle d’analyse psychologique, qui est resté trop peu connu. Il faut lire notamment ce qu’il a écrit sur l’amour, sa cause, ses eflets, q. xxvi-xxviii, d’autant qu’il y formule des principes généraux qui s’appliquent ensuite analogiquement à l’amour surnaturel de bienveillance, ou à la charité, tout comme ce qu’il dit de la passion de l’espoir s’applique analogiquement à la vertu infuse d’espérance.

XIII. Les vertus en général et leurs contraires. — Saint Thomas n’a pas divisé la partie morale de la Somme théologique comme on le fera souvent plus tard, selon les préceptes du décalogue, dont plusieurs sont négatifs. Il considère surtout les vertus théologales et morales, en montrant leur subordination et leur connexion ; il fait voir en elles comme autant de fonctions d’un même organisme spirituel, auquel se rattachent aussi les sept dons du Saint-Esprit, car ces derniers sont connexes avec la charité. De ce point de vue la théologie morale est moins la science du péché mortel à éviter, que celle des vertus à pratiquer. Elle s’élève ainsi très au-dessus de la casuistique, qui n’est que son application pour la solution des cas de conscience,

La charité, qui anime ou informe toutes les autres vertus et rend leurs actes méritoires, apparaît alors très manifestement comme la plus haute des vertus, et, de par les préceptes suprêmes de l’amour de Dieu et du prochain, qui dominent de très haut le Décalogue, tout chrétien, chacun selon sa condition, doit tendre à la perfection de la charité. I » -II », q. clxxxiv, a. 3. La théologie morale s’achève ainsi dans une spiritualité qui met au dessus de tout l’amour de Dieu et la docilité au Saint -Esprit par les sept dons. De ce point de vue l’ascétique, qui Ludique la manière d’éviter le péché et de pratiquer les vertus, est ordonnée à la mystique, qui traite de la docilité au Saint-Esprit, « le la contemplation infuse des mystères <le la toi et de L’union intime avec Dieu. L’exercice éminent des dons d’intelligence < t ds sagesse, qui rendent la foi i trante et savoure use, apparaît dès loi s d ; ms la voie normale de la sainteté et notablement différent îles

faveurs proprement extraordinaires, comme Le sont les

révélations, les visions, les stigmates, etc.

1° Les « habitas. — Saint Thomas fait précéder le