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TRANSFORMISME. EXPOSÉ


culiers, se rattachant, par leur point de départ, aux formes archaïques de l'époque où ces continents étaient rattachés les uns aux autres, mais ayant continué à évoluer après la séparation, chacune à sa manière, pour arriver à l'état actuel.

2. Aménagements nécessaires.

Telles sont les grandes lignes de l’argumentation apportée par le transformisme. Il faut ajouter que les plus avertis tout au moins des naturalistes-philosophes se rendent compte que bien des trous subsistent encore dans la doctrine et que, si les grands principes en demeurent assurés, bien des aménagements sont néanmoins indispensables pour qu’elle puisse encadrer tous les faits. Nul ne l’a mieux fait comprendre, en ces derniers temps, que le transformiste très décidé qu’est le R. P. Teilhard de Chardin, S. J. : Comment se pose aujourd’hui la question du transformisme ? dans Études, juin 1921, t. clxvii, p. 524-544 ; Le paradoxe transformiste, dans Revue des questions scientifiques, 20 janvier 1925, p. 53-80 ; Que penser du transformisme ? même revue, 1930, p. 90-98. Ému de diverses attaques parties de certains milieux chrétiens ou neutres contre le transformisme, l’auteur, après une vigoureuse profession de foi dans la vérité de la doctrine, essaie de faire le point de ce qui est acquis à l’heure présente, de ce qui reste incertain, des données précises enfin sur lesquelles tous devraient se mettre d’accord. Nous découvrons, aujourd’hui, dit-il, en substance, que l'évolution biologique est beaucoup plus compliquée dans son processus que l’on ne l’avait d’abord imaginé. On s’est aperçu que beaucoup de séries vivantes considérées comme généalogiques (phylétiques) étaient seulement morphologiques, c’est-à-dire n’avaient été établies qu’en suivant la variation d’un organe en particulier. (L’histoire des ancêtres du cheval est à ce point de vue particulièrement instructive.) Il a fallu renoncer aussi à l’idée d’une évolution régulière, continue, totale. (De fait, par exemple, tels groupes déjà très compliqués nous arrivent à peu près sans changement du plus profond des âges géologiques.) Tout est plus ancien que nous ne pensions dans le monde et tout est beaucoup plus stable aussi. Ces restrictions apportées par les faits aux concepts premiers du transformisme ont été souvent considérées par les flxistes comme des défaites infligées à leurs adversaires. C’est un tort. En dépit de tout, dans la foule si variée des espèces disparues, il est possible de reconnaître certaines lignes de développement indubitables. Il y a des généalogies bien constituées qui permettent de remonter des animaux actuellement vivants à de petites bêtes chez qui un œil non exercé cherche vainement ce qui peut bien rappeler les types d’aujourd’hui. Ces quelques lignes solidement établies ont, en zoologie, la même importance que la mesure d’une base en géodésie ou l'établissement d’une maille en cristallographie. Elles fournissent, en effet, des axes et une loi de périodicité suivant lesquels nous pouvons ordonner progressivement la troupe confuse de tous les autres vivants, et l'étude des rameaux isolés nous amène à la contemplation de l’arbre même de la vie… Ce vaste édifice n’est pas une mosaïque d'éléments artificiellement groupés, mais la distribution de ses parties est l’effet d’un processus naturel. Depuis le plus petit détail jusqu’aux plus vastes ensembles, notre univers vivant a une structure et cette structure ne peut être due qu'à un phénomène de croissance. Voilà la grande preuve du transformisme et la mesure de ce que cette théorie a de définitivement acquis… Les vivants se tiennent biologiquement. Ils se commandent organiquement dans leurs apparitions successives, de telle sorte que ni l’homme, ni le cheval, ni la première cellule ne pouvaient apparaître ni plus tôt, ni plus tard qu’ils ne

l’ont fait. Par suite de cette connexion enregistrable entre formes vivantes, nous devons chercher et nous pouvons trouver un fondement matériel, c’est-à-dire une raison scientifique de leur enchaînement. Les accroissements successifs de la vie peuvent être l’objet d’une histoire. En définitive, si l'évolution biologique nous apparaît de plus en plus compliquée dans son processus, elle nous apparaît de plus en plus certaine, à condition d'être comprise comme une relation générale de dépendance et de continuité physique entre formes organisées… Mais quand l’esprit a saisi dans les choses un fragment d’ordre, il ne se résout pas facilement à en abandonner l’achèvement ; il cherche à prolonger les lignes entrevues. À peine les sciences naturelles nous ont-elles découvert l’existence d’un courant de la vie et déjà nous voudrions savoir d’où vient ce courant et où il va, quelle force de cohésion cimente ses gouttes innombrables, quelle pente mystérieuse entraîne son flot. Sous quelle forme, nous demandons-nous, s’est manifestée la vie primordiale ? Est-elle apparue comme une spore unique d’où le grand arbre des espèces serait issu tout entier (monophylétisme)? ou bien, au contraire, ne s’est-elle pas condensée comme une large rosée qui a brusquement couvert notre planète d’une myriade de germes initiaux où déjà était préformée la pluralité à venir des formes vivantes (polyphylétisme)? Art. cité des Études, passim.

Ne parlons donc pas, continue le même auteur, de « l’immense illusion transformiste » (allusion au livre de Vialleton, signalé ici col. 1367). Non, ce n’est pas une illusion que la distribution ordonnée, organisée, inéluctable des vivants à travers le temps et l’espace. Que si des difficultés sont opposées à la vieille hypothèse d’une transformation par descendance, il n’est pas impossible, en maintenant celle-ci, d’expliquer comment il peut se faire que le mouvement qui entraîne les vivants dans leurs évolutions successives soit si vaste ou si intermittent que nous ne puissions jamais, en fait, saisir dans nos laboratoires que des fragments d’immobile et de rigidité.

Et d’abord il convient de se faire une idée plus claire des mutations (dont on sait qu’elles sont considérées aujourd’hui comme le facteur capital de l'évolution). Ces mutations n’aboutissent pas en fait à des « monstruosités » au sens vulgaire du mot. La formation brusque d’un chiroptère (chauve-souris) ou d’un phoque actuels à partir d’un animal analogue à une musaraigne ou à une loutre est évidemment inimaginable. Mais les choses n’ont pas dû se passer ainsi. Au point d’insertion sur le phylum généalogique du bourgeon inchoatif d’une nouvelle branche, les caractères nouveaux sont si enveloppés que leur acquisition ne paraît plus dépasser notablement les limites de la refonte organique qu’accompagne la venue au monde de n’importe quelle individualité vivante.

A quoi l’adversaire ne manque pas de demander pourquoi ces formes de passage, ces formes estompées, les plus intéressantes pour la science, sont précisément toujours les formes qui font défaut dans nos collections ? Pourquoi cette fatalité qui fait toujours disparaître de nos séries les termes où nous pourrions saisir avec le plus de certitude l’existence d’un mouvement de la vie ? Mais notre auteur de répondre que cette destruction automatique du pédoncule des phylums zoologiques tient à deux causes simultanées, qui se représentent à peu près régulièrement : d’une part la taille très petite des êtres au niveau desquels se sont opérés les grands changements morphologiques : VHyracotherium, par exemple (un des ancêtres présumés du cheval actuel) est grand comme un renard ; les premiers ruminants sont plus petits qu’un lièvre ; les petits primates de l'éocène inférieur sont de la