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TRANSFORMISME. CRITIQUE THÉOLOGIQUE


nés transformistes. Il s’agit de l"A7roXoY) r)’n.x6ç nepl TÎjç’EÇair)|i.épo’j, et du Ilepl tîjç xaTaoxeu^ç àv6pt ! >7tou, dans lesquels Grégoire entend compléter et mettre au point l’enseignement sur la création de son frère Basile, P. G., t. xliv, col. 61-124 ; 124-256. Pour lui la race humaine, c’est-à-dire l’ensemble des individus humains, corps et âmes, existait « virtuellement » dans la première impulsion créatrice ; en d’autres termes, Dieu, pour faire apparaître l’espèce humaine, n’aurait plus eu besoin d’intervenir à nouveau et d’ajouter quelque chose à son acte créateur primordial. Voir loc. cit., col. 69, 72, 77 D. L’ordre naturel exigeait, d’ailleurs, que l’homme n’apparût qu’après les plantes et les animaux, car le rationnel suppose le sensitif et celui-ci le végétatif. D’où il suit qu’au cours de son développement l’homme avait dû passer d’abord par une phase de vie végétative, lorsque les plantes furent faites et ensuite de vie animale quand les animaux furent formés. Voir surtout col. 237 CD, qui semble établir un rapport entre le développement embryonnaire de chaque individu et la manière dont, pour la première fois, l’espèce humaine vint au jour. Tout cela n’est pas extrêmement lumineux et ne permettrait certes pas de ranger Grégoire parmi les ancêtres de l’évolutionnisme. Du moins cet auteur insiste-t-il sur le développement du même germe humain, contenant déjà en puissance l’homme entier, dès le premier moment de la création, et il voit ce germe traverser les phases de la vie végétative et sensitive avant d’arriver à la vie intellectuelle. En bref, le corps du premier homme aurait parcouru, dans le cadre des jours génésiaques, bien entendu, un développement analogue à celui que parcourt tout embryon humain.

Des vues analogues se retrouveraient dans l’Augustin deuxième manière du De Genesi ad litteram libri duodecim, P. L., t. xxxiv, col. 245-486. Après avoir déclaré renoncer aux spéculations de son premier commentaire et avoir pris la résolution d’expliquer la Genèse à la lettre (et non plus selon l’allégorie), il ne laisse pas de remarquer que le récit biblique a besoin d’être interprété. Sans doute la narration relative à la création de l’homme n’est pas une allégorie (comme Augustin l’avait admis d’abord), c’est une histoire réelle, mais dont on ne saurait prendre à la lettre le détail : « Il serait naïf de s’imaginer que Dieu forma l’homme du limon de la terre en le pétrissant avec ses doigts. L’Écriture eût-elle (ce qui n’est pas le cas) employé cette expression, nous devrions croire que l’écrivain sacré s’est servi d’une métaphore, plutôt que de nous figurer Dieu limité par des organes semblables aux nôtres. » Op. cit., VI, xii, 20, col. 347. Et Augustin d’élaborer, dans les chapitres suivants, une théorie qui rappelle beaucoup celle de Grégoire de Nysse : L’homme était contenu dans la première création selon une virtualité aussi réelle et aussi complète que celle qui devait amener le développement des animaux et des plantes. Le récit de Gen., ii, 7, ne se rapporte pas à la première création de l’homme, mais à son apparition visible. Au temps venu, le germe humain primitif servira de principe actif pour animer le limon dont parle l’écrivain inspiré. En quel état l’homme apparut-il ainsi ? à l’état d’embryon, ou à l’état adulte et parfait ? Sans exclure la première hypothèse, Augustin juge la seconde plus probable. VI, xiii, 23. Ce mode d’apparition, Dieu l’a pu déterminer soit déjà dans la raison séminale, soit par une intervention spéciale au cours du développement du germe humain. Quand apparut ainsi le corps d’Adam, l’âme spirituelle, tirée par Dieu du néant au moment même où toutes les choses furent créées à la fois, ibid., VI, xiv, 25, cette âme s’unit spontanément à ce corps pour l’animer. VI, xv, 26.

Ceci nous laisse encore très loin du transformisme.

Dans l’idée de Grégoire de Nysse, comme dans celle d’Augustin, les transformations qui amènent le monde de son état de chaos à son état actuel semblent bien se réaliser assez rapidement. Comme leurs contemporains, ces auteurs prennent au sens obvie le mot « jour » du récit génésique. Nul soupçon chez l’un ni chez l’autre de l’immensité des temps géologiques, pour ne pas parler de l’énorme durée de la phase stellaire de notre planète. Du moins une chose est à retenir : le souci de ne pas faire intervenir Dieu à de multiples reprises dans le perfectionnement, sans cesse recommencé, de son œuvre. C’est d’un seul coup, à l’aurore du temps, que Dieu crée toutes choses ; mais ces choses viennent d’abord à l’être, non pas dans leur état parfait, mais dans leurs « raisons séminales ». En d’autres termes Dieu dispose dans le chaos primordial les virtualités, les agencements, les germes de tout ce qui viendra successivement au jour. Ces forces si diverses sont déposées dans la matière, l’animent, la travaillent, pour lui faire produire, au temps marqué, l’œuvre définitive que le Créateur a résolue. On aura remarqué que, d’après Augustin, l’âme du premier homme elle-même — il ne parle pas des autres n’ayant jamais pu se décider entre le créatianisme et le traducianisme — a été créée dès l’origine, en même temps que tout l’ensemble de la création, tant l’évêque d’Hippone veut éviter tout anthropomorphisme dans la description de l’activité divine. C’est en bloc, dès le premier instant, que tout est créé. Il ne reste plus au Créateur, si l’on ose dire, qu’à laisser se développer les virtualités déposées par lui au sein de la matière qu’il a elle-même appelée à l’existence. Encore que tout cela s’effectue, à l’idée de nos docteurs, en un laps de temps assez limité, il n’en reste pas moins que l’on retrouve ici une des grandes idées de l’évolutionnisme. Pour que la pensée d’Augustin rejoignît celle des biologistes modernes, il faudrait qu’il ait admis que les « raisons séminales » qu’il imagine déposées, séparément les unes des autres, dans le chaos primitif, étaient emboîtées les unes dans les autres, et, sortant les unes des autres, produisaient au temps marqué l’effet voulu par Dieu. La pensée de Grégoire de Nysse se rapproche-t-elle de celle-là ? les termes de ce docteur sont trop imprécis pour permettre de l’affirmer.

Il reste au moins que tous les Pères ne se sont pas cru obligés à interpréter au sens littéral les textes génésiaques relatifs soit à la création des espèces animales ou végétales, soit à l’apparition de l’homme. Les plus philosophes d’entre eux n’ont pas craint de plier, avec plus ou moins de violence, le récit sacré à leurs conceptions philosophico-scientifiques. Il y aurait abus manifeste à chercher dans les développements des plus hardis d’entre eux une preuve en faveur de l’évolutionnisme ; du moins nous donnent-ils l’exemple de la grande liberté qui a toujours été la règle de l’interprétation de la Bible en dehors des questions d’ordre religieux et moral. En tout état de cause, on ne trouve point dans la patristique cette unanimité d’interprétation qui seule donnerait valeur absolue et traditionnelle aux enseignements des docteurs du passé. Sur un seul point cette unanimité se réalise : tous les interprètes de l’Écriture sont d’accord pour reconnaître la dignité spéciale de l’homme et la nette séparation qui existe entre l’animalité et l’humanité, d’accord aussi pour voir en tout cela l’effet d’une intervention spéciale et créatrice de Dieu dans la production de l’homme. Aussi bien cette vérité se dégageait-elle sans conteste de l’étude des narrations sacrées.

Le transformisme et les données de la théologie.


Les données de la Bévélation relatives à la création de l’homme ont été, à juste titre, reliées, par la théologie à d’autres, non moins authentiquement révélées, sur la faute du premier couple humain et sur les répercus-