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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/84

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TERTULLIEN. DOCTRINE, L’INCARNATION


lui apporte au contraire la délivrance de tous les maux auxquels elle était assujettie par le fait de son union avec le corps.

Sur le problème de l’origine de l’âme, Tertullien professe un traducianisme grossier. Rejetant également la préexistence des âmes et la métempsycose, il croit que toutes les âmes sont conçues en même temps que les corps : l’acte générateur est un tout indivisible par lequel l’homme entier est produit. De anima, xxvii. Ainsi toutes les âmes étaient en quelque sorte contenues en Adam, de qui elles viennent.

La liberté est une des facultés essentielles de l’âme. Tertullien en affirme très énergiquement l’existence et il pense trouver dans l’exercice de cette liberté l’explication du mal moral et du péché. Adv. Marc, ii, 5-7. La liberté cependant n’est pas seule responsable de nos fautes personnelles. Il faut encore tenir compte de la déchéance dans laquelle la faute d’Adam a entraîné l’humanité entière. À la suite de cette faute, la race humaine se trouve condamnée à la mort et aussi à de nouvelles fautes et à leur châtiment : Homo damnatur in modem ob unius arbusculæ delibationem et exinde proficiunt delicta cum pœnis et pereunt jam_omnes qui paradisi nullum cespitem norunt. Adv. Marc., i, 22. Portavimus enim imaginem choici per collegium (ransgressionis, per consortium mortis, per exilium paradisi. De resur. carnis, xlix.

La faute originelle a introduit dans l’humanité, dans toutes les âmes par conséquent, une souillure, une tare : lia omnis anima eousque in Adam censetur, donec in Christo recenseatur, tamdiu immunda quamdiu recenseatur. De anima, xl. C’est notre naissance et notre descendance d’Adam qui nous rendent héritiers de la perversion et du châtiment : Per quem (Satanam) homo a primordio circumventus ut præceptum Dei excederet et proplerea in mortem datus, exinde totum genus de suo semine infectum, suæ etiam damnationis trtiducem fecit. De test, an., ni.

Tous les hommes, sans exception, sont ainsi souillés ; et le traducianisme de Tertullien explique parfaitement comment les âmes des enfants peuvent recevoir de leurs parents la tare qui les fait fils du diable. Si les enfants nés d’un père et d’une mère chrétiennes possèdent une sorte de sainteté initiale qui les rend candidats au baptême, ils n’en sont pas pour autant exempts de la faute originelle. De anima, xxxix.

On le voit, Tertullien ne songe pas encore à montrer que la faute originelle consiste surtout dans la privalion de la grâce, dans la déchéance de l’état surnaturel auquel avait été élevé le premier homme. Il se contente de retenir l’attention sur les conséquences concrètes de la faute d’Adam, qui a incline l’humanité vers le mal et l’a rendue sujette aux maladies et à la mort.

si grand que soit l’empire de la concupiscence, celleci ne détruit pourtant pas la liberté. Tertullien a vigoureusement défendu l’existence du libre arbitre contre Marcion et contre Hermogène : l’homme, ne

cesse t il pas de répéter, est responsable (le ses actes.

Ado. Marc, ii, 9 10. Dieu l’a créé a son image et il ne

saurait perdre s ; i liberté sans perdre aussi quelque élément essentiel de cette image divine qu’il porte en lui. Comment d’ailleurs pourrait on attribuer à Dieu le mal qu’il fail’1 pendant, l’homme a besoin de la grâce pour faire le bien c’i i Dieu qui attire les pécheurs à la pénitence ; m. lis les secours qu’il accorde a l’humble prière. il les refuse a l’orgueil ci l cri ullien décrit éloquemment

la lutte de l’âme entrée dans la voie de la pénitl

m. il encore sollicitée par l’attrait des plaisirs qu’elle vient de quitter, t)’pœnit., vi. (, )ui sera victorieux dans ce combat ? Dieu n’a pas cou I unie (le loi en 1er le

libre arbitre, />' monog., xiv, encore qu’il l’incline vers

le bien : ceux qui profitent de ICI grâces en obtiennent

de plus grandes encore, et ceux qui les méprisent perdent tout droit à son assistance. De pœnit., vi. Ainsi pouvons-nous mériter personnellement notre félicité et satisfaire pour nos fautes.

< Cette théorie du mérite et de la satisfaction, mise en relief surtout par Tertullien, est peut-être, dans toute son œuvre, celle où se trahit le plus son esprit de juriste. Il a créé pour elle une terminologie qui a subsisté et qui reste caractéristique de la théologie latine… Si nous agissons bien, nous méritons auprès de Dieu, nous méritons Dieu : Omnes salutis in promerendo Deum petilores. De pœnit., vi. Quomodo mullæ mansiones apud Palrem, si non pro varietate meritorum ? Scorp., vi. Dieu devient notre débiteur. De pœnit., n. La récompense est un prix. Scorp., vi. Au contraire, par le péché, nous offensons Dieu et nous devenons ses débiteurs, mais nous devons et nous pouvons lui satisfaire. De pœnit., vu… Inutile d’insister sur le caractère propre de ces expressions ; elles sont bien représentatives du génie positif latin. » J.’fixeront, La théologie anténicéenne, 9e édit., Paris, 1924, p. 409-410.

6° Le Christ. Incarnation et rédemption. — Au temps où paraît Tertullien, la doctrine traditionnelle sur le Christ est combattue par des adversaires nombreux et tenaces. Les adoptianistes nient résolument la divinité du Sauveur. Ils en font un homme comme les autres, rempli seulement de grâces plus abondantes et adopté en quelque sorte par Dieu à cause de sa sainteté. Les monarchiens, qui ulentifient le Père et le Fils, quitte à les distinguer comme des aspects divers ou des noms différents de l’unique divinité, prétendent que Dieu s’est incarné en Jésus, que le Père a souffert lors de la passion. Les docètes de tout genre nient la réalité du corps du Christ ou en altèrent la nature. Pour Marcion, le corps du Christ n’est qu’une apparence : il se manifeste subitement la quinzième année de Tibère ; il disparaît tout aussi subitement, sans laisser de traces au moment de la passion. Selon Apelle, le Christ a un corps astral ; selon Yalentin, un corps psychique et spirituel. Ces rêveries ne sont pas les seules. Certains gnostiques n’admettent entre les deux éléments, humain et divin, dans le Christ qu’une union factice et transitoire. D’autres, semble-t-il, voient dans l’incarnation une transformation du Verbe en la chair ou une fusion en une seule des deu natures unies.

Tertullien a donc affaire a forte partie pour rétablir ou pour maintenir la vérité. Il le fait avec ardeur, et, le plus souvent avec succès. Il a trouvé, pour parler du Christ, des formules heureuses, « gui deviendront définitives dans la théologie latine.’Tout d’abord, Tertullien affirme la réalité du corps du Christ. Ce corps a été conçu et est ne comme le nôtre ; il est, comme le nôtre, composé de chair et d’os. De carne c.hrisii, t, v, ix. Et qu’on ne croie pas qu’il s’a^ise là d’un détail : nier la réalité du corps du Christ, C’est nier les souffrances et. la mort du Sauveur ; c’est porter atteinte à toute l’économie de la rédemption. Il est vrai que les hérétiques multiplient ici les objections : l’incarnation est indigne de Dieu ; les anges, lorsqu’ils apparaissent aux hommes, prennent des corps sidéraux. Tertullien répond quc les anges ne

viennent pas pour înoiuir et que, leur message accompli, ils disparaissent aussitôt. Le Christ, au contraire, est venu pour donner sa vie afin de racheter les hommes : il devait naître dans un corps mortel, puisqu’il devait mourir. De carne Christi, vi. Il est donc né de la substance incine de la Vierge, ez ta, et non pas. Comme le prétendent les v aient iniens. per cam, en passant par elle comme par un canal. Tertullien insiste sur ce point et ne craint pas d’entrer dans des détails d’un réalisme très cru pour démontrer la v cri le de i ( Ile mec corporelle. Il va jusqu’à affirmer que Marie a perdu sa virginité en mettant au monde l’enfant