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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1029

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WYCLIF. VIE


pouvait attendre de lui quelques explications sont nécessaires.

La guerre de Cent ans, cette formidable rivalité entre la France et l’Angleterre, était entrée dans sa seconde phase. L'ère des grandes victoires anglaises paraissait close. Les jours de Crécy (1346) et de Poitiers (1356) étaient loin. Le roi de France, Charles V le Sage, aidé par la vaillance de Du Guesclin, réparait les infortunes des règnes précédents. Les Anglais bientôt ne posséderaient plus, sur le continent, que quelques ports. Le royaume anglais se trouvait donc humilié par la défaite, appauvri par le poids des dépenses de guerre. Le long règne d’Edouard III s’achevait dans une sorte de décrépitude et dans le scandale de sa liaison avec la rapace Alice Perrers. Juste à ce moment, les relations entre la Couronne et le Saint-Siège, alors établi en Avignon, se tendaient de plus en plus. Au début, le séjour des papes au Comtat-Venaissin n’avait soulevé en Angleterre aucune objection. Plus tard, la fiscalité pontificale s'était faite plus exigeante et le mécontentement s'était traduit par des listes de griefs sans cesse répétés. On reprochait au Saint-Siège des « provisions » accordées par le pape à des étrangers, c’est-à-dire des bénéfices situés en Angleterre mais donnés à des nonvnglais. On se plaignait de l’abus des « réservations », en vertu desquelles le pape enlevait la collation des bénéfices à leurs collateurs naturels pour se la réserver à lui-même. Mais les papes savaient partager leurs avantages avec les rois, en sorte que les plaintes des sujets restaient vaines. À partir de l’avènement de Clément VI (1342-1352), qui avait été le chancelier du roi de France Philippe VI de Valois, une vive opposition se propagea en Angleterre contre des pontifes que l’on estimait inféodés à un prince contre lequel on était en guerre. On soutenait que les redevances payées au Saint-Siège par les bénéfices anglais ne servaient qu'à fournir des armes à la France. Les parlements anglais se prononçaient régulièrement contre toute intrusion de la cour de Rome dans les affaires d’Angleterre. De là ces Statute of Provisors et Statute of Præmunire qui avaient pour but d’empêcher les collations de bénéfices en Angleterre par le pape. Or, à la suite d’une manifestation hostile du parlement de 1365, le pape Urbain V (1362-1370) s’avisa de réclamer le paiement du cens promis au Saint-Siège par le roi Jean-sans-Terre, en 1213. Ce cens qui s'élevait à 1000 marks annuels n’avait pas été payé depuis 1333. Le pape n’oubliait pas de le rappeler en demandant les arrérages. Ce fut, dans toute l’Angleterre, la cause d’une véritable indignation. Le Parlement n’hésita pas à déclarer que l’acte d’inféodation de l’Angleterre au Saint-Siège, de la part de Jean-sans-Terre, n’avait jamais été valide, puisqu’il avait été fait sans le consentement de la nation. Ce conflit fut le point de départ d’une lutte fort vive entre le pape et le gouvernement royal. Et ce fut au cours de cette lutte que la Couronne fit appel à maître John Wyclif. Il se para dans un de ses écrits du titre, pour nous obscur, de peculiaris régis clericus. Le 26 juillet 1374, il fut désigné pour prendre part, en qualité de commissaire du gouvernement, aux négociations qui devaient se dérouler à Bruges avec les envoyés du pape Grégoire XI (1370-1378). Or, cette incursion de Wyclif dans la politique ne servit qu'à lui montrer à quel point les usages de cet art sont éloignés de la logique pure. Pendant que les envoyés du roi opposaient à Bruges la résistance la plus rogue aux prétentions de la Curie, le roi trouvait avantage à négocier directement avec Avignon et concluait une sorte de concordat, par lequel les deux puissances s’accordaient au détriment de la nation. "Wyclif revint donc de Bruges tout à fait désen chanté. Le parlement de 1376 protesta hautement contre le concordat royal. Les vieux griefs, sans cesse grossis, furent remis plus que jamais en circulation. Il se développa, en Angleterre, un courant antipapal et anticlérical, dont Wyclif devint rapidement l’un des chefs. « La Curie, disait-on, prélève en taxes sur les bénéfices anglais une somme cinq fois supérieure aux revenus du roi lui-même. Le pape donne à des étrangers ou à des ignorants, moyennant finances, les meilleures prébendes du royaume. Il n’y a pas dans toute l’Europe un seul prince qui possède en revenus le quart des redevances que l’Angleterre paie au pape et cet argent ne sert qu'à payer la rançon des Français pris à la guerre ou à mener les hostilités en Lombardie. » Tout cela était évidemment très exagéré, mais les excès même de ces récriminations servent à montrer à quel point les esprits étaient montés contre le Saint-Siège. Or, Wyclif se fit le porte-parole le plus dogmatique et le plus implacable de ces plaintes de son pays contre la papauté.

Activité réformatrice.

On se tromperait lourdement en ne voyant en lui qu’un agitateur populaire. Il était et restait avant tout un scolastique

d’Oxford, un théologien, un philosophe, en même temps qu’un réformateur religieux. Comme théologien, il prétend résoudre les problèmes alors si brûlants du « droit à la suzeraineté », du « droit de possession » dans le clergé tant séculier que régulier, du « droit de juridiction » du pape, de la valeur des sacrements dans la vie chrétienne, de la nécessité de prêcher au peuple. Et comme réformateur, il en viendra bientôt à prendre lui-même en main l’instruction religieuse populaire, en envoyant de sa propre autorité, à travers le royaume, des prédicateurs ambulants appelés les pauvres prêtres et surnommés presque aussitôt les lollards.

Suivons cette double activité, dans les dix dernières années de sa vie. Le 7 avril 1374, il avait reçu de la Couronne, en récompense de ses services, la cure bien rentée de Lutterworth, à quelque vingt kilomètres au sud de Leicester. Il avait, pour cela, résigné son bénéfice de Ludgershall. Puis, il s'était fait remplacer dans sa cure et, à son retour de Bruges, était revenu à Oxford. Dès le mois d’octobre 1374, il commençait la publication d’une Somme théologique, formée de traités détachés les uns des autres, dont voici les principaux : De dominio divino (1375) ; De civili dominio (1376) ; De veritate Scripturæ (1378) ; De Ecclesia (très copié par Jean Hus) (1378) ; De officio régis (1378) ; De potestate papæ (grandement utilisé lui aussi par Jean Hus) (1379) ; De ordine christiano (1379) ; De apostasia (1379) ; De eucharistia (1379) ; Confessio (mai 1381) ; De blasphemia (mars 1382) ; Trialogus (automne 1382, l’un des plus importants ouvrages de Wyclif) ; Opus evangelicum et De citationibus frivolis (1383-1384) ; De quattuor sectis novellis (août 1384).

Cette liste ne contient, comme on le voit, que des ouvrages en latin. Aussi ne donne-t-elle pas une idée complète de la prodigieuse activité littéraire de Wyclif. Il avait rencontré, à l’université d’Oxford, des adversaires résolus, surtout parmi les religieux des ordres mendiants, en fréquentes querelles soit avec les membres du clergé séculier, soit avec ceux que l’on appelait les « moines possessionnés ». Au début, Wyclif avait eu des sympathies pour les « frères », ainsi que l’on nommait familièrement les religieux des ordres mendiants, car il était hostile à toute possession de la part du clergé et à tout emploi du clergé dans les grandes charges civiles. Mais ses idées sur l’eucharistie et sur d’autres sujets dogmatiques l’avaient mis en conflit avec ses anciens amis, et dès lors il se montra l’ennemi acharné des mendiants. Il