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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1031

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WYCLIF. DOCTRINE. LA SUZERAINETÉ


papauté sur tous les biens de la chrétienté, ou tout au moins sur tous les biens ecclésiastiques. On a vu que Wyclif avait été envoyé à Bruges pour discuter avec les représentants du pape au sujet des redevances féodales ou ecclésiastiques de l’Angleterre à l’égard du Saint-Siège. On a dit aussi que le roi s’était arrangé directement avec le pape, à l’insu de ses propres négociateurs de Bruges. Le parlement de 1376, qui a reçu en histoire le surnom de « Bon parlement », avait protesté contre ce qu’il considérait comme une trahison du roi envers les droits de la nation. Dès octobre 1374, c’est-à-dire à son retour de Bruges, Wyclif avait composé une delerminatio sur ce sujet. On a pu dire que le <> Bon parlement » avait été dominé par les idées qui sont exposées dans cette ébauche et que l’on devait discuter passionnément dans les universités anglaises. Des discussions de ce genre avaient déjà rempli les écrits d’un Pierre Dubois, en France, d’un Marsile de Padoue, d’un Occam et, en Angleterre, à une date plus récente, d’un Fitzralph, archevêque d’Armagh. Ce fut au cours des années 1375 et 1376 que Wyclif reprit la question déjà esquissée dans sa Determinatio et publia successivement de De dominio divino et le De civili dominio.

Dans ces ouvrages, Wyclif distingue la suzeraineté ou dominium à la fois du droit ou jus, du pouvoir ou potestas, possessio, et de l’usage, usus. Au sens rigoureux du terme, le dominium, selon Wyclif, n’appartient qu’à Dieu. Cependant, on l’attribue aussi aux rois. Le domaine de Dieu diffère de celui des rois en ce qu’il n’est jamais exercé « médiatement par le moyen de sujets vassaux, puisque c’est immédiatement et par lui-même que Dieu fait, maintient et gouverne tout ce qu’il possède et l’aide à accomplir ses œuvres selon les utilisations qu’il ordonne ». Ce passage était d’une importance capitale, car il écartait la médiation du clergé et de la papauté dans l’octroi de la suzeraineté par Dieu aux souverains de la terre. Partant du même principe qu’un Augustin Trionfo (1243-1328), il aboutissait donc à une conclusion diamétralement différente. Non seulement il rejetait la potestas direeta du souverain pontife sur les autorités civiles, mais il n’admettait même pas la potestas indirecta dans le domaine civil. Selon Wyclif, le dominium divin est inséparable de la propriété et de la possession, tandis que l’être créé peut avoir la possession sans avoir la propriété ou le dominium civil. Le véritable dominium civil ou propriété exige en effet, de la part de l’être créé, la fidélité au suzerain suprême, c’est-à-dire l’état de grâce. L’être créé ne peut être que le tenancier, le gérant, le bailli, le vassal de Dieu. « Les hommes, déclare Wyclif, devraient se rappeler que tous les biens qu’ils possèdent sont des biens de leur Dieu et qu’ils ne sont que les simples serviteurs de Dieu. » De dominio divino, éd. Poole, 1890, p. 33, 250, 255 ; cf. aussi De civili dominio, éd. Poole et Loserth, t. ii, p. 105.

L’idée que l’état de grâce est nécessaire à la propriété n’est touchée qu’en passant dans le De dominio divino. Ibid., p. 213 sq. Mais elle est développée dans le De civili dominio, qui nous est parvenu dans son état intégral et qui est un ouvrage énorme, dont Jean Hus devait faire le plus grand usage. Le traité s’ouvre par deux affirmations, la première que nul homme en état de péché mortel ne peut avoir de suzeraineté ou propriété. C’est la proposition 15 condamnée à Constance : Nullus est dominus civilis, nullus est prielatus, nullus est episcopus dum est in peccalo morlali. Denz.-Bannw., ii. 595. La seconde affirmation de Wyclif est que « tout homme en état de grâce a une suzeraineté réelle sur tout l’univers ». Poussée à fond cette seconde proposition ne serait pas moins destructive de la propriété que la pre mière, car elle implique le « communisme des prédestinés ». Nous employons ce dernier terme, parce que, dans un autre ouvrage, Wyclif devait préciser que le « pécheur actuel » garde son droit de propriété ou son dominium, s’il est prédestiné. Il n’y aurait donc que « l’impénitence finale » qui ferait perdre vraiment le dominium. Ainsi que l’observe Workman, cela « enlève toute valeur pratique à la théorie » de Wyclif. Il n’en soutient pas moins que la suzeraineté civile ne peut être attribuée à un méchant que par abus de langage. Le pécheur est un conspirateur contre Dieu, qui tue le vassal de Dieu v c’est-à-dire lui-même, par son péché, et par suite encourt la « forfaiture de son fief », c’est-à-dire la perte de sa suzeraineté civile. Le principe émis par Wyclif que tout homme en état de grâce a une suzeraineté réelle sur tout l’univers lui sert à inculquer cette conclusion que le seigneur civil doit se faire le serviteur de ses vassaux et même des serfs de ses domaines. De ce communisme implicite, Wyclif a soin toutefois d’exclure la communauté des femmes. Il explique d’autre part que sa théorie n’exprime qu’un idéal. Comme le dit fort bien M. Workman, il ne faut jamais oublier que les programmes réformistes de Wyclif doivent être lus dans le même esprit que la République de Platon ou YUlopia de Thomas More. Il n’y en avait pas moins un grand danger à lancer dans le public des idées comme celles-là, car il ne pouvait manquer de se rencontrer des esprits égarés pour dire : si le péché mortel fait perdre la propriété et la suzeraineté, nous ne devons pas supporter tel ou tel supérieur civil ou ecclésiastique, qui, à nos yeux, est un pécheur avéré 1 On comprend fort bien l’exclamation de l’empereur Sigismond, à Constance, quand on lui expliqua la doctrine de Jean Hus, copiée sur celle de Wyclif : « Jean Hus, personne ne vit sans péché 1° De même, la révolte paysanne de 1381 put être attribuée à un raisonnement extrait des œuvres de Wyclif. Et pourtant, l’auteur avait eu soin de préciser que l’obéissance est due même aux tyrans, à l’exception du cas où la révolte peut amener la destruction de la tyrannie. Mais qui serait juge de cette dernière possibilité ? Il serait toujours possible à un entraîneur d’hommes de faire croire au triomphe de sa cause, dans une rébellion. « Le lecteur le plus accidentel, conclut M. Workman, reconnaîtra que ce livre (De civili dominio) était plein de dynamite, en dépit des soins de Wyclif pour affirmer son caractère tout spéculatif. »

Il faut cependant faire observer ici que l’une des propositions les plus étranges parmi celles qui furent condamnées à Constance (prop. 6) ne se peut comprendre que comme un correctif à la théorie du dominium subordonné à l’état de grâce. Cette proposition est la suivante : Deus obedire débet diabolo. Denz-Bannw., n. 586. Elle signifie que, si l’homme perd son droit de propriété par le péché mortel, il n’en perd cependant pas l’usage. Il ne perd sa propriété qu’aux yeux de sa conscience et de Dieu, mais pas aux yeux des hommes, d’autant plus que ceux-ci ignorent si le pécheur n’est pas un prédestiné ! Wyclif expliquait que le mérite de l’obéissance n’est pas dans la qualité du supérieur, mais dans la charité de celui qui obéit. Il rappelait, dans un de ses sermons, que Jésus avait obéi à Judas et même au démon, quand il le tentait au désert. Dieu avait donc obéi au diable 1 De même, par la permission de Dieu, les méchants peuvent conserver non la « propriété », mais le « pouvoir » ou « l’usage », et par suite l’obéissance leur est due. Ajoutons que cette proposition bizarre disparut peu à peu de la doctrine des lollards, après la mort de Wyclif.

Cependant, si Wyclif concédait la permanence de