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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1047

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YVAN (ANTOINE)


1654. Il y joignit plusieurs traités : La verge de Moyse ; Divers conseils et instructions pour conduire l’âme à la perfection chrétienne ; Derniers conseils pour les personnes obligées à la compagnie ; Pratique des plus éminentes vertus qui conduisent à la perfection ; Alphabet spirituel conduisant l’âme à un grand renoncement de soi-même ; Testament, protestations et vœux authentiques d’une âme dévote qui sont une vive image de son intérieur. Gondon son historien a publié : La trompette du ciel qui éveille les pécheurs et les excite à se convertir. Recueilli des écrits d’Antoine Yvan, etc., Paris, 1662, in-8° ; rééd., Lyon 1685, Rouen 1700, in-12. Madeleine Martin ne tarda pas à rechercher les lettres du P. Yvan, qui parurent en deux volumes : L’amoureux des souffrances et de Jésus-Christ crucifié ou les lettres spirituelles du V. P. A. Yvan, prêtre, fondateur et instituteur de l’ordre des religieuses de Notre-Dame de Miséricorde, recueillies par maître Gilles Gondon…, Paris, Jean Boullard, 1661. Le t. ii, qui a le même titre est de 1666, Paris, Pasdeloup.

H. Bremond apprécie beaucoup la spiritualité du P. Yvan qu’il appelle « admirable mystique » ; il pense que « c’est le livre de Benoît de Canfeld qui l’a formé à la vie intérieure ; la Règle de la perfection… réduite au seul point de la volonté divine ». L’Invasion mystique, p. 158. Il dit sa doctrine simple, solide, profonde, dure, tout en étant consolante. Le P. Léon dans son panégyrique est encore plus élogieux ; il l’égale à Bérulle, Condren, Renty, Jean de Saint-Samson, Bernard, sainte Chantai, Marguerite d’Arbouze, Marie de l’Incarnation. Il résume ainsi sa doctrine : « Toute sa conduite roulait sur ces trois points : se séparer de tout pour mourir à soi-même ; s’unir plutôt aux hontes et aux souffrances d’un Dieu, réservant pour le paradis les gloires et les consolations de la divinité ; et, par un amour pur, désintéressé, très généreux et très héroïque, le servir en esprit et en vérité. » Rien de rare sans doute dans cette division adoptée par tant de docteurs, mais ces vérités « sont ici comprises, senties, vécues avec tant d’intensité, exprimées d’un tel élan, qu’elles paraissent originales, neuves, hardies même et qu’on peut placer sans hésiter ce prêtre ignorant à côté des Bérulle, des Olier, des Condren. » H. Bremond, La Provence mystique, p. 151, 152.

Détachement.

« Ce qui est en nous, il faut qu’il

soit comme mort afin que rien n’empêche Dieu. » Lettres, i, 200. Tel est le programme de cette désappropriation, mot dont se sert fréquemment l’École française. Entrons dans le détail : « Quand vous ne paraîtrez et ne serez plus vous, ni humaine, ni nature, ni vie, ni vouloir, alors il y aura quelque bonne espérance en vous de miséricorde. » i, 174. Un peu dans le même sens, mais plus intéressant encore : « Vous souciant aussi peu de ce qui est ici-bas qu’un séraphin, vous souvenant aussi peu de tout ce qui est créé et qui n’est point Dieu, comme d’une chose qui n’a jamais été parmi les personnes. » i, 3-4. « Soyez comme avant que Dieu vous créât, toute seule avec lui, dans lui : sans aucun être que le sien, toute rien et toute Dieu. » Premier recueil, 80. Par conséquent, ne rechercher aucune faveur spirituelle : « Les personnes qui veulent les consolations sont incapables de Dieu crucifié. » Lettres, i, 153. « Il ne faut pas une jouissance expérimentale, ni des lumières perceptibles, ni élancements, mais il faut vous tenir en Dieu par vive foi et amour. » ii, 105, 106. Sa direction est en conséquence : « Je ferai tout ce que je pourrai pour vous chasser du Paradis terrestre, avec le glaive de feu d’amour, pour vous faire gagner le céleste à la sueur de votre visage. » Premier recueil, 59. « Il vaut mieux une lancette d’acier que de sucre. » Lettres, i, 216. Rien de convenu, dans ces expressions ; ce bouil lonnement de mots sort vraiment du fond de son âme.

Adhésion pratique aux mystères de la Passion.


Cette désappropriation si rigoureuse ne peut s’obtenir que par l’exemple de Jésus crucifié : « O fille, si vous étiez Notre-Seigneur crucifié, vous auriez autant de soin de vous comme… d’un barbare, d’un loup et d’un chien mort. » Lettres, i, 3, 4. Il voit dans Adam, Noé, Joseph, Daniel, Jérémie, les saints de l’ancienne loi, des « figures de l’état souffrant, crucifié, de Monseigneur Dieu et Maître Jésus-Christ. » Lettres, i, 146, 147. Il dit des âmes qu’il dirigeait : Je les voulais toutes transformées en Jésus-Christ. » i, 149. En faire autant de crucifix : « Vous n’avez à étudier qu’à vous transformer aux délaissements, amertumes, douleurs et souffrances du Fils de Dieu. » Premier recueil, 112. « La Passion, les douleurs… de Notre-Seigneur… soient votre cœur, vie, affection, joie ; vos richesses, couronnes, trésors, paroles, états, entretiens, jouissances, suavités ; votre demeure, religion, couvent, chambre, oratoire et paradis. » Ibid., 41. « Ma fille, il faut être tout à fait crucifiée et dedans et dehors. » Lettres, i, 21. « Croyez-moi, ne soyez plus vous, mais le Crucifix pâtissant, ensanglanté, cloué, crucifié, délaissé, tout nu, pauvre, seul, moqué, bouffonne, etc. » i, 61.

L’amour pur.

Ces paroles le supposent déjà ;

non seulement, il croit à sa possibilité, mais il le recommande : « Ne faites rien par crainte de l’enfer, pour le paradis, ni pour avoir des grâces, ni pour aucun contentement, mais pour le seul contentement de ce tout, tout, tout amour, amour, tout Dieu. Amour, amour 1 Hé, ma fille, brûlez et soyez toute Jésus-Christ. N’attendez point à demain, mais tout maintenant. .. Que ne brûlé-je, que ne meurs-je d’amour et pur amour 1 O beaux et tout enflammés chérubins, que ne brûlé-je de votre feul » ii, 286, 287. Il cite ceux qui se sont approprié « la jouissance de Dieu et sa gloire », Simon le Mage, Lucifer, Eve, Saùl, Osias, Coré, Dathan, Abiron et conclut : « Le Verbe éternel se désappropria en quelque façon de sa gloire… Hélas 1 pauvrets devant Dieu, se croire mériter quelque chose ; cela fait trembler les spirituels et les personnes de grâce devant Dieu. » i, 119, 120. « N’avoir point de Dieu, même pour vous, mais le tout pour le seul contentement et gloire de Dieu : purement, sans qu’il s’y trouve une seule petite goutte pour nous, ni pour récompense, ni pour intérêt particulier, ni pour aller en paradis, ni pour éviter l’enfer. » Premier recueil, 140-141 ; cf. Lettres, i, 201.

Avec une doctrine si élevée, sa direction ne pouvait être que très exigeante ; il savait la tempérer par des paroles affectueuses qui la rendaient plus consolante que décourageante : « Ma fille, je vous salue en Notre-Seigneur, et vous désire toutes les bénédictions éternellement et veux du plus bas de mon cœur que vous soyez toute lui, humble, mansuète, patiente, bénigne, crucifiée, paisible, véritable, charitable, amoureuse, miséricordieuse, pauvre de volonté et fille du Très-Haut. » i, 35, 36. Il faut, dit son historien Gondon, le comparer « à une ruche de mouches à miel dont le dehors est rude, raboteux et mal poli ; mais qui ne laisse pas de contenir au dedans de la cire et du miel, faits avec une merveilleuse industrie. » P. 139.

Son style est d’un écrivain qui n’a jamais eu la prétention d’écrire, ni pris le soin d’être toujours correct, mais qui, dit Bremond, a laissé « les lettres les plus directes, les plus jetées, les plus impétueuses que je connaisse… souverainement à l’aise dans la manifestation des vérités les plus profondes et atteignant, sans jamais la chercher, à la plus haute éloquence. » Op. cit., p. 151.

Ce qu’il exigeait des autres, il le pratiquait sévèrement, car le P. Yvan était très mortifié : « Il ne por-