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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1111

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ZWINGLIANISME — ZWINGLI ET L’HUMANISME


Si l’on étudie, à la suite de W. Kôhler, les gloses de Zwingli sur l’épître aux Romains (cf. Die Randglossen Zwinglis zum Rômerbrief, dans Forschungen zur Kirchengeschichte und zur christlichen Kunst, Leipzig, 1931, p. 86-106), on s’aperçoit qu’il ne doit rien à la théologie d’Érasme (il a utilisé les Annotations, mais non les Excursus) ; en revanche, il puise constamment dans Origène. Il suit cet auteur dans l’interprétation des notions de loi et de péché ; souligne avec lui l’opposition de la chair et de l’esprit et retient son insistance sur la régénération dans l’Esprit. Certains traits de la morale zwinglienne trouvent ici leur explication : chez lui comme chez Origène la Loi prend un caractère intemporel, supra-historique, et tend à se confondre avec la loi naturelle inscrite par l’Esprit dans les cœurs, ou avec l’Esprit lui-même. De même, la chair est le siège du péché, l’Esprit la cause de la régénération, sinon même son aspect dominant. Les chapitres vin sq. de cette épître, où saint Paul décrit la vie dans l’Esprit, méconnus par Luther, ont suscité une résonance profonde chez Zwingli ; Origène n’y est sans doute pas étranger. Par ailleurs, dans le domaine de la grâce et de la foi, Zwingli serait plutôt tributaire de l’Ambrosiaster. Il demeure que « l’autorité théologique de Zwingli dans l’étude de l’épître aux Romains, c’est en premier lieu Origène ». Or, Origène fait la liaison avec Platon, et il sollicite Paul dans le sens de son système (W. Volker, Paulus bei Origenes, dans Theol. Stud. und Krit., en, fasc. 3, 1930, p. 265, parle de stândiges Umdeuten). Il ne faut donc pas s’attendre à rencontrer beaucoup de paulinisme « génuine » dans le Zwingli de ces années ; tout au plus peut-on dire que cette épître, en l’obligeant à se concentrer sur la question du péché et de l’attitude de l’homme régénéré, l’a amené à proximité du champ battu alors en Allemagne par les écrits de Luther et la Réforme naissante. Que manquait-il pour qu’il y entrât ? On est tenté de répondre : la médiation de saint Augustin. C’est un fait que ce Père ne figure pas dans les gloses marginales pour la période d’Einsiedeln.

3. A Einsiedeln, Zwingli « annonce le Christ » : entendez que le Christ et son message forment le thème central de ses prédications, comme le voulait Érasme, et le peuple l’écoute volontiers (C. R., vii, 120, 15). Il lit encore l’Évangile par péricopes, mais à Zurich il rompt décidément avec l’usage ecclésiastique et se met à commenter à la suite l’évangile de saint Matthieu : inaudilum Germanis hominibus opus (C. i ?., vii, 106, 4 ; cf. R. Stæhelin, H. Zwingli, vol. i, 1895, p. 132). Selon une suggestion d’E. Brunner (cf. Monatschrift fur Pastoraltheologie, xxvii, 1931, p. 314), la différence de théologie des deux réformateurs serait à mettre en relation avec le fait que, à Wittenberg, la Réforme a commencé avec l’étude de Paul, à Zurich, avec celle de Matthieu. Dans la théologie de Zwingli, les Synoptiques, qui chez Luther rétrocèdent devant Paul, reçoivent le traitement qu’ils méritent à côté de l’apôtre. En fait, si la remarque n’est pas tout à fait exacte (en cette même année 1519, dans la Stadtkirche de Wittenberg, Luther, interrompant la série des péricopes, se met à commenter Matth.), elle vaut dans sa généralité. En bon disciple d’Érasme, Zwingli présente à la communauté qu’il entend réformer, avant tout, la doctrine et l’œuvre de Jésus ; il les trouve dans les Synoptiques, et spécialement dans le sermon sur la Montagne. C’est là le résumé de la morale évangélique qu’il entend inculquer à ses auditeurs : Christus lehren, Christus einhammern, ces expressions reviennent souvent dans sa correspondance de ce temps.

Sans doute, il est important de le reconnaître, chez Zwingli comme chez Luther, la lecture des épîtres précède temporellement et d’une priorité réelle celle des Synoptiques ; mais est-ce à dire, comme le voudrait

Fr. Blanke (ibid.), qu’à Zurich comme à Wittenberg on lit les Synoptiques avec des lunettes pauliniennes ? Il ne le semble pas. Zwingli avait devant les yeux le portrait du Christ peint par Érasme, qui se ressent de l’hellénisme plus que du paulinisme ; en outre, il reste fidèle jusque dans ses prédications à la méthode que lui a enseignée le maître ; il se compose une chaîne de textes patristiques tirés d’Origène et des Homélies de saint Jean Chrysostome (cf. C. R., vti, 225, 15 ; Usteri, Festschrift, ut infra, p. 12, note), qu’il suit dans l’explication de l’Évangile. Et quel but se propose-t-il en ce faisant ? Amener la conversion des cœurs, au sens luthérien, suscitant chez ses auditeurs la douleur de leurs péchés et leur rappelant le prix de la croix du Christ ? Non pas, mais bien : « enseigner aux hommes la justice » (erudire homines ad iustiliam ; lettre laudative de Simon Stumpf à Zwingli, 2 juillet 1519, dans C. R., vu, 195, 12), c’est-à-dire réformer la morale privée et publique selon les normes de la doctrine éthico-religieuse du Christ, qui correspondent d’ailleurs, selon le syncrétisme humaniste et érasmien, à ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, son aspiration à la justice. Zwingli fait œuvre d’humaniste et d’Aufklârer autant que de prédicateur ; il enseigne la « philosophie du Christ » et il attend une réforme religieuse et sociale plutôt que des fruits de sainteté intérieure (sur Zwingli prédicateur, cf. R. Stæhelin, Zwingli als Prediger, Bâle, 1887 ; W. Kôhler, Der Prediger Zwingli, dans Protestantische Rundschau, 1942, 3. Jahrg., p. 98-101).

4. À côté de ses prédications, il poursuit d’ailleurs, toujours selon l’idéal érasmien, une œuvre pédagogique qui, commencée avec l’école de latin de Glarus, culminera dans l’institution à Zurich de la Prophezei (cf. infra, col. 3767). Ici Zwingli explique d’une manière plus savante, mais toujours de façon à la rendre accessible aux simples, l’Écriture de l’Ancien Testament, les Psaumes d’abord, plus tard les Prophètes. A l’égard du Nouveau Testament, ses préférences elles-mêmes varieront. À mesure qu’il se laisse davantage gagner par des vues spiritualistes, son intérêt passe des Synoptiques à saint Jean. Dans l’Arnica Exegesis (1527), il écrit : Toile enim Ioannis evangelion — solem mundo abstulisli (C. R., v, 564, 10). On peut dire qu’en ce domaine biblique son éclectisme le sert : non seulement il a su faire une place, qu’on serait tenté de trouver trop grande, à l’Ancien Testament à côté du Nouveau, mais il accueille toute la lumière qui lui vient de celui-ci, qu’elle dérive des évangiles ou des épîtres (Jac. ou Hebr.). Si, parmi les épîtres de saint Paul, il a comme Luther une préférence pour Gai. (C. R., i, 563, 5), il ne fut jamais paulinien au sens exclusif, unilatéral, de Luther. Si cependant on cherchait un parallélisme avec l’attitude de Luther, on trouverait dans Rom., ix, 20 sq. (la prédestination, effet de la toute-puissance absolue de Dieu) le verset qui a fourni à Zwingli le leitmotiv de sa théologie, correspondant à ce qu’a pu être Rom., i, 17 (la justification par la foi) pour Luther.

Emprunts immédiats à Érasme.

1. Zwingli s’est

nourri des ouvrages d’Érasme, dont vingt-trois figurent dans sa bibliothèque, notamment de ï’Enchiridion et du Compendium seu ratio verse theologiæ. À leur auteur il doit certains de ses procédés méthodologiques : le recours à l’allégorie (cf. lettre d’Érasme à Luther, 30 mai 1519), la recherche des origines des dogmes et les excursus historico-critiques à leur sujet (cf. C. R., iii, 809, 15 ; iv, 468, 14 ; 502, 6 ; v, 599, 27). Une analyse des Schlussreden permettrait de relever des emprunts moins formels : les premiers articles, l’insistance sur le rôle du Christ-Tête et maître de doctrine, sont d’inspiration érasmienne (cf. Enchiridion, c. init.). Plus profondément encore, Zwingli trouve dans YEnchiridion l’un des thèmes majeurs de