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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1123

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ZWINGLIANISME. L’ÉCRITURE ET L’ESPRIT


cette condamnation, Zwingli enferme aussi bien catholiques qu’anabaptistes. Il ajoute cependant cette réserve : c’est à l’Église et non à l’individu qu’il appartient de juger (cf. C. R., iii, 898, 26 : Quamuis hac ratione, ut solus apud alios non damnes, nisi ubi damnât ecclesia. Opus est enim quod, ut damnât quisque, qui ecclesise membrum est, apud se quoque damnet, quamvis ut diximus nemo debeat pronunciare). 3° Écrits andlulhériens (cf. écrits eucharistiques, infra, col. 3825 sq.). — Luther oblige Zwingli à une nouvelle volte-face. Dans la controverse eucharistique, le Witlenbergeois se déclare « prisonnier de la Parole de Dieu » ; il s’appuie sur le « sens obvie » de l’Écriture. Les paroles de l’Institution ne peuvent avoir qu’un sens, le sens littéral (cf. C. R., v, 777, 23 ; 778, 14 ; 779, 17), qui est aussi celui que leur donne Luther. À l’inverse :

1. Zwingli recourt à son procédé constant, qui est de comparer entre eux les passages de l’Écriture. Le sens attribué par Luther aux paroles de l’Institution est manifestement démenti par d’autres textes non moins formels, tels que Joa., vi, 63 ; Marc, xvi, 19 ; Matth. ? xxvi, 29 ; I Cor.x, 14 sq., etc.(cf. C. fl., iv, 467, 37 sq. ; 559, 5 sq. ; 842, 3 sq. ; v, 735, 3 sq.), qui excluent tout réalisme eucharistique. C’est là un signe qu’il ne faut pas prendre ces paroles à la lettre, mais bien les entendre au sens tropologique (C. R., v, 739, 1 sq. ; 778, 12 sq. ; cf. iv, 575, 3) : certains, faute de voir ces tropes, inventent des mystères. L’emploi de la méthode allégorique ou tropologique permet à Zwingli d’éluder le sens des textes qui lui font difficulté ou cadrent mal avec son système. En outre, pour mieux réfuter son adversaire, il fait un tri entre les paroles de l’Écriture : toutes n’ont pas la même portée ; il s’agit de découvrir ce qui, dans l’Écriture, est proprement objet de foi (théologale) (cf. infra, col. 3801).

2. Zwingli met en valeur le rôle de la foi dans l’interprétation de l’Écriture (cf. C. R., v, 618, 10 : Si modo fidei intellectus recte capit eorum sensus ; — ibid., 663, 10 : Fide magistra, quæ proponuntur verba, intelligi ; — ibid., 16 : Fides ergo magistra et interpres est verborum ; — ibid., 733, 29 : Fide sioe unctione magistra ac præilore constat scripturam unice esse interprelandam). — Alors que Luther en reste au sens littéral (nach dem einfaltigen Gestalt), Zwingli entend se hausser jusqu’à « la suprême appréhension de la foi » (mil dem hbehsten Verstand des Glaubens ; C. R., v, 777, 21) : c’est elle qui donne la véritable intelligence des paroles révélées.

Mais, entre les deux réformateurs, il y a une opposition plus formelle encore : elle correspond à la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur déjà rappelée. Si pour Luther la foi est essentiellement foi en la parole de Dieu contenue dans l’Écriture (fidem ex verbis hauriri ; C. R., v, 663, 6. 10), pour Zwingli la foi a une origine plus directe, plus immédiate, elle se puise en Dieu, dans l’Esprit qui éclaire notre esprit et lui communique le sens des paroles de l’Écriture : loin donc que la foi soit tributaire de celles-ci, c’est elle qui leur donne leur sens. L’Écriture cesse ici d’être prise comme lettre inspirée ; elle est confondue, du moins par sa forme, avec les elementa mundi, c.-à-d. avec les données extérieures qui ne touchent pas l’essence de la religion. L’Esprit se tient proprement du côté du croyant : on peut seulement constater un accord entre ce qu’il suggère à celui-ci et la lettre de l’Écriture, accord comparable à l’harmonie qui existait entre les sentiments qui emplissaient l’âme de David et les cordes de la cithare vibrant à l’unisson (cf. C. R., iv, 912, 17 sq.). Ce texte capital montre que Zwingli n’attribue à la lettre de l’Écriture qu’un rôle subsidiaire au regard de l’Esprit ou de la foi.

A la foi ou à 1’ « esprit de foi », Zwingli demande de

concilier les passages de l’Écriture en apparence opposés — jadis il se contentait de déclarer que l’Écriture, étant l’œuvre de l’unique Esprit, n’admettait aucune contradiction interne (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. I, p. 564 : Debent ergo verba Sr.ripturæ quæ sibi repugnare videntur fide et spiritu conciliari : spiritus enim fidei sibi non dissidet). Zwingli argue aussi de Vanalogie de la foi (C. R., v, 531. 4 ; Nagel, op. cit., p. 90). Celle-ci lui dicte d’accepter un dogme tel que la naissance virginale du Sauveur et d’en rejeter d’autres : ainsi la manducation du Corps eucharistique du Christ (C. R., iv, 492-493).

Zwingli connaît aussi d’autres principes d’interprétation de l’Écriture, soit d’ordre surnaturel : la charité (C. R., iii, 870, 34 ; 871, 30 ; 872, 33 ; 885, 1 ; ix, 465, 14 : caritas ergo ipsa sciet, …non hercle compulsa ulla litera), par où sans doute il désigne l’amour ou zèle pour Dieu, auquel aucun argument tiré de la lettre servilement entendue ne saurait faire obstacle ;

— soit d’ordre plutôt rationnel. Dans la controverse avec Luther, il se plaît à faire appel, concurremment avec la fol, au sens commun (C. R., iv, 471, 36, et infra, col. 3801).

3. En Luther Zwingli atïronte à nouveau un adversaire qui se prétend lui-même inspiré (cf. C. R., viii, 98, 26). Le conflit qui les oppose n’en aura que plus d’acuité. Zwingli rappelle que c’est la vérité qui est en jeu, et non les personnes, si considérables qu’elles soient ; il revient à sa maxime de jadis, que le plus petit dans l’Église de Dieu, dès lors qu’il est favorisé d’une inspiration, a droit à la parole (cf. I Cor., xiv ; C. R., v, 772, 15 sq.) ; enfin il prend pour arbitre de la controverse l’Église universelle : Saluo semper horum certaminum spectatricis Ecclesise iudicio (C. R., v, 563, 25).

4° Écrits didactiques (De Providenlia ; confessions de foi). — Dans les écrits de cette dernière période (1528-1531), l’Écriture semble perdre de son autorité comme source unique de connaissance sur Dieu ou la partager avec des ouvrages profanes, avec ce correctif bien entendu que la vérité, où qu’elle se rencontre, provient de l’unique Esprit de Dieu. C’est parce qu’il étend aux auteurs profanes le bénéfice d’une communication de l’Esprit, du moins dans certains de leurs dires ou oracles, que Zwingli peut puiser indifféremment ici ou là (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 52 : Ex divinis aut literis aul theologis). Dans le De Providentia, il se sert plutôt d’arguments rationnels que de témoignages de l’Écriture (ibid., p. 143, c. fin.). Dans la préface de l’édition de Pindare par Céporin, il demande à l’auteur des Odes de l’aider à comprendre la poésie hébraïque (et suis vocabulis discamus veritatem aliquando nominare ; C. R., iv, 872, 28 ; cf. ibid., 873, 18 : Ut gentili poeta magistro discas veritatem… apud Hebrmos intelligere). Parallèlement, il relève la valeur de la raison, du moins dans ses affirmations universelles sur Dieu : elle n’est pas étrangère à la vraie religion (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 126 : Sed ad lucem sive scientiam offendunt. quæ in contemplatione Dei non postrema pars est ; cf. ibid., p. 61 : Quam quod divina monent miracula quodque intellectus omnis suadet ; C. R., v, 593, 9 : Quam et ratio capit et religio). Tous textes qui paraissent renverser le préjugé initial contraire (cf. C. R., ii, 82, 9 ; 84, 36 ; 98, 29 ; 648, 31 ; iv, 67, 4).

Il serait faux cependant de croire que le rationalisme soit uniquement le fait des dernières œuvres. Déjà dans Von Klarheit… des Wortes Gotles, dans le Commentaire, on en trouve des traces (cf. A. E. Burckhardt, Das Geistproblem bei H. Zw., p. 88-89), qui s’expliquent assez par la formation humaniste de Zwingli. Un moment, sous l’influence de Luther, la raison a été enveloppée dans le discrédit qui