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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1134

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ZWINGLIANISME. LE PÉCHÉ ORIGINEL


se trompe sur le premier article, savoir que le péché originel n’est pas un péché. S’il en était ainsi, comme il serait facile ensuite d’affirmer le libre arbitre ! »

Urbanus Rhegius, à Augsburg, reprit la thèse de Luther. Zwingli répondit par la : De peccato originali declaratio ad Urbanum Rhegium (25 août 1526) (C. R., v, 359 sq.). Il y dissipe certaines équivoques : en particulier, la non-culpabilité du péché originel ne vaut que pour les enfants des chrétiens, à raison tant de la grâce dont ils reçoivent le bénéfice que de leur manque de connaissance de la Loi. Des autres il ne prétend pas juger (C. R., v, 384, 19 sq.). Sur le terme même de péché, employé du péché originel, Zwingli se montre accommodant (C. R., v, 373, 24 ; cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 6), mais quant au fond il ne varie pas.

A Marburg (1529), cette question fut l’objet d’un débat préliminaire entre Zwingli et Mélanchton : aux termes des articles rédigés par le premier et acceptés par le second, l’essence du péché originel réside dans la concupiscentia ou amor sui. On ajoute : Peccalum originale morbum esse credimus, quem omnes, qui ex Adam generantur, contrahunt, quo morbo fit, ut nos anle omnia amplectamur, non deum. — In parvulis… est pcena tegis, quæ laie malum sioe peccatum est, ut damnet. Le péché originel n’est donc pas péché à proprement parler ; il est plutôt maladie fmorbus = der Prest) ; il a un caractère pénal. C’est là la doctrine zwinglienne que nous avons vu se développer à partir de la notion volontariste-scotiste de péché. La note finale, la damnabilité du péché originel, montre que la pensée de Zwingli oscille encore entre cette notion et la tradition augustinienne. En fait, il n’a jamais pu se résoudre à opter, et sa doctrine du péché originel manque d’homogénéité (cf. R. Pflster, op. cit., p. 45).

Le IVe article de Marburg, rédigé par Luther, reflète beaucoup plus la doctrine de celui-ci que celle de son partenaire : « Quatrièmement, nous croyons que le péché originel (Erbsiinde) nous est transmis et hérité d’Adam et qu’il est un tel péché qu’il condamne tous les hommes », n’était la Rédemption par le Christ. R. Pfister s’efforce de minimiser le différend — il se réduirait, selon lui, à la question de la réprobation des enfants qui ont contracté la tache originelle (op. cit., p. 88) ; il estime donc que Zwingli a pu souscrire cet article sans se rétracter et en toute bonne foi. Nous croyons plutôt qu’il y a adhéré pour la forme et grâce à l’équivoque du terme péché déjà soulignée antérieurement.

La Fidei ratio de 1530, anti-luthérienne, a plus de chance de présenter sa pensée originale. Zwingli part de la distinction entre péché originel et péché personnel : Peccatum vere dicitur cum contra legem ilum est : ubi non est lex, ibi non est prsevaricatio ; et ubi non est prtevaricatio, ibi non est peccalum proprie captum… Peccalum originale ut est in flliis Adami non proprie peccatum esse ; quomodo iam expositum est : non enim est facinus contra legem. Morbus igitur est proprie et conditio (Sch.-Sch., vol. iv, p. 6). Cependant, sur le point de la damnabilité du péché originel, il modifie sa position du Taufschrift et incline dans le sens august ino-lnt hérien : Conditio (se. peccati orlgtnalix), quia sicut ille seruus est foetus et morti obnoxius, sic et nos serai et filii Iree nascimur et morti obnoxii… et nos esse natura filios iree scio (ibid., p. 6-7). Ainsi, sans être personnellement coupables, nous n’en sommes pas moins nés dans la servitude et dans un état d’abjection qui nous prive du salut et nous vaut la condamnation de Dieu. Cet état appelle la Rédemption par le Christ. Cependant, à la différence de Luther, le point de vue de ZwinRli est théocentrique (et non christocentrique) : s’il revient à la damnabilité du pérlié originel, c’est que l’idée de prédestination ou d’élection prend à partir de 1527 de plui en plus d’em pire sur son esprit, et que celle-ci suppose un discernement des chrétiens de la massa damnata. Les variations de la doctrine de Zwingli sur le péché originel s’expliquent assez dès lors que celle-ci subit les incidences de positions dogmatiques jugées plus importantes : symbolisme sacramentel, notion de loi et de péché, prédestination et élection.

Critique. — Laissant de côté la question de la damnabilité du péché originel, que Zwingli affirme au début et à laquelle il revient à la fin, la critique doit s’en prendre au point faible de la doctrine zwinglienne : au péché originel, défini comme maladie ou inclination viciée de la nature (der Prest) n’ayant pas de caractère intrinsèquement peccamineux. En définissant ainsi le péché originel, Zwingli n’a-t-il pas abandonné la position essentielle de la Réforme : la corruption radicale de la nature déchue ? N’incline-t-il pas au pélagianisme, au naturalisme ?

Parmi les auteurs, les avis sont partagés. Pour Ch. Sigwart, R. Seeberg, R. Pfister, Fr. Blanke, A. E. Burckhardt, on ne trouve chez Zwingli aucun affaiblissement de la notion réformée de péché originel. L’homme est menteur, il se trouve en état de mort et de damnation ; il est entièrement sous la domination de l’égoïsme : ces formules, qui reviennent sans cesse sous sa plume, témoignent qu’il a abandonné une fois pour toutes l’optimisme de l’humaniste, la fol naïve en la bonté de l’homme. La christologie, le concept de restitutio [naturse, hominis] (cf. supra, col. 3789), corroborent ce jugement. En revanche, pour E. Zeller, W. Kôhler, K. Guggisberg. etc., Zwingli a atténué la dureté de la position augustino-luthérienne. notamment en ce qui concerne le sort des enfants morts sans baptême ou des païens qui n’accèdent point à la connaissance du Christ. Son concept plus élastique de maladie ou tare héréditaire — fatalité malheureuse qui pèse sur chacun plutôt que péché dont il se sentirait personnellement responsable — s’accorde bien avec les vues de son universalisme spiritualiste. Aux yeux de W. Kôhler, Zwingli a le mérite de surmonter < la dure alternative de la dogmatique du péché originel » et « d’ouvrir la voie au progrès religieux ( Geisteswelt, p. 98). La chute originelle est escamotée, ou le péché originel s’insère comme un chaînon dans le progrès évolutif de l’humanité. Zwingli fait ici figure de précurseur des théories modernes du péché originel.

Sans doute Zwingli a-t-il obéi sur ce point aussi à la logique même de son système qui l’incline à rationaliser le mal (cf. supra, col. 3783). Il est juste cependant de reconnaître, avec R. Pfister (op. cit., p. 15-16), que l’anthropologie dualiste, imitée de l’antique, qui aboutit au déterminisme, ne joue aucun rôle dans la doctrine présente. Ainsi le péché, en nous comme dans le premier homme, est rapporté à une libre détermination de la volonté, et non à la nature composée de l’homme, au fait que nous sommes non seulement esprit, mais chair. Néanmoins, il reste vrai que Zwingli n’a pu intégrer à son système la notion classique qui laisse entier le mystère du péché originel, défini comme péché de nature, et de sa transmission. Le refus même de s’interroger sur le mode de transmission a pu conduire à brouiller l’essence du péché originel lui-même

— ce parti pris de maintenir séparées la question du was et celle du wie conduit chez Luther à un même résultat dans un autre domaine, à propos de l’eucharistie. Sans doute les subtilités de la scolastique décadente, la position extrême du scotisme ont incité à une simplification et à un retour en arrière : cependant, et c’est la conclusion qui se dégage de cette étude, on perçoit combien Zwingli reste tributaire dans ses catégories de pensée de cette loolattlqoe avec laquelle il avait rompu. Pour éluder les critiques de Luther, il n’a point d’autre ressource que de revenir