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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1137

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    1. ZWINGLIANISME##


ZWINGLIANISME. JUSTIFICATION ET RÉGÉNÉRATION 3804

Car Dieu est la force éternelle de tout bien, et une opération inaltérable. S’il cessait d’oeuvrer, il serait changeant. » C’est la doctrine qu’on retrouve avec plus d’ampleur dans le De Providentiel (1528) (Sch.Sch., vol. iv, p. 118 sq.). Avec la foi en la Providence et en la bonté de Dieu, dont, pour ce qui le concerne lui-même, Zwingli n’a jamais douté, grandit la certitude ou l’absolue sûreté de pouvoir se confier en Dieu et d’opérer comme son instrument. « La béatitude n’est pas un bien situé dans l’au-delà, mais l’expérience de quiconque, en pleine conscience de son élection, fait confiance à Dieu et se sait son instrument. De là procède chez la personne un sentiment éthique de puissance de la plus haute tension que l’on connaisse dans l’histoire » (Dilthey).

1. Cette action divine considérée dans l’individu a un nom : elle s’appelle régénération. Déjà la foi instaure une nouvelle relation entre Dieu et l’homme : mais la foi a ses exigences. De même qu’il se refuse à séparer la foi de l’ensemble de l’attitude religieuse, Zwingli récuse tout divorce entre la foi et la conduite (C. R., ii, 630, 8-11 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 61). Il s’agit pour l’homme racheté de se conformer à la volonté de Dieu, de faire le bien, d’accomplir des œuvres, cum Deo ardua semper ac magna facere (C. R., ii, 551, 29 ; cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 63, c. med.) ; bref, de se hausser à l’idéal moral du christianisme (caractérisé par les termes : veritas et innocentia ; cf. supra, col. 3753 et C. R., viii, 272, 14 : Innocenter ergo vivere et humiliter vivere, christiane vivere est ; ibid., iii, 705, 29 ; 706, 11 ; 716, 35 ; 845, 19 : Vita christiana innocentia est, ut sœpe iam diximus) ; d'être un homme nouveau, wiedergeborene und neue Menschen (C. R., i, 178, 1 ; ii, 496, 22 ; cf. renovalio, nova vita, Sch.-Sch., vol. iv, p. 47-48). C’est là l’aspect positif de l'œuvre de la grâce en nous, sur lequel Zwingli se plaît à mettre l’accent (cf. C. R., ii, 496, 22 ; iv, 608, 22 sq. : l'Évangile n’est pas seulement synonyme de rédemption, mais de vie nouvelle ; point de pardon complet sans rénovation de vie ; ibid., iii, 868, 22 : la nouvelle nature est une création de l’Esprit de Dieu ; ceux qui ont l’Esprit du Christ lui appartiennent et ceux qui sont du Christ font tout selon son intention et sa volonté ; ibid., 760, 25 sq., etc.).

Concurremment, cependant, la chair continue de porter ses fruits (C. R„ ii, 649, 7). La régénération, œuvre progressive, n’est jamais complète, non seulement parce que la volonté de Dieu est parfaite et que la créature ne peut s'élever jusqu'à elle, mais parce que l’homme, même régénéré par l’Esprit, demeure soumis aux inclinations de la chair et sujet à des rechutes (C. R., ii, 49, 7 ; 641, 14 ; 643, 27). Nous sommes ici au nœud du double dualisme zwinglien : Dieucréature, esprit-chair. D’où la nécessité du combat spirituel (note érasmienne) (C. R., i, 177, 5 ; ii, 643, 26 ; 648, 16 ; iii, 909, 19).

Hors même le témoignage de l'Écriture ou l’expérience spirituelle du chrétien, Zwingli suit ici la pente de son système : car si l’homme saisit Dieu par la foi, il éprouve en retour le bénéfice de l’action de Dieu, du Dieu-Esprit souverainement et universellement agissant, ou plutôt il est prévenu par elle, et la foi, rigoureusement parlant, n’est qu’une étape qui doit être suivie des œuvres de la foi. Cette action de l’Esprit transforme le sujet du dedans et fait de lui l’instrument des volontés de Dieu au dehors. Encore que l’on trouve chez saint Paul des points d’appui à cette doctrine, elle prend chez Zwingli un relief spécial et une tournure qui lui est propre. Le protestantisme, en l’une de ses directions, en sera profondément marqué.

2. On perçoit mieux l’originalité de Zwingli, dès lors qu’on compare chez lui les concepts de justification et de régénération. Sans doute Zwingli, surtout

dans les premiers ouvrages où il est sous l’influence de Luther, relève le rôle de la foi dans la justification. Mais bientôt l’accent se déplace de la justification à la régénération. De même, ce qui compte, c’est moins la foi que l'élection ou la vocatio efflcax de Dieu (Sch.Sch., vol. iv, p. 121, c. fin.). Au lieu de considérer la Rédemption et l’application des mérites du Christ au sujet qui croit et est absous de ses péchés, Zwingli s'élève au plan du conseil et de l’action divine : il n’y a alors en présence que Dieu et l'âme, l'élection (ou vocatio efflcax) de Dieu et l’opération qui la suit, dont il s’agit pour le « je de prendre conscience.

Nous savons par ailleurs que cette opération suppose la Rédemption accomplie, mais celle-ci se prend plutôt du côté de Dieu, comme satisfaction de sa justice et gage de sa miséricorde, que de l’homme pécheur. Ce qui importe à celui-ci, c’est de se soustraire à soi-même, à Vamor sui, et de se confier en Dieu, de se mettre totalement sous l’emprise divine. Dans la mesure où il éprouve cette action, notamment par les œuvres qu’elle lui fait produire, il est régénéré et cette régénération ou rénovation intérieure implique l’assurance que l’obstacle mis par le péché entre Dieu et l’homme est levé, que l’homme est justifié. De ce point de vue, il est essentiel de noter que pour Zwingli la régénération comporte des degrés corrélatifs à l’action de Dieu en nous, ou à notre fidélité à observer ses commandements (cf. C. R., ii, 182, 19 ; 183, 6 ; 497, 17) ; en outre, à mesure qu’elle croît, croît aussi la conscience de l'élection. Toute une casuistique a été dans la suite édifiée sur ces principes par l’orthodoxie calviniste, qui était sans doute étrangère à Zwingli (cf. E. Brunner, Gebot und Ordnungen, p. 375). En lui, la conscience de l'élection se confondait avec ce qu’on peut appeler la « conscience prophétique » (cf. infra, col. 3919-20).

Finalement donc, l’homme est justifié et il se sent tel aux yeux de Dieu. La justification cesse d'être, comme chez Luther, un acte initial, de caractère objectif (ou judiciaire), qui prélude à notre sanctification ; elle est plutôt le terme d’un processus au cours duquel joue, avec l’action divine, la subjectivité du croyant. Être élu, c’est être attiré par le Père, mais encore faut-il que le je » en prenne conscience. Pour cela, point n’est besoin, comme chez Luther, à l’application de la Rédemption, de médiation : parole ou sacrement : l’Esprit nous instruit directement de notre élection par la confiance toute filiale en Dieu qu’il nous inspire (cf. C. R., v, 629, 2 : A Deo electi atque intus Spiritu docti : cf. Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 136). On ne voit donc pas comment E. Brunner a pu écrire que, même comparée à celle de Luther, la doctrine de Zwingli sur la grâce est caractérisée « par une immense objectivité, qui le préserve des déviations psychologiques » — telles que la doctrine romaine de la grâce infuse (Grâce in the theology of Ihe Reformers : Zwingli, dans The Doctrine of Grâce, éd. W. T. Whitley, Londres, 1932, p. 216).

3. Les luthériens s’aperçurent bien que Zwingli ici encore allait son propre chemin. Mais ils interprétèrent son attitude comme un retour à la justice des œuvres : ce qui était bien loin de sa pensée (cf. C. R., v, 575, 9 sq.). Car, s’il relève les œuvres, c’est à titre d’effets de l’opération divine, de ce chef doublement gratuits, iam dono tribuitur donum (Sch.-Sch., vol. iv, p. 121), et il rejette radicalement tout mérite. Il exclut même toute inférence à partir des œuvres à l’intention de leur auteur (cf. C. R., iii, 383, 21 ; ix, 462, 4 ; Sch.Sch., vol. vi, t. i, p. 341, 348) ; car les œuvres les meilleures portent toujours le cachet de la malice et de l’hypocrisie humaines. Les œuvres ne méritent donc considération qu’autant qu’elles sont de Dieu. Néanmoins, à Marburg, Mélanchton formulait ainsi les