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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1147

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ZWINGLIANISME. LE BAPTÊME


(cf. C. R., iii, 410, 13 ; viii, 271, 16), et Rom., iv, 11 (cf. C. R., viii, 273, 16). En fait, la promesse de Dieu est ferme, et elle vaut pour toute la postérité spirituelle d’Abraham, d’autant que la mort du Christ est intervenue qui a enlevé la condamnation qui pesait sur nous.

De ce chef, les enfants nés de parents chrétiens (les autres sont ici hors de cause) appartiennent déjà de droit à l’Alliance, et le baptême ne fait que sanctionner ce droit, en les y agrégeant positivement. Les enfants des chrétiens sont de Dieu, insiste Zwingli ; pourquoi donc ne recevraient-ils pas le signe des enfants de Dieu (argumentation imitée de Act., x, 47) : C. R., m, 411, 21 ; viii, 271, 40 ; 272, 23. Voir aussi le recours à I Cor., vii, 14 : C. R., viii, 272, 24. D’autant que la foi, celle des faibles s’entend, ne peut se passer de signe (unsere ougen wellend ouch sehenn) : à défaut de baptême, les parents chrétiens recourraient à la circoncision (C. R., iii, 411, 18). Ainsi il n’échappait pas au fin connaisseur de l’homme qu’était Zwingli combien les sacrements sont fondés en nature.

Dans l’Elenchus, Zwingli ajoute un troisième chef de considération, tiré de l’élection divine (Sch.-Sch., vol. iii, p. 424 sq.ï. En déplaçant l’accent de la foi subjective à l’élection qui ressortit à Dieu, il justifie la collation du baptême aux enfants dont on peut préjuger, du fait qu’ils naissent dans l’Église, qu’ils sont élus. Voir aussi Wer Ursache gebe, C. R., iii, 410, 27, où les sacrements sont appelés : « signes des élus de Dieu ».

D’autre part, la rétention du baptême des enfants n’est pas sans influer sur la conception que Zwingli se fait du sacrement de baptême.

a) À la faveur de cette pratique, il réintroduit dans le schéma sacramentel un élément d’objectivité : l’Alliance (Sch.-Sch., vol. iii, p. 413 sq.). Le baptême opère l’intégration au peuple de Dieu, à l’Église, par la vertu de l’Alliance (aus dcr Kraft des Bundes). C’est là le principe de la théologie « fédérale », développée par Calvin, qui associe à l’idée d’alliance l’octroi de la grâce.

b) En même temps, le baptême est soustrait aux vicissitudes de la foi personnelle, contrairement à ce qui advenait chez les anabaptistes. (Chez eux, l’administration du baptême présupposait que le néophyte fût déjà de quelque manière confirmé dans la foi et en donnât les preuves, si aléatoire que cela parût.) Le baptême est signe de l’élection, réalité toute divine, intemporelle, ou signe de la foi professée par la collectivité, foi indéfectible, s’il en est (soit foi professée publiquement par les parents, soit foi envisagée comme bien commun de l’Église). En même temps, Zwingli a répondu à l’objection selon laquelle de toute nécessité la foi doit précéder le baptême (d’après Marc, xvi, 16) : il suffit de l’entendre au sens de la foi de l’Église, comme dans le cas de la circoncision la foi d’Abraham précédait l’application du rite.

c) L’analogie vaut jusqu’au bout : de même que par l’octroi de la circoncision Dieu entendait se réserver la postérité d’Abraham, de même les enfants et leurs parents, car ils sont solidaires, encourent du fait du baptême certaines obligations, auxquelles seule une éducation chrétienne peut satisfaire (C. R., iii, 410, 23 ; 411, 24 sq. ; viii, 274, 15 sq.).

Par là même Zwingli inclut dans le baptême des enfants la doctrine, ce troisième élément réclamé par les anabaptistes, tandis qu’il remet à la cène la profession personnelle et publique de la foi, dont le signe a été reçu au baptême (C. R., iii, 411, 34 ; viii, 274, 31). Ici paraît son âme d’éducateur, qui tire du baptême des enfants une valeur nouvelle, pédagogique.

Conclusion. Portée de cette doctrine. — Ainsi la thèse du baptême des enfants permettait d’équilibrer une conception du sacrement qui tendait au spiritualisme

mystique, en y intégrant des valeurs d’ordre plus objectif, social et pédagogique. Alors que, pensant le baptême en termes de baptême des adultes, Zwingli était surtout attentif à l’Esprit, dont il convenait d’abord de sauvegarder la liberté, loin de l’enchaîner à un signe, quand il traite du baptême des enfants, il s’ouvre à une tout autre perspective, au terme de laquelle on aperçoit l’Église. Aussi bien, dans le différend avec les anabaptistes, était-ce la véritable notion de l’Église : secte ou Église faite pour la masse (Volkskirche), qui était en jeu. En recourant à l’Ancien Testament pour y découvrir un précédent du baptême, Zwingli y trouvait en même temps la conception de l’Église-peuple de Dieu, théocratie, qui correspondait parfaitement à ses aspirations et à l’organisation qu’il était en voie de donner à l’Église de Zurich. Ainsi, en défendant le baptême des enfants contre les anabaptistes, Zwingli faisait d’une pierre deux coups : il se débarrassait d’adversaires gênants et il poursuivait son œuvre de réformateur.

Mais, en même temps, un danger apparaissait à l’horizon : ce recours à l’Ancien Testament ne serait-il pas suivi d’une nouvelle offensive de légalisme qui, opérant au nom de la théocratie, ramènerait tout un système d’ordonnances et de prescriptions cent fois plus tracassières que celles qu’on venait d’abroger ? Et le baptême lui-même, en incorporant à l’Église et en inaugurant les obligations du sujet, ne ferait-il pas peser sur celui-ci un fardeau nouveau ? La suite de cet article donnera réponse à cette question. Pour l’instant, reconnaissons que nous sommes ici à l’articulation des deux aspects de la pensée zwinglienne : un individualisme mystique, qui se passe du baptême comme de tout signe ou rite extérieur (cf. C. R., iii, 411, 7), et une idéologie théocratique empruntée à l’Ancien Testament, qui tend à réaliser sur terre le peuple de Dieu avec ses lois et ses ordonnances.

Or, comme le remarque P. Wernle, « ces deux concepts se rencontrent seulement en un point : dans la dépréciation du baptême. Le croyant fervent n’en a pas besoin, et le membre du peuple de Dieu ne peut le considérer que comme une étiquette politique, une sorte de serment civique, qui oblige à l’observation des vertus chrétiennes. C’est là, bien entendu, quelque chose de tout à fait différent du baptême dont fait mention le Nouveau Testament ; en conséquence, Zwingli se voit obligé de fausser le sens de presque tous les passages néo-testamentaires sur le baptême et de leur enlever leur valeur, ce qu’il fait d’ailleurs avec une assurance vraiment surprenante. Par là s’explique le préjugé singulier qui lui fait assimiler le baptême du Christ au baptême de Jean. Cette assimilation revient à enlever au premier sa valeur religieuse : sa thèse signifie à peu près ceci, que le Christ n’a pas institué le baptême et n’a pas baptisé ses disciples, que le baptême n’a rien de spécifiquement chrétien. Il n’en demeure pas moins pour Zwingli une coutume chrétienne qui a son prix, étant d’institution divine, mais toujours, évidemment, comme cérémonie politique, comme signe civique ( Biirgerzeichen) chrétien, et non pas comme acte religieux, ayant une signification quelconque pour l’individu. Fidèle à sa conception sacramentaire d’ensemble, Zwingli a ici pousse la logique jusqu’au bout, il a détaché le baptême de l’économie du salut et l’a réduit au rang de signe de la théocratie. D’où, en conclusion, l’analogie de la circoncision juive. Dans le Nouveau Testament, Zwingli ne pouvait pas, sinon avec peine, découvrir cette valuation théocratique du baptême ; pour l’Ancien Testament, en revanche, et son Église-Peuple de Dieu (Volkskirche), tout va de soi, et les enfants, bien entendu, font partie de l’institution » (P. Wernle, Zwingli, 1919, p. 208).