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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1168

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3865 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3866

de la communauté ecclésiastique et de la Cité, certaines mesures prises par l’autorité civile gardienne de l’ordre extérieur atteignent directement les fidèles dans leur vie religieuse même. L’inverse se vérifie aussi. Le pouvoir d’excommunication devient ainsi mitoyen (cf. infra, col. 3867).

2. La distinction des deux Pouvoirs et la théorie de la double Justice. — La distinction des deux Pouvoirs, Zwingli le sait, se prend de leurs objets. Dans l’opuscule Von gôttlicher und menschticher Gerechtigkeit (30 juillet 1523 ; C. R., ii, 458 sq.), qui fait suite aux Schlussreden et leur sert de complément, Zwingli définit ceux-ci en ternies de justice transcendante et divine ou purement humaine ; car au fond, sous ce thème, c’est bien de cela qu’il s’agit : délimiter la sphère de compétence de l’Église et de l’État, l’une concernant « l’homme intérieur », l’autre « l’homme extérieur » (C. R., ii, 484, 17. 22).

Définie comme la communauté des croyants, l’Église est régie par la « justice de Dieu », c’est-à-dire par la règle de la justice absolue, tempérée pourtant par le commandement de l’amour (cf. C. R., iii, 459, 5). Cette justice de Dieu, c’est ce que l’on nomme communément la » loi de nature » ; mais, pour Zwingli, elle est plutôt synonyme de directive de l’Esprit de Dieu, car c’est Lui qui, en poussant les cœurs à la foi, régit souverainement la vie des communautés. De son côté, l’État a pour tâche de faire observer la justice humaine, c.-à-d. cet ensemble de lois positives (cf. supra, col. 3809) qui règlent la vie pacifique des nommes en société. De la sorte, la relation Église-État dépend du rapport entre la justice divine et la justice humaine. Or ce rapport est dialectique : d’une part, le magistrat chrétien doit s’efforcer de faire coïncider les prescriptions légales avec la volonté de Dieu, de faire qu’elles lui soient conformes (gleichfôrmig) ; et d’autre part, il sait que la justice qu’il établira sur terre ne sera jamais qu’une t ombre de la vraiejustice = (cf. C. R., h, 330, 14).

Jusqu’où s’étend la compétence de l’État en matière religieuse ? Zwingli le précise en réponse à une objection. S’il en appelle à la législation existante en faveur du paiement de la dîme, va-t-on en conclure au maintien de la messe, de la confession — et autres pratiques catholiques — jusqu’à ce que l’autorité séculière en décide autrement ? « Non pas ; il n’y a pas à recourir en ces matières à l’Autorité (Obrigkeit), car elle n’est pas établie sur la parole de Dieu et la liberté chrétienne, mais seulement sur le bien temporel (das zytlich gui)… » Contrarierait-elle le libre exercice de la prédication, il faudrait, quoi qu’il en coûtât, passer outre. « Allons, voulons-nous être des magistrats (Oberen) chrétiens, nous devons laisser prêcher la claire parole de Dieu, et puis la laisser œuvrer ; car nous n’avons pas pouvoir sur les âmes et consciences des hommes… Remarquons donc bien que le pouvoir, qui revient à l’autorité séculière sur notre bien temporel et notre corps, ne s’étend pas à l’âme » (C R., n, 514, 17 sq.). — Cette opposition du spirituel et du temporel n’est que provisoire : bientôt Zwingli s’avisera de restreindre le spirituel à la foi (spirituel pur), et il étendra la compétence du pouvoir civil à la discipline et au culte extérieur de l’Église. C’est que les points de vue, comme les adversaires, auront changé : au lieu de revendiquer la « liberté du chrétien contre les catholiques, Zwingli défendra, a rencontre des anabaptistes, le droit d’intervention de l’autorité chrétienne (cf. infra, col. 3879).

3. Le pouvoir civil chargé de promouvoir la Réforme.

— À la suite des précédents traités, il faut ranger Wer Ursache gebe zu Aufruhr (décembre 1524 ; C. R., m, 355 sq.), sorte de discours-programme qu’on a comparé à l’adresse de Luther à la noblesse alle mande. Zwingli y fait moins la théorie des deux Pouvoirs qu’il ne montre comment, dans les conjonctures actuelles, l’autorité séculière doit se conduire.

Or ses recommandations ne visent à rien moins qu’à attendre d’elle Y introduction de la Réforme avec toutes les conséquences pratiques, éthico-sociales, qu’elle entraîne : donc réforme du statut du clergé et des monastères, disposition des biens ecclésiastiques, etc. Zwingli considère le petit peuple comme acquis à ses idées (ibid., 446, 13 ; cf. ibid., 439, 3) ; cependant il sait que, dans une société hiérarchisée telle que la Renaissance l’a héritée du Moyen Age, l’essor d’une cause religieuse dépend en majeure partie du bon vouloir des grands. C’est donc vers ceux-ci qu’après avoir censuré les adversaires faux ou simulés de la Réforme il se tourne (ibid., 445, 12). Il dresse devant eux un programme pratique dont il leur met en mains l’application, leur proposant pour modèle le conseil de Zurich qui, en ces matières, a pris des initiatives hardies et heureuses (ibid., 454, 5). Nous savons par ailleurs que Zwingli lui-même en était l’inspirateur. Sans doute le réformateur a à compter ici avec l’hostilité de certains gouvernants qui, pour des raisons religieuses, mais aussi d’ordre politique ou matériel, s’étaient déclarés fidèles à la papauté ; de leur part, un changement d’attitude est synonyme de « conversion ». Cela étant, vu la combinaison des facteurs spirituels et temporels à l’époque, Zwingli croit faire œuvre de bon apologète en ouvrant les yeux des récalcitrants sur leurs véritables intérêts ; la Réforme se recommande non seulement religieusement, mais socialement, économiquement, financièrement {ibid., 448, 11 ; 451, 12). Ici le réalisme de Zwingli se découvre.

Finalement l’auteur résume ainsi sa pensée — nous retrouvons la dichotomie précédente : « Il s’agit de deux choses : de l’homme intérieur d’abord. Laissez-le nourrir de la parole de Dieu. Car êtes-vous croyants, vous le ferez volontiers ; êtes-vous incroyants, qu’est-ce que cela vous fait que l’on croie ? Quant à l’homme extérieur, il est de votre ressort et la parole de Dieu ne vous le retirera pas, pour autant que vous observez les limites convenables. Mais s’il arrivait que quelqu’un abusât de l’Évangile selon la liberté de la chair, sachez que vous ne portez pas le glaive en vain (cf. Rom., xiii, 4) » (C. R., iii, 468, 26 sq.).

C’est là un avertissement donné aux anabaptistes qui se révélaient toujours davantage comme une secte, non seulement schismatique, mais anarchique (C. R., iii, 404, 5 ; iv, 641, 23). Zwingli les appelle « démolisseurs de l’autorité chrétienne » (C. R., iii, 884, 39), encore que sous couleur d’idéalisme mystique. A les entendre, les chrétiens se passent d’autorité ; ils n’ont que faire de ses prescriptions, vu qu’ils sont tenus par la loi d’amour et le code éthique du Sermon sur la montagne, qui nous transporte dans une autre sphère que celle du droit et de la coercition. La conception même qu’ils se font de l’Église aboutit à soustraire ses membres à l’obédience du pouvoir civil. Utinam talem Kcclesiam habeamus, se borne à répondre Zwingli à leurs prétentions (C. R., iii, 869, 8), et il développe dans le Commentaire, à la section De Magistratu (C. R., iii, 867 sq.), une théorie des rapports des deux Pouvoirs fondée sur la notion d’Église visible (cf. C. R., iii, 744, 15 ; 870, 40, et supra, col. 3851 sq.).

I. Doctrine du Commentaire » (mars 1125) ; le magistrat chrétien. — Cette relation se résout pour lui, non pas comme jadis dans l’investiture donnée par le pape aux princes et aux rois, mais bien dans la qualité chrétienne de l’autorité. Il prend le contrepied de la thèse anabaptiste : non seulement Il nous faut un magistrat, mais il nous faut un magistrat