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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1177

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Z WINGLIANISME. SOCIOLOGIE ET POLITIQUE


communient étroitement entre eux (prophète et magistrat ; concrètement, Zwingli et le Conseil secret). Cette absorption est facilitée du fait que, malgré des affirmations de principe, la communauté chez Zwingli n’a jamais eu vraiment d’existence autonome. N’étant pas proprement une * incorporation » de l’Église invisible, elle ne pouvait que flotter entre celle-ci et la Cité, qui, elle du moins, trouvait ici-bas un ferme appui. D’autre part, encore que dans le conflit avec Luther il en appelle au jugement de l’Église universelle (cf. C. R., v, 563, 25), par où il entend l’Église visible, Zwingli ne connaît comme Église visible que des communautés isolées subsistant dans le cadre de la Cité (contre Br. Brockelmann, op. cit., p. 40). Les événements se sont conjugués avec le génie propre de Zwingli pour donner à celle-ci plus de relief, aux dépens de celle-là. Ainsi à Zurich. Zwingli eût voulu étendre cette formule à d’autres villes, dont Constance, la théocratie zurichoise servant de modèle à la Suisse réformée et à l’Allemagne du Nord.

D’autres motifs, d’ordre plutôt idéologique, ont agi dans le même sens. Alors que l’Église au sens premier : Église invisible (A = A’) se prend par rapport à Dieu, l’Église au sens second : Église visible (B ou B’) a pour mesure le jugement humain qui s’arrête aux apparences : c’est dire qu’elle groupe ceux qui se donnent ou apparaissent comme chrétiens. De ce point de vue, les deux Églises sont entre elles comme la réalité et la figure (selon le platonisme zwinglien), ou mieux, leur diversité est fondée sur la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur. Car si l’une vise l’ « homme intérieur », l’autre aborde l’homme par l’extérieur et envisage ses rapports avec le monde. Or, par le jeu même des circonstances, il est apparu à Zwingli que, seule, la Cité christianisée pouvait organiser l’homme et le chrétien dans ses rapports avec ses semblables et que les « choses extérieures » étaient proprement de sa juridiction. On s’explique de ce chef que la communauté, vu surtout sa faiblesse de structure initiale, ait cédé le pas à la Cité : il suffisait à Zwingli, pour que le spirituel soit sauf, que l’Esprit régnât souverainement sur celle-ci ; d’où la place prééminente qui revient au Prophète, sorte de divinité tutélaire de la Cité (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 3 : Primas tamen ea in re propheta tenet ; ibid., vol. iv, p. 60).


VII. Idées politiques et sociales. —

Originalité de la sociologie de Zwingli. —

L’État est de toutes les ordinations et institutions divines celle qui nous montre le plus nettement que nous vivons dans un monde mauvais (E. Brunner). Zwingli, comme Luther, eût sans doute souscrit à cette formule. Cependant, à la différence du réformateur allemand, il se rend un compte exact des conditions d’existence de la nature déchue, et ce réalisme même le conduit à adopter à l’égard de l’État et de la société une attitude plus positive.

a) Comment expliquer les différences doctrinales en matière de sociologie entre luthériens et zwingliens, alors que les uns et les autres partent des mêmes prémisses et puisent aux mêmes sources littéraires, surtout bibliques ? H. Wendorf nous invite à reporter notre attention sur la personnalité même des deux réformateurs : l’un, plus religieux et plus mystique, n’arrive à fixer l’attitude convenable au chrétien à l’égard de l’État que par un détour et il est retenu jusqu’au bout par une certaine défiance à l’égard du politique ; l’autre, religieux aussi sans doute, mais plus ouvert aux réalités sociales et politiques, accepte d’emblée l’État, lui fait une place dans son système et lui consacre même une part de son activité (cf. H. Wendorf, Zwinglis Slellung zum Staale, dans Staat und Persônlichkeit, Erich Brandenburg zum 60. Geburtstag, Leipzig, 1928, p. 91-106). Encore est-il que

cette personnalité a grandi et s’est formée dans un milieu qui favorisait l’engagement politique. W. Kôhler en fait la remarque : « De prime abord, comme l’essence même de l’histoire et de la Constitution helvétique le postule, la personnalité est indissolublement liée à l’activité politique et ne saurait se retrancher dans une attitude abstentioniste » (W. Kôhler, Ulrich Zwingli und die Reformation in der Schweiz, 1919, p. 5). On pourrait raisonner de même en ce qui concerne l’activité sociale de Zwingli : « On se plaît à penser, écrit A. Farner, que la tradition subsistant encore spécialement en Suisse de la Markgenossenschaft (union forestière), qui reposait sur le principe du dévouement au bien commun, s’unit chez Zwingli aux exigences du commandement chrétien de l’amour dont il avait un sentiment très vif (pp. cit., p. 46). Voir aussi H. Meltzer, Das Nationale und Soziale bei Zwingli, dans Die Hilfe, 1931, n. 42, p. 1012-1014 ; n. 43, p. 1034-1037.

b) Si, comparée à celle de Luther, la doctrine de Zwingli sur l’État est plus positive, rapprochée de celle de Calvin, elle nous apparaît comme plus critique. Telle est du moins l’impression que donne l’étude de P. Wernle : Zwinglis und Calvins Stellung zum Staat, Referai in der Jahresversammlung des Pfarrvereins des Kantons Zurich im Jahre 1916. On peut regretter seulement que l’auteur juxtapose les deux théories plutôt qu’il ne les compare vraiment entre elles et ne cherche à établir des rapports de filiation. Ceux-ci sont sans doute difficiles à discerner, et là même où l’on croirait surprendre un emprunt, il n’y a peut-être qu’une source commune. Ainsi, pour n’en donner qu’un exemple, Calvin cite les institutions d’Athènes et de Borne comme favorisant un contrôle de l’autorité par les échelons inférieurs ; W. Kôhler nous renvoie ici à un passage du Der Hirt de Zwingli (cf. C. R., iii, 36, 7) qui contient les mêmes termes ; en fait, comme Wernle le note (op. cit., p. 58, note), ce traité n’était alors abordable que dans le texte allemand et donc inaccessible à Calvin, qui, comme Zwingli lui-même, s’est renseigné directement auprès de Cicéron. Une étude comparative plus poussée reste encore à faire.

c) Ce n’est pas notre dessein de l’aborder. Fidèle à notre méthode, nous considérerons la doctrine zwinglienne pour elle-même et chercherons à l’expliquer selon ses propres principes et dans son évolution naturelle. Déjà L. von Murait a indiqué toute l’importance dans ce contexte du Von gottlicher und menschlicher Gerechtigkeit 1523 (cf. L. von Murait, Ueber protestantische Staatsanschauung, dans Schweizerische Rundschau, n. 6, 1937, p. 393-402). Là, pour la première fois, Zwingli, confrontant les données bibliques et ses expériences, se demande dans quelle mesure il convient au chrétien d’affirmer l’État, la propriété, d’accepter l’action sociale et politique. De rejet en bloc de toutes ces valeurs, à la manière des anabaptistes, il ne saurait être question, mais encore faut-il les justifier au regard de l’éthique chrétienne, et sans en sacrifier les principes. Qu’il s’agisse de l’autorité, de la propriété privée ou de la guerre, en tous ces problèmes d’actualité qui vont maintenant nous occuper, Zwingli a ressenti, encore que de façon inégale, la tension qui existe entre l’idéal et le réel.

Comment l’a-t-il surmontée ? En remontant à Dieu, qui, vu l’état actuel de l’humanité, a institué l’autorité, veut la propriété et permet la guerre. Mesuré à la norme de l’idéal et de l’absolu, la relativité de ces institutions et données sociologiques ne se manifeste que trop. Cependant elles servent, à leur ordre et en leur temps, l’accomplissement des desseins du Dieu-Esprit, qui dispose souverainement toutes choses. C’est donc le spiritualisme de Zwingli qui, en dernière