Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
3899
3900
ZWINGLIANISME. IDÉES SOCIALES


ix, 464, 21 ; 465, 24) qu’il incombe de faire justice. Aux Caïphe et aux Anne s’opposent les Ézéchias et les Josias.

2. Dans le Commentaire sur Jérémie, d'époque tardive (1531), Zwingli paraît encore plus radical, et surtout sa doctrine gagne en universalité. Il joint aux témoignages de l’Ancien Testament ceux de l’Antiquité classique : deux sources qu’en la matière Luther ne recevait pas (cf. Lossen, op. cit., p. 22 ; Cardauns, op. cit., p. 4). À l’exemple des Israélites et de Manassé succède celui des Clodius, des Caton et des Cicéron : « N'était-il pas expédient que Clodius, cet homme funeste, fût assassiné par Milon, ou fallait-il que le peuple romain fût forcé de le supporter dans ses débordements de tout genre ? Beaucoup eussent préféré voir Caton tirer le glaive contre César plutôt que de le tourner contre soi-même. Cicéron se serait vu épargner bien des labeurs, si un vengeur de la patrie s'était présenté qui eût eu le courage d'éliminer Catilina devenu un danger pour l'État » (Sc/i.Sch., vol. vi, t. i, p. 115).

Et voici la leçon morale de portée universelle et toujours actuelle. Zwingli enseigne la responsabilité collective : « Il n’y a qu’une nation corrompue à pouvoir supporter des mœurs plus corrompues encore que les siennes. L’humanité a ceci de bon que les hommes les plus pervers n’osent pas accomplir leurs desseins dans une société mêlée de bons et de méchants qui leur ressemblent. Une certaine pudeur à l'égard du bien qu’ils ne peuvent associer à leur crime, ou la crainte des châtiments, les retient. Ainsi, quand tu entends dire que quelqu’un se livre à tous les forfaits sans trouver d’opposition, ne doute pas que, selon le proverbe, il y a là deux choses bien appariées (similes habel labra lactucas). C’est ainsi que Manassé a trouvé autour de soi des gens sans honneur qui lui permirent d’agir de même » (ibid.).

3. Néanmoins, l’exemple une fois proposé et la leçon tirée, Zwingli en limite l’application. De la légitimité du meurtre du tyran, ne nous hâtons pas de conclure qu’il appartient à l’homme d’en prendre l’initiative. Non, ici encore, Zwingli se réfère au conseil de la Providence divine qui coïncide avec les vues de son spiritualisme. * Il faut éviter avant tout la conjuration (ou la rébellion). Mais dès lors que des bons et des innocents sont opprimés, le juge ne saurait se faire attendre longtemps. Il faut donc tendre l’oreille, afin que, quand le Seigneur viendra pour tirer vengeance, nous ne tardions plus : jusque-là, et sans un ordre exprès de lui, on ne saurait rien tenter. Cet ordre nous est communiqué par une apparition, des signes, ou par les prophètes, avec une telle évidence qu’il n’est personne alors à ne pas voir ce qu’il faut faire » (ibid., p. 115-116).

Uu nouvel élément s’est ici introduit : il ne s’agit plus, comme tout à l’heure, pour le peuple ou ses représentants, cédant à un motif de justice, de déposer le souverain qui enfreint cette règle, mais bien, pour l’individu guidé par une inspiration divine, d’obéir à l’ordre d’en haut, si dur, si implacable qu’il puisse paraître. Déjà le cas de SaUl et d’Agag avait suggéré à Zwingli, dans YAuslegung des 4.0. Artikels, une pensée semblable : « Dieu ordonne-t-il de tuer sans droit (on recht) dans une guerre ou autrement, il faut lui obéir, et pas auparavant » (C. R., ii, 335, 20). Cela, selon le principe que Dieu est au-dessus du droit (cf. supra, col. 3786), et que sa volonté est souveraine. Ce passage de l’objectif au subjectif est bien dans la logique du système zwinglien. On entrevoit tout le parti qu’on en peut tirer en faveur de la légitimité du tyrannicide. Il semble donc qu' « on puisse déduire de là que le tyrannicide, tel que Knox par exemple l’enseigne, est conforme à la pensée du réfor mateur ; mais, à s’en tenir à la lettre, il demeure faux de prétendre que Zwingli l’ait ouvertement justifié » (J. Kreutzer, op. cit., p. 88).

Conclusion. — En conclusion, Zwingli envisage le problème de la déposition du tyran d’un point de vue exclusivement religieux, qui confine même parfois, nous venons de le voir, au spiritualisme mystique. Les considérations juridiques n’ont aucune place chez lui. Alors que Luther revisera son opinion sous l’influence des juristes, Zwingli suit jusqu’au bout la logique de son système. S’il adopte d’emblée des solutions plus radicales que Luther, ce n’est pas en vertu d’une mystique révolutionnaire à l'égard de laquelle tous deux se trouvaient également en défiance, mais bien à raison de son pneumatisme en qui religion et politique s’unifient et échangent leurs moyens.

Aussi bien, de même que l’excommunication est précédée de la monition, la déposition du tyran a pour condition la correction préalable de ce dernier par le prophète (cf. C. R., iii, 27, 13 sq. ; 36, 7 sq. ; 57, 9, etc. ; 432, 14 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 59 ; vol. v, p. 485 sq. ; vol. vi, t. i, p. 264). C’est quand tous les avertissements prophétiques sont demeurés sans effet que la majorité du peuple chrétien ou ses mandataires, épris du même idéal de justice et de religion, et plus encore soulevés par le même Esprit, portent le coup décisif : destitution et éventuellement exécution sanglante ou extermination à la suite d’un conflit armé. En tous ces cas, l’homme n’est qu’instrument de la justice, encore qu’il poursuive directement un bien social : épargner à la communauté, en éliminant son chef, les pires déboires.

Finalement, c’est dans une perspective eschatologique qu’il convient de se placer pour comprendre la doctrine zwinglienne : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre. Refusez-vous de vous convertir intérieurement, et de mettre votre bon plaisir dans la justice divine, les situations temporelles pour lesquelles vous luttez changeront de face sans doute à vos dépens. Vous devez aussi vous bien persuader que la force d’un roi, disons de tout détenteur de l’autorité, réside dans son peuple. Si celui-ci se détourne de lui, où donc est son pouvoir ? » (Wer Ursache gebe, C. R., iii, 446, 4 sq.)

iv. idées sociales de zwia’Gli. — Nous considérerons brièvement le développement, puis les principaux points de la doctrine sociale de Zwingli.

Développement de la doctrine sociale de Zwingli.


1. Les principaux thèmes sociaux de Zwingli et les courants du temps. — a) Zwingli a débuté à Zurich, comme réformateur social, en un temps où le désir d’un ordre social nouveau était général (cf. C. R., m, 70). Dans le résumé de ses premières prédications que nous a laissé Bullinger, les thèmes sociaux tiennent une grande place : « Il se mit à prêcher avec vigueur contre l’erreur, la superstition et l’hypocrisie. Il inculqua avec énergie la nécessité de la pénitence ou amendement de vie, et de l’amour et de la fidélité chrétiennes. Il censura durement les vices tels que l’oisiveté, l’intempérance dans le manger, le boire et les vêtements, la débauche, l’oppression des pauvres, les pensions et les guerres ; insista fortement pour que l’autorité jugeât avec justice et s’en tînt au droit ; protégeât la veuve et l’orphelin, et que l’on s’appliquât à maintenir la liberté de la Confédération, quitte à fermer la porte aux mandataires des princes et des seigneurs » (Heinrich Bullingers Reformalionsgeschichte, i, p. 12). Zwingli était alors sous l’impression d'Érasme et du Sermon sur la montagne. Aux pauvres il enseignait la patience et la modération dans les désirs (C. R., i, 383, 28 ; 417, 7). Il s’enhardit même à parler contre la dîme (C. R., vii, 272, 15). Il faisait ainsi écho aux plaintes du menu peuple qui ne voyait