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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1187

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ZWINGLIANISME. IDÉES SOCIALES


Il y a, accordait-il, toute sorte de pratiques et d’usages qui n’ont pas d’appui dans l’Écriture et auxquels cependant il faut se tenir pour éviter le désordre (cf. C. R., iv, 531). Finalement il renvoyait au Landrechl, dont l’autorité était la gardienne. C’était admettre une évolution historique pouvant engendrer des situations sociales et économiques, que le seul recours au texte biblique ne suffisait pas à éclairer.

Le tort des anabaptistes et des gens frustes égarés par leur propagande, c’était de ne pas tenir compte des faits et de vouloir revenir à l’âge d’or du christianisme. Zwingli avait trop de sens pratique, disons mieux, de véritable sens chrétien pour les suivre. Mais en même temps qu’il rompait avec eux, il s’appuyait sur l’autorité et lui devenait plus ou moins inféodé, même doctrinalement. Le Sermon sur la montagne demeura à titre d’idéal : c’était la justice divine ; mais dans le concret tout son effort visa à obtenir de tous l’observation des préceptes de la justice humaine (Tu ne prendras pas le bien d’autrui), dont l’autorité était garante (cf. C. R., ii, 483, 12 sq. ; 486, 18 sq. ; 490, 9 sq. ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 586 sq.). // ne s’agissait plus de réformes de structure, mais de quelques aménagements partiels, avec, simultanément, dans le cadre même des institutions existantes, l’accent mis sur les dispositions intérieures de l’âme. On en a un exemple en matière de propriété. La légitimité de la propriété privée est pour Zwingli, comme pour le Moyen Age, le pivot de l’ordre social (Kern, P. Meyer) ; mais, dans les limites de cette reconnaissance extérieure, il convient à chacun de tendre à la surmonter intérieurement — car elle demeure en soi un mal, encore qu’inévitable du fait du péché et de l’égoïsme — en se détachant de ses biens et en les distribuant aux pauvres. Ainsi « à Zurich comme dans le Reich, le mouvement paysan se soldait pour l’élément démocratique de la Réforme par des pertes sensibles » (W. Kôhler, au t. iv des Œuvres, p. 344).

b) Est-ce à dire que Zwingli devint simplement conservateur et défenseur de l’ordre existant ? Non pas. Il avait un sens social trop aiguisé qui lui faisait apercevoir les abus, auxquels la charité évangélique le pressait de remédier. Nul plus que lui ne percevait la tension, que le progrès économique même ne rendait que plus aiguë, entre l’idéal évangélique de la communauté des biens et le droit social existant. Seulement la solution des Tâufer qui consistait à nier purement et simplement l’un des termes lui paraissait trop simpliste. Une autre raison, pour laquelle on ne saurait voir en lui, même en 1525, un avocat des classes possédantes, c’est que, à l’époque, son alliée, la municipalité, était progressiste. Par désir d’émancipation, elle tendait à prendre l’initiative des réformes sociales, voire à prendre en mains l’organisation de la charité et de l’assistance publique, qui, jusque-là, relevaient de la compétence du pouvoir ecclésiastique ; les nécessités mêmes de la Réforme poussaient Zwingli dans cette voie. Il trouva dans les édiles de Zurich l’instrument qui lui permit de réaliser son programme social et charitable (cf. infra, col. 3909).

Enfin, troisième raison, la plus importante sans doute, qui presse Zwingli de poser les bases d’un ordre social nouveau, c’est son opposition au catholicisme. On ne l’a peut-être pas assez remarqué ; et cependant, à lire un traité comme Wer Ursache gebe zu Aufruhr (décembre 1524 ; C. R., iii, 355 sq.), on ne peut méconnaître que V anticatholicisme fut pour Zwingli le levier caché de bien des réformes. Il se trouvait confronté par un ordre temporel dont toutes les avenues, jugeait-il, conduisaient vers Rome ; pour détacher les croyants de cette obédience, ce n’était pas assez de les rallier à l’évangélisme, il fallait encore créer un substitut de l’ordre que l’on critiquait, dans la réalité

sociale et économique elle-même. Or on ne pouvait le faire qu’en renonçant à l’universalisme et en travaillant dans le cadre national, cantonal ou local. En fait, les réformes zwingliennes, si louables qu’elles soient par certains côtés, frappent par leur particularisme : la chrétienté fait place à la Cité, et dès lors on tend à rendre celle-ci aussi autonome que possible, on prend des mesures qui lui permettront d’assurer la subsistance de ses habitants (évalués alors pour Zurich à 7 000 âmes), en tenant un compte exact de tout : liste des indigents, contrôle de la distribution de la farine et du prix du pain, etc. Il était devenu pour Zwingli axiomatique que toute communauté de ville ou de campagne devait être à même de subvenir à l’entretien de ses ministres et de ses pauvres ; la conversion des biens d’Église et des couvents fut opérée en partie dans ce but. En même temps, Zwingli visa à développer certaines valeurs qui, au déclin du Moyen Age, ne recevaient plus dans l’économie la place qu’elles méritaient : ainsi le travail productif.

La rançon de ces réformes : sécularisation des biens ecclésiastiques, insistance sur la nécessité d’un travail utile et rémunérateur, c’est que toute une partie de l’activité sociale et même économique qui était orientée vers le culte : donations, œuvres d’art, etc., fut bientôt réduite à néant. Zwingli n’avait aucun sens pour l’œuvre désintéressée, destinée seulement à rehausser le culte de Dieu ; ou plutôt elle lui apparaissait comme suprêmement intéressée, ayant pour fonction de gagner à son auteur la récompense céleste. Par là Zwingli est profane, et il prépare la voie aux temps modernes (cf. C. R., ii, 247, 30 ; 352, 1 sq. ; iii, 179, 20 sq. ; 184, 13 sq. ; 530, 20 sq.).

c) Cependant on ne saurait méconnaître l’inspiration profondément religieuse de son œuvre, qui s’étend au domaine social même. À la racine de tous les maux dont souffrait son époque, il a décelé l’égoïsme, la cupidité, mots chargés pour lui de sens théologique ; il s’est appliqué à en réfréner les principales manifestations, en s’appuyant sur le Décalogue ; mais il savait quelles barrières fragiles celui-ci élève contre les intérêts et les égoïsmes coalisés, s’il n’est étayé par l’amour. Il eût pu s’approprier le mot de saint Augustin : Ama et fac quod vis, et, de fait, il enseigne expressément que dans les relations d’affaires toujours plus complexes il n’y a, en définitive, que le précepte divin de la charité qui puisse prescrire la mesure à observer : « Sic cuilibet fideli in censibus, divitiis et negotiis secularibus faciendum est, ut quam proxime ad divinum prœceptum omnia agat » (Sch.-Sch., vol. v, p. 183 ; cité d’après P. Meyer, op. infra cit., p. 67).

D’autre part, chez lui, le pessimisme du réformateur était constamment tenu en échec par l’optimisme de l’humaniste, assimilé d’ailleurs par le sens chrétien. C’était sa conviction que les abus sociaux viennent du manque de connaissance de Dieu, et que, dès lors, il suffit de répandre la lumière du savoir et de la vérité pour que les cœurs s’ouvrent à la charité et que les mœurs et avec elles les institutions se transforment.

Ainsi Zwingli se garde de mêler l’Évangile aux intérêts et aux situations temporelles, à la question sociale, et cependant il ne laisse pas de penser que la solution de cette dernière est à chercher dans l’Évangile. Il existe donc chez lui, et cela le distingue même comme théologien des doctrinaires du luthéranisme, un sens pratique, social, qui, greffé sur son christianisme, a contribué à faire de lui l’initiateur d’un courant nouveau du protestantisme, destiné à se continuer après lui, car, Hundeshagen le remarque dans ce contexte : « La différence la plus sensible entre luthériens et réformés ne réside pas dans la dogmatique des deux confessions ni dans les autres sujets où on l’a