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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/167

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1863
1864
TRITHÈME (JEAN)

Cf. A. Nelson, Benso Albensis ou J. Trithème ? Stockholm, 1933.

Beaucoup plus stupéfiante serait, pour des Français, la lecture même hâtive des Origines de la nation des Francs, d’après Hunibald… On ne peut reproduire ce titre sans agiter la question, décidément fort gênante, des « falsifications de Trithème ». Dans ses deux grands ouvrages d’histoire, en effet, l’auteur se réclame, ici d’un annaliste allemand, Meginfrid, là d’un français Hunibald, auxquels il a donné place en son De scriptoribus ecclesiasticis. Or, ces deux chroniqueurs ne sont pas connus autrement. N’y a-t-il pas lieu de croire qu’ils ne figurent dans les œuvres de l’abbé que comme garants de ses propres inventions ? Déjà des écrivains du xvie siècle ont reconnu l’invraisemblance de certains détails et blâmé Trithème de son manque de critique. Au xviie siècle, d’autres l’ont ouvertement accusé de falsifications. Sans doute on a montré récemment qu’il affecte, à certains endroits, de se défier des données fabuleuses de son Hunibald, de son Meginfrid, et qu’il laisse subsister des contradictions entre leurs dires et les données qu’il avait par ailleurs. En somme, la preuve matérielle de la falsification est encore à faire ; cf. G. Mentz, Ist es bewiesen, dass Trithemius ein Fälscher war ? Iéna. 1892 : l’auteur de cet opuscule veut continuer à penser que ces deux sources seraient des compilations remontant au xiiie siècle, ce qui n’est pas fait pour donner plus d’autorité à deux ouvrages qui traitent du haut Moyen Age. D’ailleurs, la plupart des critiques, devant l’insuffisance de ces réponses, et sans tenir compte des procédés littéraires du xvie siècle, incriminent les intentions de l’écrivain, qui n’a peut-être eu d’autre tort que de se laisser prendre à son attrait maladif pour les légendes, du moment qu’il les lisait dans un manuscrit rare. Sur tout ce problème des sources, cf. U. Berlière, dans Revue bénédictine, 1892, p. 418-420.

On a certainement plus de respect, pour la Chronique de Spanheim, et la Chronique de Saint-Jacques de Wurzbourg, deux abbayes relativement récentes et dont l’auteur fut successivement le supérieur ; en effet, la meilleure part du récit est consacrée à l’œuvre personnelle de l’abbé Trithème. Sur la bibliothèque de Spanheim, voir Ziegelbauer, Historia rei litter. O. S. B., t. i, p. 490-498 ; P. Lehmann, Nachrichten von der Sponh. Bibliothek, dans Neues Archiv, t. xxxvi, p. 204, et Bibl. de l’École des Chartes, 1910, p. 112.

Ces fragments d’autobiographie sont à compléter par Nepiachus ou Histoire de ma jeunesse, et surtout par les Lettres dont l’auteur gardait dix volumes manuscrits ; elles ont été utilisées par le florilège d’Haguenau, 1536, les Miscellanea lipsiensia nova, t. ii, et les Studien und Mitteilungen aus dem Benedictiner Orden, 1883. Dans cette même revue, t. xxxvii, 1916, on les a abondamment citées, p. 288 sq., pour reconstituer le cercle des amis de Trithème. Sur le même sujet, cf. K. Hartfelder, Sybel’s Zeitschrift, 1882, p. 15.

Histoire littéraire. — Trithème a réalisé sa plus chère ambition, qui était de continuer la tâche encyclopédique d’Isidore de Séville : il en avait l’universelle curiosité et le goût de la classification patiente ; de même que le De viris illustribus de son devancier est un instrument de travail irremplaçable pour la fin de l’âge patristique, ainsi le De scriptoribus ecclesiasticis de J. Trithème, quoique sujet à caution à cause même de son étendue dans le temps et dans l’espace, à cause aussi de la coquetterie de l’auteur de ne jamais citer ses sources, reste un document unique en son genre pour toute la littérature latine du Moyen Age, surtout pour les ouvrages sortis des monastères et universités allemandes. Avec moins de souci littéraire que l’évêque de Séville, mais avec plus de soin à recopier les anciens catalogues de sa bibliothèque avec des bévues inexplicables, comme de placer sous les Othons le célèbre Smaragde, contemporain de Louis le Pieux, l’abbé de Spanheim y présente une série de 870 écrivains ou théologiens, rangés chronologiquement de 983 à 1494 ; pour chacun il donne quelques lignes de biographie et la liste de leurs œuvres avec l’incipit, quand il les a sous la main, avec leur seul titre pour beaucoup d’autres qu’il n’a pas lus. Le De scriptoribus publié à Bâle en 1494, puis à Mayence en 1497, complété à Paris en 1512, fut annoté par Aubert le Mire en 1718 pour la Bibliotheca latina mediæ et infimæ ætatis. Malgré ses lacunes et ses confusions, c’est pourtant cette nomenclature qui a mis Pez, Mabillon et leurs émules sur la voie d’identifications nombreuses, comme on peut le voir dans les préfaces de la Patrologie latine de Migne. Un ouvrage similaire : De luminaribus Germaniæ, Utrecht, 1495, fournit aussi des noms et des titres d’ouvrages inconnus par ailleurs. Un peu plus développées sont la Vie du Bx Raban Maur, insérée dans les Acta sanctorum des bollandistes, et l’Éloge de Rupert de Deutz, P. L., t. clxvii, col. 11-16. D’autres travaux bio-bibliographiques du même genre et tout juste de même valeur sont à chercher parmi les Opera pia dont nous parlerons ci-dessous, à savoir : De viris illustribus O. S. B., dont Baillet disait qu’ « il n’y a rien de moins exact », et la curieuse Histoire des carmes illustres, imprimée à part en 1593. On se dispensera de lire telle notice sur sainte Anne, saint Joseph et autres saints de l’Évangile, qui ne sont que des démarcations amplifiées des évangiles apocryphes : Trithème n’est pas un hagiographe.

Écrits ascétiques. — Ils constituent la partie la plus solide de son œuvre immense. Il faut mettre à part le Commentaire de la règle de saint Benoît, limité au prologue et aux sept premiers chapitres, explication docte et pieuse, qui témoigne, à la fois « des nombreuses lectures de l’auteur et de son ardent désir d’inculquer aux religieux le véritable esprit de leur vocation ». U. Berlière, Rev. liturg. et monast., 1927, p. 28. La correspondance de l’abbé de Spanheim mériterait aussi d’être consultée pour connaître ses idées sur la vocation monastique. Busæus, lettres 1, 4, 6, 9, 14 et 36, citées par U. Berlière, loc. cit., p. 30 sq. D’autres lettres concernent l’esprit de réforme ; l’organisation de la congrégation de Bursfeld, « si brillante en ses débuts », fut en grande partie l’œuvre capitale de J. Trithème, qui mit par écrit l’essentiel des délibérations de cette congrégation. Cf. U. Berlière, Les chapitres généraux de l’ordre de saint Benoît, dans Rev. bénéd., 1902, p. 52 sq. On y décida de lire au réfectoire, pendant la tenue des chapitres, son opuscule De ruina monastici ordinis. D’autres ouvrages, imprimés à part, mériteraient d’être lus et médités : par exemple, De vera sludiorum ratione, fol. 2, il donne ce conseil :

« Avant tout, il faut fuir l’oisiveté par une application

continuelle à l’étude : il y a tant à faire pour notre bien et le salut du prochain ! » Un autre livret est consacré à encourager et guider les moines dans la transcription des manuscrits.

Les seuls ouvrages d’édification qui soient accessibles sont ceux qui ont pris place parmi les vingt Opera pia et spiritualia publiés par le jésuite Busæus, en 1604, complétés l’année suivante par des Paralipomena. Citons : De religiosorum tentationibus, Busæus, t. i, p. 661-722, et De proprietate monachorum, ibid., p. 723-740 ; enfin De triplici regione claustralium. Il faut donner une attention particulière à ce dernier ouvrage de spiritualité monastique, parce que le chapitre annuel de 1499 décida de le faire réviser et imprimer conjointement avec l’Exercitium spirituale de l’abbé Thierry de Bursfeld, pour en constituer un livre officiel de la congrégation : « Il a plu à tous les Pères qu’une formule d’institution régulière conforme