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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/215

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1959

tyrannie, origine du pouvoir

1960

à l’évidence le caractère humain de leur origine. » Actes de Léon XIII, t. iii, p. 125.

En reprenant la question dans sa lettre sur le « Sillon », 25 août 1910, le pape Pie X laisse percer sa préférence pour la théorie qui accorde au peuple non pas le droit de transmettre le pouvoir reçu de Dieu en dépôt, mais seulement la faculté de désigner la personne du gouvernant. Cependant, il est certain que le pontife n’a voulu condamner qu’une chose : l’erreur du « Sillon », qui « place primordialement l’autorité publique dans le peuple, de qui elle dérive ensuite aux gouvernants, de telle façon cependant qu’elle continue à résider en lui ». Acla Apost. Sedis, t. ii, 1910, p. 615-616. C’est seulement la finale de la proposition qui est erronée et mérite censure.

c. Conclusions.

a) Fidèle à l’enseignement de saint Paul, Rom., xiii, 1, l’Église catholique professe que « tout pouvoir vient de Dieu ». Cette affirmation ne s’applique pas seulement au pouvoir politique, mais à toute autorité sociale, qu’elle soit familiale ou civique. Et c’est en tant qu’auteur de la nature que Dieu est considéré comme source première de toute autorité : « Comme il est le créateur de toutes les natures, il est l’auteur de tous les pouvoirs », écrit saint Augustin, Cité de Dieu, t. V, c. ix.

Le pouvoir politique n’est qu’un de ces pouvoirs, une de ces institutions de droit naturel, au même titre que la propriété, le serment, les pactes et contrats. Si donc il est juste de reconnaître à l’autorité politique une origine divine naturelle, il serait abusif de lui attribuer une investiture divine de caractère positif et surnaturel comme serait le pouvoir du pape. Les confusions et excès de langage ne sont pas rares cependant chez les écrivains qui ont parlé de la collation divine du pouvoir des princes. En particulier, l’appel à la Bible pour en tirer argument en faveur d’une théorie politique ou d’un système de gouvernement est tout à fait illégitime : d’abord parce que l’Écriture n’est pas un livre de politique mais de religion ; ensuite parce que la royauté juive, avec laquelle on institue des comparaisons, était considérée comme une institution de droit positif divin, attendu que Dieu intervenait positivement pour créer et légitimer les rois aussi bien que pour les déposséder et les déposer. Bossuet, dans son empressement à soutenir une monarchie qui se disait de droit divin, n’a pas échappé à cette méprise. Cf. Politique tirée de l’Écriture, t. III, a. ii, l re proposit. Il n’est pas le seul.

(B) Aucune des deux thèses opposées concernant la « collation médiate ou immédiate du pouvoir » par Dieu ne peut se flatter de posséder à elle seule le privilège de l’orthodoxie. On peut même se demander, après les remarques que nous avons faites, si ces deux expressions conservent encore un sens et ne constituent pas plutôt des manières de parler traditionnelles. Les papes ont évité de les employer dans leurs documents officiels. Au Moyen Age, les termes de « collation » ou d’ « investiture » faisaient image : on se représentait Dieu remettant le pouvoir au souverain un peu à la façon dont les hommes lui conféraient ses insignes : sceptre, couronne, globe, manteau, etc. Or, nous savons qu’en réalité il n’y a nullement intervention spéciale de Dieu, mais simple mise en jeu d’une loi naturelle.

Reconnaissons que la question n’a sans doute pas toute l’importance qui lui a été attribuée dans le passé par certains auteurs. Et pourtant il y a au fond plus qu’une querelle de mots. La théorie de la collation immédiate fait abstraction du peuple, auquel elle ne reconnaît aucun rôle dans l’origine du pouvoir ; tandis que la théorie opposée fait de lui non pas la source, mais le dépositaire au moins momentané du pouvoir, en attendant qu’il soit confié à une autorité régulière concrète. Si, dans la pratique, le devoir de soumission et d’obéissance de la nation est exactement le même, il y a dans la conception théorique une nuance qui n’est pas sans importance : les deux opinions caractérisent deux tendances d’esprit différentes qui ont dans l’ordre pratique des répercussions inévitables. D’un côté, souci de poser des limites aux droits de l’autorité et de réfréner l’absolutisme, en attribuant un rôle au peuple ; de l’autre, préoccupation de ne pas lâcher la bride aux initiatives et caprices populaires. Au fond simple question de dosage qui dictera cependant des réponses nuancées et des attitudes variées dans les questions de soumission ou de résistance au pouvoir tyrannique, que nous allons aborder.

y) L’Église n’a pas d’enseignement « officiel » concernant les critères qui permettent de discerner la légitimité du pouvoir dans sa première origine, alors que la souveraineté est encore res nullius. Nous avons vu que certains philosophes ou juristes, comme Rosmini, de Vareilles-Sommière, font de 1’ « occupation » l’unique titre de légitimité. Leur raisonnement revient substantiellement à celui-ci : « à l’origine le pouvoir n’appartient à personne en particulier, donc il n’appartient pas à la nation ; il est au premier occupant. Bellarmin concluait à l’opposé : si le droit divin n’a donné le pouvoir à aucun particulier, c’est qu’il l’a donné à la multitude, au peuple. Cf. Dispulaliones, t. III, c. vi. Il ne nous semble pas que le rôle du peuple doive être écarté, au moins dans le cas où un choix est à faire entre plusieurs gouvernements possibles, ce qui est le cas habituel. Le critérium de la légitimité sera alors pour un gouvernement qui entre en fonction : le service du bien commun (4e principe), en toute hypothèse, et normalement, en dehors des cas de nécessité, le consentement du peuple (3e principe).

d) S’il s’agit au contraire d’un gouvernement qui succède à un autre après un changement violent : révolution, déposition, usurpation, etc., voici la doctrine de Léon XIII dans sa lettre aux cardinaux français, 3 mai 1892 : « …Ces changements sont loin d’être toujours légitimes à l’origine ; il est même difficile qu’ils le soient. Pourtant le critérium suprême du bien commun et de la tranquillité publique impose l’acceptation de ces nouveaux gouvernements établis en fait, à la place des gouvernements antérieurs, qui, en fait, ne sont plus. Ainsi se trouvent suspendues les règles ordinaires de la transmission des pouvoirs, et il peut se faire même, qu’avec le temps, elles se trouvent abolies. » Lettres, éd. B. Presse, t. iii, p. 126.

Il est question, dans ce passage, de la transformation du pouvoir de fait en gouvernement de droit. Le pape avant tout trace le devoir des sujets ; mais il indique aussi indirectement les critères de la légitimité. Le critérium « suprême », dit-il (il ne dit pas « unique » ) est le bien commun et la paix publique. Mais on ne saurait conclure qu’il ait eu l’intention d’écarter cet autre critère qui trouve son application normale dans tous les cas ordinaires : le consentement du peuple. Le pontife reconnaît en effet expressément ailleurs que l’intervention de la nation est légitime dans le choix du régime politique, donc aussi dans la désignation de la personne du souverain : « Réserve faite des droits acquis, il n’est point interdit aux peuples de se donner telle forme politique qui s’adaptera mieux à leur génie propre ou à leurs traditions et à leurs coutumes. » Diuturnum, 25 juin 1881, Lettres, t. iii, p. 145.

Ce droit du peuple est d’ailleurs souligné par toute la tradition théologique, à propos de la légitimation du tyran d’usurpation : l’usurpateur n’a aucun droit et peut être mis à mort, niai populus in eum consen-