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    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN D’USURPATION

1972

définit : une guerre injuste entreprise contre l’autorité légitime et le bien commun, Contra bonum commune reipublicse injusta pugna. II » -II", q. xlii, a. 2. Ce qui spécifie la sédition, c’est son double caractère d’injustice et d’agressivité. Certains auteurs l’identifient avec la rébellion ou l’insurrection et la définissent : « la violence opposée par les sujets au prince ou au gouvernement légitime soit pour le déposer, soit pour changer la constitution, soit pour lui arracher certaines réformes politiques ». Meyer, Instit. juris natur., t. ii, p. 508. Mais cette définition peut convenir aussi bien à la résistance active extra-légale ou à la révolte défensive, qui, nous l’avons vii, ne sont pas toujours condamnables. Dans la sédition, l’initiative de la lutte ne vient pas du souverain, mais bien de l’auteur de la révolte, qui est le véritable agresseur : bellum movere agressivum a privata persona aut potestate imperfecta, dit Suarez ; tandis que dans le cas de tyrannie de gouvernement, c’est le tyran qui est lui-même le séditieux, magis autem tyrannus sediliosus est. II » -II æ, q. xlii, a. 2, ad 3 am. Nous dirons plus loin que le droit de légitime défense n’est nullement refusé aux sujets en face de la tyrannie du pouvoir, mais cette défense doit être juste, aussi bien dans ses motifs que dans ses procédés. Voilà pourquoi le droit de soulèvement, de révolte, de rébellion, d’insurrection est infiniment nuancé et délicat à définir, surtout dans la pratique.

La sédition au contraire est une lutte violente provoquée entre des parties d’une même société, que ce soit en dressant les citoyens les uns contre les autres ou en les dressant contre le pouvoir. Elle est opposée à la paix et à l’union indispensable au bien du groupement. « La cité n’étant pas n’importe quel assemblage de la multitude, mais l’association dans le respect de la justice et la recherche de l’utilité commune, on doit appeler sédition une attaque contre la juste unité ou la commune utilité. Il s’ensuit qu’il y a sédition toutes les fois que l’on dirige une lutte violente, non seulement contre un gouvernement qui serait demeuré juste de tous points, mais encore contre un pouvoir, qui, bien qu’ayant abusé de son autorité, n’a pas perdu son droit à assurer l’unité de la société. Il y aurait encore sédition si, même en face d’un pouvoir tyrannique, compromettant gravement le bien commun, on se faisait l’instigateur de troubles qui n’auraient pour résultat que d’aggraver la tyrannie, ou d’engager le peuple dans des perturbations pires que les maux auxquels on voudrait remédier ; car cela serait contraire à l’utilité commune dont on se prétendrait le défenseur. » D. Lallement, Principes catholiques d’action civique, c. xiv, p. 236. La sédition ainsi entendue est, de sa nature, un péché grave, dit saint Thomas, II*- II », q. xlii, a. 2.

II. LE cas du tyran d’usurpation.

Celui que les scolastiques appelaient tyran in titulo ou quoad dominium est assurément sans titre légitime. C’est par la violence ou la ruse, et à rencontre de toute justice, qu’il s’efforce de dominer la nation. Il occupe la place du chef, en réalité, il n’en est que l’ombre. Quelle sera l’attitude que pourront prendre les citoyens à son égard ? Pour répondre de façon pertinente, il est nécessaire d’établir une distinction entre le tyran encore en acte d’usurpation et celui qui a déjà réellement pris possession du pouvoir.

Tyran en acte d’usurpation.

Dans le premier cas, la nation n’ayant pas accepté le nouveau souverain, se trouve dans le cas de légitime défense. Elle peut résister, même par la violence, à ce gouvernement ; certains vont même jusqu’à dire que l’usurpateur pourrait, en certaines circonstances, être légitimement expulsé ou tué, même d’autorité privée, comme un injuste agresseur. « S’il s’agit, dit Suarez, d’un tyran en train d’usurper le pouvoir, toute la république (nation) et n’importe lequel de ses membres ont droit contre lui, habent jus contra illum. C’est pourquoi le premier venu peut en tirer vengeance et délivrer la nation de la tyrannie. La raison en est que ce tyran est un agresseur qui entreprend injustement la guerre contre la nation et chacun de ses membres. C’est pourquoi chacun se trouve en état de légitime défense. Disp. XIII, De bello, sect. viii, 2°. Et l’auteur cite à l’appui l’autorité de saint Thomas et de Cajétan.

De l’avis de Mgr d’Hulst, le soulèvement de la Vendée en 1793 contre la Convention, alors que l’assemblée n’avait pas encore été ratifiée par le pays, réunissait les conditions d’une insurrection légitime à main armée contre une injuste usurpation et agression. Cf. Carême 1895, 2e Conférence, note 7, p. 325.

Cependant, si le droit de légitime défense contre un tyran en acte d’usurpation est théoriquement certain et inattaquable, pratiquement, l’exercice de ce droit sera déterminé et souvent limité par diverses considérations. D’abord, la nécessité de sauvegarder par dessus tout le bien commun pourra obliger la société à recevoir le bienfait de la conservation de celui qui seul est matériellement capable de la lui procurer, fût-il l’usurpateur. En conséquence, l’autorité devra lui être laissée s’il est le seul à pouvoir gouverner, ou du moins s’il a plus de chances de s’imposer. C’est l’enseignement de Taparelli, Essai de droit naturel, t. i, t. III, c. v, n. 677 sq. Mais l’auteur suppose toujours que le nouveau régime a la volonté et la capacité de procurer le bien commun et de sauvegarder l’ordre public, sinon il resterait un injuste agresseur qu’il est permis d’éliminer.

Tyran en possession du pouvoir.

La solution est beaucoup plus claire, du moins théoriquement, lorsque l’usurpation est arrivée au deuxième stade, c’est-à-dire à la possession effective du pouvoir. « Sans doute, note encore Taparelli, il serait à désirer que jamais un crime patent ne pût aboutir à une paisible possession : c’est ce que la justice demande et pour les sociétés et pour les individus… Cependant, il peut y avoir des cas où, après un certain laps de temps, la protection publique abandonne de fait le souverain légitime. On ne peut tenir la société éternellement en suspens… La tranquillité publique exige donc qu’on admette une sorte de prescription en matière de droit politique… » Ibid., n. 677. On reconnaît là l’histoire de beaucoup de dynasties et le processus habituel des changements de gouvernement : le point de départ est irrégulier ; il y a ensuite une période où le nouveau régime n’a qu’un pouvoir de fait ; enfin l’adhésion de la nation, l’impuissance absolue ou la renonciation du souverain détrôné et l’épreuve du temps consacrent la prescription politique et assurent la légitimité. Cf. Suarez, Defensio fidei, t. III, a. 2, n. 20.

C’est au deuxième stade, avant l’accession à la légitimité, alors que l’usurpateur n’est encore qu’un gouvernement de fait, que se pose la question de l’attitude à observer par les citoyens. Ce sont encore les préoccupations supérieures du bien commun qui fixeront, en l’occurrence, les devoirs de ceux-ci.

Quant à l’Église, en face des pouvoirs établis et non encore légitimés, elle prêche la subordination en tout ce qui n’est pas contraire à la conscience et se trouve requis par l’intérêt général. « L’obéissance civile, écrit le D r Pruner, est due même à un usurpateur ; car s’il n’a pas le droit de gouverner, il a au moins le devoir de maintenir les lois et de protéger la société ; ce qui implique la faculté de réclamer l’obéissance aux lois et de prendre les mesures nécessaires pour le maintien de l’ordre et le bien de la société. » Théol.