Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1985

    1. TYRANNIE##


TYRANNIE. LE TYRAN DE GOUVERNEMENT

198(i

la tyrannie, ni contre la sédition. Cependant, ainsi que le note Pie XI, il n’est nullement interdit aux citoyens de se grouper pour leur propre défense et la sauvegarde de la cité et de mettre en œuvre des moyens honnêtes et appropriés contre ceux qui abusent de leur autorité pour conduire le pays à la ruine. Saint Thomas lui-même avait souligné « qu’il ne relève pas de l’initiative privée de sévir contre la cruauté des tyrans, mais de l’autorité publique. De regimine, t. I, c. vi. Suarez précisait de son côté que « la nation toute entière (respublica tota) pourrait déposer le roi par délibération publique et commune des cités et de la noblesse, publico et communi consilio civilatum et procerum. Defensio fidei, t. VI, c. iv. On notera que saint Thomas comme Suarez se sont placés dans l’hypothèse de l’état monarchique tel qu’il était réalisé de leur temps : la souveraineté est tout entière entre les mains du roi ; à côté de lui une classe dirigeante, noblesse et représentants des cités, qui forment les cadres de la nation et sont qualifiés pour intervenir au nom du peuple en cas de tyrannie. Mais, dans la période contemporaine où l’État, même monarchique, a pris une forme plus ou moins parlementaire, on comprend que la théorie thomiste ne soit plus guère applicable. « L’État n’est plus un homme s’opposant à la nation ; l’État est l’émanation de la nation elle-même. Il ne peut devenir tyrannique que si l’organisation politique fonctionne à faux ; mais, même dans ce cas, on ne voit pas qui, en dehors des pouvoirs gouvernants, pourrait se donner comme gouvernant et tête de la nation. » J. Leclercq, Leçons de droit naturel, t. ii, 2e éd., p. 204. Pratiquement donc, et en dehors de cas exceptionnels, où, par exemple, les représentants du peuple régulièrement élus prendraient eux-mêmes l’initiative de la révolte, c’est à la conscience individuelle qu’il revient, en fin de compte et tout bien considéré, de prendre une décision ; c’est aux citoyens qu’il appartient, isolément d’abord, puis groupés pour le salut commun, de prendre leurs responsabilités. Cette solution manifeste d’une part la dignité que le christianisme reconnaît à la personne humaine ; elle témoigne d’autre part de l’extrême prudence et du parfait désintéressement dont devront faire preuve les hommes qui entreprennent l’œuvre de salut public, en l’absence d’organismes compétents. Il est si facile de se laisser entraîner par la passion politique ou l’esprit de parti, pour ne rien dire des rancunes personnelles, et de se persuader que la cité court à sa ruine parce qu’elle n’est point gouvernée conformément aux idées de telle ou telle faction, de telle ou telle personnel… Sous ce rapport, on ne peut nier que nombreuses furent les révolutions ou tentatives de révolutions marquées au coin de l’illégitimité soit au xix « , soit au xxe siècle.

f) Mais alors, dira-t-on, en présence de semblables incertitudes, en face de tels risques, ne serait-il pas opportun de réserver l’initiative de toute résistance exclusivement à des autorités humaines hautement qualifiées, en particulier à l’Église et à ses pasteurs, qui, après avoir éclairé les consciences, donneraient l’impulsion au mouvement de sauvegarde du bien commun ? — Après ce que nous avons dit sur la prudence et la réserve qui s’imposent, il est hors de doute que les fidèles en observeront les règles en consultant la hiérarchie ou les autorités qualifiées pour éclairer leur jugement et guider leur action. Il va de soi également que, si le pape ou les évêques donnaient, en un cas déterminé, des directives précises ou des ordres, les catholiques devraient s’y conformer avec soumission. Mais la question, plus délicate, est de savoir s’il faut obligatoirement attendre, pour agir, que l’initiative vienne des pasteurs ou autorités légitimes, comme si leur impulsion était une conséquence nécessaire de leur juridiction ? Dans une enquête menée par les Éludes au cours des années 1925-1926, sur « les droits du Droit et Sa Majesté la Loi », le P. Michel Riquet, organisateur de l’enquête, conclut ainsi à propos de la résistance aux lois injustes : « Nous pouvons, nous devons savoir ce que nos chefs, autorités sociales et autorités religieuses peuvent légitimement nous conseiller ou nous prescrire : à eux de prendre les décisions pratiques, et de lancer les mots d’ordre. » Cf. Études, 20 avril 1925, p. 168. Différente est la réponse que donnait le P. de la Taille en 1910, au moins en ce qui concerne l’autorité religieuse : « Cette impulsion serait nécessaire si nos évêques étaient des chefs militaires ou que se défendre fût un acte directement religieux. Mais se défendre est en soi un acte de la vie civile, et nos évêques sont proprement des chefs spirituels. On ne voit donc pas qu’il y ait lieu d’attendre leur initiative, soit sous forme d’ordre, soit sous forme d’invitation. Mais les consulter sur le cas de conscience reste toujours chose loisible et même recommandable. Et, par ailleurs, puisque la légitimité de la résistance dépend de son opportunité, et que l’opportunité est régie par les intérêts religieux, dont les évêques ont la garde, il est clair que l’intervention de la hiérarchie, soit pour exclure, soit pour modérer l’action, a droit à toute la déférence des catholiques. » Face au pouvoir, Tours, 1910, p. 177.

En fait, il n’existe pas, à notre connaissance, dans la période contemporaine si féconde en coups d’État, de cas concret où la hiérarchie ecclésiastique ait approuvé explicitement ou favorisé ouvertement un soulèvement légitime, sauf quelques prélats espagnols lors de l’insurrection de Franco ; encore est-il qu’on ne saurait attribuer à l’épiscopat le mot d’ordre de la révolte ou l’initiative de la résistance armée. On se souvient que le cardinal Segura, primat d’Espagne, avait jugé opportun de démissionner à la suite de son attitude favorable à Alphonse XIII et à la monarchie, lors de l’avènement de la République (1931). De 1919 à 1921, l’épiscopat irlandais a protesté contre les violences de l’Angleterre et a proclamé le droit de l’Irlande à se gouverner elle-même ; mais il n’a pas approuvé positivement la révolte. Même attitude des évêques mexicains durant la période troublée de 1926 à 1928 : ils se contentent de proclamer le droit qu’ont leurs ouailles de défendre, même par la force, leurs droits inaliénables. Cf. Leclercq, Leçons de droit naturel, t. If, p. 200. L’épiscopat allemand ou italien fut aussi réservé durant la persécution plus ou moins ouverte de l’hitlérisme ou du fascisme. En revanche, les évêques de Belgique déclarèrent que le droit de résistance active n’existait pas pour les séparatistes flamands. En général, la hiérarchie se borne à des conseils de prudence et de modération. On se souviendra, par ailleurs, que là où les gouvernements civils ont leur mot à dire dans la nomination des évêques, ceux-ci sont tenus à une particulière réserve et leur silence ne saurait toujours être Interprété dans le sens d’une désapprobation.

IV. CONCLUSIONS.

1° L’exposé qui précède montre assez à quel point le droit de résistance au pouvoir oppresseur, théoriquement acceptable, est d’un maniement délicat. C’est même au nom des difficultés pratiques qu’il soulève et des risques qu’il comporte, que certains sont allés jusqu’à condamner toute résistance active, même défensive ; et ils ont allégué, à l’appui de leur doctrine, l’altitude des premiers chrétiens et l’exemple des martyrs. Mais la vertu de force a deux visages : supporter, mail entreprendre, sustinere et agqredi fortitudinis est. Il s’il est permis de tolérer des injures personnelles, supporter ou dissimuler les injures faites à Dieu ou