Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1997
1998
TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, LA RENAISSANCE

Scotos, qui parut à Édimbourg en 1580, un autre protestant, Buchanan, est beaucoup moins réservé. Il démontre par l’autorité de l’Écriture, que, si le roi devient tyran, il peut être justement mis à mort, attendu qu’il est un ennemi public contre lequel les bons citoyens ont le droit d’être toujours en guerre.

Si, du camp protestant, nous passons chez les catholiques, nous ne trouvons guère plus de sang-froid ni de mesure, au moins chez les fougueux théoriciens de la Ligue. Un des livres les plus violents de l’époque paraît être celui de Boucher, De justa Henrici tertii abdicationee Francorum regno libri quatuor, imprimé en 1589, après l’assassinat du monarque par Jacques Clément. Cf. l’édition lyonnaise de 1591, chez Pillehote. C’est au l. III qu’il traite la question de la tyrannie et du tyrannicide. Après avoir parlé des cas où il pourrait être légitime de déposer un tyran, il en vient à la question du meurtre : An autem liceat occidere, majus quiddam et gravius est. Quod mirum est tamen, quum magnum affîrmando consensum habeat, non profanorum authorum lantum, verum etiam et nostrorum. Les solutions qu’il donne sont celles des théologiens de son temps : 1. l’usurpateur en acte peut être tué par n’importe quel particulier, qui, ayant le droit d’user de violence contre quiconque s’empare du bien d’autrui, peut en user à fortiori contre celui qui s’empare du gouvernement de l’État ; 2. si l’on est en face d’un tyran de gouvernement qui ne fait tort qu’aux particuliers, il n’appartient pas à ceux-ci de le tuer, car il n’est pas un ennemi public ; 3. mais si le tyran se montre l’ennemi du bien commun, dangereux pour la religion et la patrie, et qu’il ait été proclamé tel par la nation, alors les simples particuliers comme l’autorité publique ont le droit de le faire disparaître.

Quand Boucher parle d’autorité publique, il l’entend sans doute des grands fonctionnaires civils et des grands dignitaires ecclésiastiques : ce que Languet désignait sous le nom de « peuple ». Cf. P. Viollet, Hist. des instit. polit, et administratives de la France, t. i, p. 205 sq. Avec, une dialectique aussi faible que subtile, Boucher établit sa doctrine du tyrannicide en faisant appel a Jean de Salisbury et à Gerson, aussi bien qu’aux écrits des prophètes ; la position prise par Jean-Baptiste, le Christ et les prophètes à l’égard des tyrans est, dit-il, dépassée. Et il conclut : « Les temps sont révolus ; l’heure est venue où la république chrétienne peut et doit user de son droit. » Cf. Douarche, op. cit., p. 81. Mais l’auteur ne se tient pas uniquement dans la spéculation ; il fait à Henri III l’application de ce qu’il a dit du tyran authentique. Son ouvrage allait être livré aux presses, lorsqu’arriva la nouvelle de l’assassinat du monarque par J. Clément. Boucher loue aussitôt le meurtrier pour son courage et son zèle en faveur du bien de la patrie et de la religion.

Quelques années plus tard, en 1595, sous le pseudonyme de François de Vérone Constantin, ce fut probablement lui encore qui composa l’Apologie pour Jehan Chastel, Parisien, exécuté à mort, et pour les pires et escholliers de la Société de Jésus, bannis du royaume de France. L’auteur était alors exilé en Belgique, sous la protection des Espagnols. Il démontre dans la IIe partie de l’ouvrage que le geste de Châtel est louable et que le meurtre de tout tyran est légitime, tout en protestant de son respect et de son obéissance à l’égard des rois et en réprouvant le régicide. Mais, dit-il, ni Henri III, condamné et excommunié par Sixte-Quint, ni Henri IV, hérétique, excommunié et. non absous par le pape, ne méritent le titre de rois. Et ce dernier fût-il absous au for de l’Église, la sentence du pape ne saurait lui rendre « es droits perdus au for civil. Aussi est-il loisible à tout individu de le tuer, au double titre d’hérétique et de tyran. Et le livre se termine par un appel au tyrannicide :

« Heureux celuy par la forte dextre de qui

sera la bête terrassée… C’est là que les armes sont justes, plus que contre tout infidèle. » Voir les textes dans Douarche, De tyrannicidio, p. 90-91, ou encore dans les Mémoires de Condé, t. vi, La Haye, 1743.

Dans le même goût, on pourrait encore citer un ouvrage dont l’auteur n’est pas connu avec certitude et qui a pour titre De justa reipublicæ reges impios et hæreticos authoritate…, Paris, 1590. On y trouve des injures à l’adresse de Henri III, accusé de toutes sortes de vices et qualifié de tyran dans toute la force du terme ; le geste de J. Clément y est approuvé. Faisant la théorie du tyrannicide, l’auteur ne s’écarte guère des idées de son temps : si le tyran (de gouvernement) sévit non pas seulement contre les particuliers, mais contre la nation, il peut être d’abord déposé ; s’il s’obstine sur le trône, tout citoyen peut le mettre à mort. Il faut cependant bien se garder de déclarer un prince coupable de tyrannie pour un seul délit. Cependant, si la nation entière lui résiste comme à un tyran et que cette volonté nationale soit évidente à un simple citoyen, celui-ci se trouve investi d’une autorité suffisante pour tuer le tyran comme un vulgaire voleur ou malfaiteur. Toutefois, note l’auteur, afin d’éviter un danger d’erreur, il sera prudent de consulter l’Église et de s’en tenir à sa sentence. Mais en même temps il souligne que la philosophie grecque et romaine, non moins que la loi mosaïque, ont permis le meurtre d’un tyran à un simple particulier, qui, pour prix de son courage, a reçu le gouvernement de la nation.

Chez les juristes célèbres de l’époque, on rencontre heureusement plus de modération. Ni le grand Cujas (1520-1590), ni Dumoulin (1500-1566) n’ont abordé la question du tyrannicide, bien que le second ait posé les principes qui établissent la distinction entre le roi et le tyran. Mais un peu plus tard, Jean Bodin (1530-1596), disciple de Cujas, pose le problème du tyrannicide, au IIe livre de son De republica, Paris, 1596. Il s’applique d’abord à définir le tyran, « ce mot dont le sens est ignoré de beaucoup, qui a induit en erreur un grand nombre et armé trop de bras pour la perte des princes… » Parlant de celui qui « s’empare de la république contre la volonté des citoyens ou de ses pairs, sans y être appelé par le prince ou le suffrage du peuple, par le sort ou un droit héréditaire, sans y être porté par une guerre juste ou un oracle du ciel », il déclare que les anciens « ordonnent de le tuer et offrent au meurtrier les plus belles récompenses… » Il ajoute : « cela tient toujours », hoc igitur fixum maneat. En d’autres termes, le tyran d’usurpation peut être mis à mort soit par la nation, soit par les particuliers. Et l’auteur de faire remarquer combien il est difficile de purger cette illégitimité d’origine, même par une élection subséquente, lorsque celle-ci est viciée par la crainte ou la présence d’hommes armés : on ne saurait appeler cela consentement des citoyens ; et il cite en exemple Sylla, César, Cosme de Médicis. Quant au tyran de régime, il note que plerique certe divini et humant juris interpretes fas esse tradunt. Lui-même ne s’écarte pas de cette doctrine. Mais Il apporte aussitôt toutes sortes de réserves, de peur qu’on en fasse l’application aux dynasties régnantes. Il précise même que les monarchies établies en France, en Angleterre, en Espagne sont absolument hors de cause, et qu’on ne saurait y mettre en question la vie, la réputation ou la conduite du souverain, ni par la violence, ni par un jugement régulier, etiamsi omni scelerum ac flagiliorum, quæ in tyrannos antea diximus, turpitudine infamis esset. La raison en est que ni les magistrats ni les particuliers ne sont qualifiés pour