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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/239

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2007 TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, CONTEMPORAINS

2008

vrage (lxxvi à lxxxiv), comme falsas, absurdas, impias, nefarias, blasphémas, plenas dementise et furoris. « Elles excitent, ajoutait la Faculté, ouvertement et avec force le peuple aux séditions, aux révoltes et au meurtre des rois, princes et magistrats, préparant ainsi la fin du genre humain. »

C’est dans cette atmosphère qu’éclata et se développa la Révolution française. Le 26 août 1789, la Constituante faisait paraître la première Déclaration des droits de l’homme, dont Pie VI écrivait au cardinal de La Rochefoucauld, Il mars 1791, qu’elle « n’a en vue et ne poursuit d’autre but que d’anéantir la religion catholique, et, avec elle, l’obéissance aux rois… » Cf. Raulx, Encycliques et documents, Bar-le-Duc, 1845, t. ii, p. 15. Au nombre de ces droits figurait « la résistance à l’oppression », art. 2. Mais ce n’était pas suffisant. Une nouvelle Déclaration du 24 juin 1793, issue de la Convention, qui venait de voter la mort de Louis XVI, explicitait la première ; on y lisait : « Quand le gouvernement viole les lois du peuple, l’insurrection est, pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Art. 35. On n’y parlait pas explicitement du droit de mettre à mort les rois ; mais déjà les faits s’étaient chargés de prouver qu’on ne s’en tenait pas aux menaces. Tous les rois furent considérés comme des tyrans. Le Journal des Révolutionnaires de Paris mettait en avant, dès le mois de décembre 1790 (n. 74), l’idée d’organiser une « Légion de Brutus » pour délivrer l’Europe des tyrans ; les « volontaires du tyrannicide » étaient invités à s’inscrire sur l’autel de la patrie. La première adhésion fut, dit-on, celle de l’ex-capucin Chabot, qui n’eut que peu d’imitateurs. Le 10 août 1792, un député de la Législative, Jean Debry, proposa sérieusement à l’assemblée la création d’un corps de volontaires, les « tyrannicides », destinés à combattre les rois en guerre contre la France et leurs généraux. Ceux qui, sous la Convention, votèrent la mort de Louis XVI furent flétris de l’étiquette de « régicides ». Nombre d’entre eux protestèrent, en alléguant que la mort du roi avait été décidée par une assemblée délibérant souverainement et à la suite d’une sentence en forme.

7° Le XIXe siècle. — Le souvenir des événements tragiques qui marquèrent les dernières années du siècle précédent demeura longtemps vivant en France et à l’étranger. Les abus possibles de la liberté, les horreurs de l’émeute, la terreur de la révolution rendirent les écrivains, surtout les écrivains chrétiens, particulièrement circonspects. Philosophes, juristes et théologiens professent, dans l’ensemble, une grande sagesse en matière de tyrannicide. Les moralistes, tous assez médiocres, s’en tiennent d’ailleurs à l’enseignement de saint Alphonse de Liguori. On peut dire que tous s’en réclament, même quand ils y mêlent quelques vues personnelles. La doctrine sco-Iastique est délibérément laissée dans l’ombre.

Citons pour commencer le sulpicien Joseph Carrière, dont les Prselectiones theologicse, Paris, 1839, servirent à la formation d’une grande partie du clergé de France de l’époque. Au t. ii, l’auteur traite en six pages la question De occisione tyranni, pars II*, sect. ii, c. iii, p. 380-386. Il distingue trois sortes de tyran : d’administration, d’usurpation et le tyran injuste agresseur. Pour le tyran de gouvernement, il ne peut être mis à mort par un simple particulier. Pourrait-il être déposé par la communauté et même condamné à mort si la déposition ne suffisait pas ? Sur ce point l’auteur est plus hésitant ; après avoir noté que certains théologiens avaient jadis soutenu la légitimité de la déposition du tyran par la nation, il souligne que la déposition n’entraîne pas l’autorisation pour tout particulier de mettre à mort le

souverain déposé, à moins que cette peine ne soit exprimée dans la sentence. Et il fait remarquer pour finir que beaucoup de ces docteurs avertissaient que cette doctrine, même si elle était vraie théoriquement, ne devait pas être proposée au peuple, à cause du danger d’abus. Il semble que telle soit la pensée de notre auteur. À propos du tyran en acte d’usurpation, celui-ci n’est pas moins prudent. Il n’ignore pas que jadis on admettait communément la licéité du meurtre de l’usurpateur ; pourtant, note-t-il, les théologiens subordonnaient cette licéité à une série de conditions qui n’étaient que rarement réalisées. « Les modernes vont plus loin, poursuit Carrière, et proclament de façon absolue l’illicéité du tyrannicide : nom, vel Me tyrannus occideretur auctoritale privata, vel auctoritate reipublicee : porro neulrum dici potest. Et si cette réponse vaut pour le tyran qui n’a pas encore obtenu le consentement de la nation, elle vaut à fortiori pour celui qui est désormais en possession paisible du pouvoir… » T. ii, p. 386. Quant au tyran injuste agresseur, Carrière commence par citer l’opinion de nombreux théologiens qui permettent à un innocent de défendre sa vie, même aux dépens de celle d’un prince qui l’attaquerait indûment. « D’autres plus sages (sapientiores), — et parmi eux il cite Billuart, — ont mis cette restriction : nisi aggressor sit persona reipublicee necessaria aut utilis, vel nisi ex occisione multa limeantur mala ; car alors le bien privé devrait céder le pas au bien public. » Mais c’est là, conclut notre auteur, i un cas à peu près métaphysique ». Ibid., n. 775, p. 386. Cf. n. 793, p. 408.

Chose digne de remarque, Carrière ne cite jamais, en ces pages, l’opinion de saint Alphonse et ne fait point appel à son autorité. Il préfère celle des sapientiores ou recentiores. Est-ce timidité, ou simple complaisance pour l’opinion courante au début du xixe siècle, qui trouvait la doctrine du saint Docteur trop « large », alors que nous la trouvons plutôt rigide ? Pourtant, à l’époque où parut son ouvrage, la Pénitencerie s’était déjà prononcée d’une manière très générale en faveur des solutions données par saint Alphonse, 5 juillet 1831.

Sans afficher ouvertement un tel souci de prudence, la plupart des moralistes de la seconde moitié du xixe siècle donneront des solutions plutôt sages et, dans le fond, peu divergentes.

Le rédemptoriste Konings, Theol. moralis novissimi Eccl. docloris, 3e éd., New-York, 1870, se réfère tout naturellement à la doctrine de YHomo aposlolicus : Il est certain qu’il n’est pas permis de mettre à mort un tyran de gouvernement. Il n’est pas davantage licite de tuer un usurpateur en possession pacifique du pouvoir. L’auteur souligne à ce propos que le tyran usurpateur pèche en faisant des lois, en rendant la justice, en levant des impôts, en incarcérant les mauvais sujets, « parce qu’il n’est pas le prince ». Et pourtant il a l’obligation de procurer le bien commun et il pécherait davantage en ne rendant pas la justice, etc., lorsque cela est nécessaire. — Les sujets peuvent fournir au pouvoir établi l’aide et les services indispensables à la conservation du bien public. Ils sont même tenus, dans cette même mesure, d’observer les lois et d’exécuter les sentences. Pour l’obéissance et le serment de fidélité, l’auteur conseille de s’en tenir à l’instruction donnée par Pie VII aux sujets de l’État pontifical, le 29 mai 1809. Cidessus, col. 1973. — Il n’est pas permis de tuer le tyran même en acte d’usurpation, si ce n’est de par l’autorité du prince légitime, ou pour une juste défense, ou au cours d’une guerre que la nation aurait entreprise contre lui, t. i, n. 466.

Même doctrine chez Aertnys, de la même congre-