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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/242

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TYRANNICIDE. DOCTRINE DE L'ÉGLISE

mande la patience, la pénitence et la prière. Cf. Noldin, Summa theol. mor., De præceptis, Inspruck, 1938, n. 312, nota.

Cependant elle ne va pas jusqu’à faire de la passivité une règle absolue dans tous les cas et toutes les hypothèses. Dans les conjonctures extrêmes, ainsi que l’a souligné Pie XI, malgré son amour de la paix, elle n’interdit pas la défense même par la force. Cette défense pourrait-elle aller jusqu’au meurtre du tyran et, tranchons le mot, jusqu’à l’assassinat, en prenant ce mot dans toute son acception juridique ? C’est la dernière question qu’il nous reste à examiner.

Les solutions qui paraissent acceptables. — Elles concernent soit le cas du simple particulier en face du tyran, soit le cas de la nation opprimée par un pouvoir tyrannique.

1. Le simple citoyen. — a) Il lui est toujours permis de se défendre contre un tyran (soit de régime, soit d’usurpation) qui prendrait à son égard l’attitude d’un injuste agresseur. Sans doute, comme tout autre, il devra garder le moderamen inculpatæ tutelæ, mais son droit s’étendra jusqu’au meurtre de l’agresseur inclusivement, si cela est nécessaire pour sa propre sauvegarde. Il ne nous semble pas possible d’accepter l’opinion de quelques théologiens, par ailleurs très respectables, qui font au simple particulier injustement attaqué une obligation de subir la mort, plutôt que de la donner à un personnage utile à la nation. En réalité, on ne voit pas bien comment un coquin ; fût-il couronné, serait plus utile à la nation qu’un homme honnête et innocent ! D’ailleurs la nature a parlé : l’instinct de la conservation aussi bien que l’ordre dans la charité donnent à la victime le droit de se défendre. Ce droit ne constitue pourtant pas un devoir, une obligation : la victime pourra ordinairement y renoncer. Bien plus, la charité pourrait l’obliger dans certains cas, à exposer sa propre vie plutôt que de provoquer, par le meurtre du prince, des troubles graves et des dommages certains et irréparables dans la nation. L’obligation, quand elle existe, sera toujours de charité, non de justice.

b) Un simple citoyen pourrait recevoir du prince légitime le mandat d’exécuter un usurpateur en acte. Il pourrait aussi recevoir un ordre semblable de la nation en état de guerre juste contre un tyran de régime. Mais on notera alors que, dans ces deux cas, l’exécuteur n’est plus un simple particulier, mais bien un agent officiel d’un pouvoir légitime ou du moins

« établi ». A rencontre de Gury-Palmieri, nous ne

pensons pas que ce mandat puisse être « présumé », car tout homicide reste soumis au moderamen inculpatæ tutelæ. Or, même si la nation s’est légitimement soulevée contre le prince, ce n’est pas à un simple particulier de juger si la mort du tyran est le seul et indispensable moyen de salut de la chose publique. Cependant si le tyran avait été justement et régulièrement condamné à mort, tout citoyen pourrait légitimement présumer le mandat d’exécution.

2. Le cas de la nation. — a) Dans les cas extrêmes de tyrannie de gouvernement, alors que tous les moyens pacifiques ont été employés pour sauvegarder la chose publique, il est du devoir de la nation, dit Léon XIII, de « pourvoir à elle-même ». Cela n’exclut nullement d’ailleurs le devoir de recourir à Dieu par la prière et la pénitence et de poursuivre l’amendement moral des citoyens, selon les recommandations du même pontife, à la suite de saint Thomas. Mais les abus peuvent être tels, que l’organisation défensive des citoyens, même avec recours aux méthodes violentes, peut être légitimement envisagée, de l’aveu de Pie XI. Si la protection des citoyens et la sauvegarde du bien commun exigeaient alors la condamnation à mort du tyran et l’exécution de cette sentence, une telle mesure pourrait-elle être envisagée légitimement ? Suarez, nous l’avons vii, répondait par l’affirmative, à la suite de Gerson. Cf. Defensio fidei, l. VI, c. iv, n. 7. Cette opinion a été traitée assez durement par saint Alphonse. Peut-être celui-ci parlerai-t-il autrement aujourd’hui, alors que les constitutions ont pris un caractère plus démocratique. D’ailleurs les raisons qu’il apporte à l’appui de sa doctrine ne sont guère valables dans les cas extrêmes envisagés de sang-froid par Pie XI et dont nous traitons ici. Le pouvoir qui, ayant foulé aux pieds toutes les lois de la justice et de la vérité, renverse ainsi les fondements mêmes de l’autorité, n’est plus un pouvoir légitime, même s’il conserve extérieurement les signes de la légalité. Dès lors, il n’est plus tout à fait exact d’affirmer, à la suite de saint Thomas et de saint Alphonse, que semblable personnage « ne relève que de Dieu », qu’il est « supérieur à la nation » et ne peut « être jugé par personne ici-bas » ; en réalité et, quelles que soient les apparences, il est « découronné ».

La question serait sans doute plus claire encore, si la constitution elle-même, comme le suppose Merkelbach, réservait à la nation le châtiment du prince dans de telles conjonctures. Mais cela ne nous paraît pas nécessaire, attendu que la nation, c’est-à-dire pratiquement les optimates, ont à juger non plus un authentique dépositaire de l’autorité, mais un grand malfaiteur public. Si le salut de la nation est à ce prix, nous ne voyons pas de quel droit on lui enlèverait cette faculté naturelle de « pourvoir à elle-même ». Le droit public moderne est plutôt d’accord avec Suarez et Gerson ; nous n’oserions affirmer qu’il a tort. Pratiquement, en raison des formes plutôt démocratiques que revêtent les gouvernements de notre époque, il sera extrêmement rare que le tyrannicide soit l’unique moyen de pourvoir au salut de la cité. Et pourtant, quelques récents exemples de tyrannies nous semblent des raisons suffisantes pour maintenir l’affirmation du droit, même si, en fait, l’usage en demeure extrêmement limité.

b) Le cas du tyran d’usurpation est moins épineux. Si, comme le suppose saint Alphonse, il est déjà

« seigneur actuel », en possession pacifique du pouvoir,

il a déjà qualité de « pouvoir établi » et son cas diffère à peine de celui du tyran de gouvernement. En effet, pour que le prince dépossédé puisse à bon droit susciter une guerre contre lui et ordonner sa mise à mort, il faudrait que la légitimité de ce prince fût encore intègre. Or, précisément elle s’amenuise dans la mesure même où s’établit le pouvoir de l’usurpateur et s’affermit la possession pacifique de ce même pouvoir. En pratique, la persistance de la légitimité et des droits du prince déchu supposerait : que le tyran n’avait et n’a encore aucun droit au pouvoir ; que la nation n’est pas opposée au meurtre de l’usurpateur ; que par conséquent elle a conservé sa foi au souverain déchu ; qu’il n’existe pas de supérieur auquel on pourrait avoir recours ni aucun autre moyen efficace, pour dirimer pacifiquement le conflit ; enfin, que le meurtre du tyran usurpateur n’entraînera pas des maux plus grands pour la nation.

Lorsque l’intrus est encore en acte d’usurpation et n’a pas encore acquis la qualité de gouvernement de fait, le cas est clair. Il peut être mis à mort, non pas par tout citoyen, mais par celui qui est en état de légitime défense. De plus, il peut être tué sur ordre ou au nom du prince légitime, ainsi qu’au cours d’une guerre entreprise contre lui par l’ensemble de la nation. Pratiquement, sauf s’il s’agit d’un criminel de droit commun, on se contente aujourd’hui d’arrêter, d’emprisonner ou d’exiler l’usurpateur ou l’agitateur public. Cela est tout à fait conforme à la morale naturelle, qui demande dans tout acte de