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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/245

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TYRRELL (GEORGES)

certaine originalité, G. Tyrrell professa de bonne heure ce qu’il nommait « un agnosticisme tempéré », qui s’étendit bientôt des systématisations théologiques au concept même de révélation. Celle-ci était, à ses yeux, une lex orandi avant d’être une lex credendi et les termes simples qui la constituent étaient confiées à l’Église qui devait en assurer la direction fondamentale au prix de multiples traductions. Dans ce travail, une large place, à côté de la hiérarchie, revenait à la conscience des simples chrétiens. Il y eut toujours, chez G. Tyrrell, un fond de « protestantisme inavoué, pallié mais jamais éliminé ». L. de Grandmaison, dans Études, t. cxlii, 1915, p. 99.

2. « En fait d’histoire et de sciences bibliques, Tyrrell ne fut jamais qu’un disciple, d’autant plus dépendant de ses maîtres nouveaux qu’il se méfiait davantage de ceux qu’il avait quittés. » J.-V. Bainvel, dans Études, t. cxxiii, 1910, p. 741. De ces « maîtres », le principal, pour ne pas dire le seul, fut toujours A. Loisy, dont il acceptait docilement les pires postulats.

2o Applications : Nature du sentiment religieux.

C’est autour de ce thème que roulait, en majeure partie, la plaquette du « Dr Ernest Engels ».

1. En soi, la religion se ramène au « sens de l’absolu ». Plus tard seulement l’intelligence humaine s’efforce de traduire en concepts cette primitive intuition. Dans cette œuvre, elle n’aboutit d’ailleurs qu’à des symboles « spéculativement faux mais pratiquement vrais » (p. 6-8) : c’est à la vie morale, en effet, qu’il appartient de nous faire sentir Dieu comme la suprême volonté que nous devons aimer et servir.

2. Parce que le monde religieux ne se manifeste que progressivement, on peut parler de révélation. À chacune de ses étapes correspond le désir d’une autre et l’effort pour la provoquer : c’est en quoi consiste l’inspiration. Si toutes les religions portent jusqu’à un certain point ce double caractère, il se vérifie surtout chez les prophètes d’Israël (p. 13-15), dont le Christ achève la lignée.

3. Héritier de cette tradition, le christianisme, par sa prédication de l’amour divin, par sa doctrine de la grâce et des sacrements, est l’éducateur par excellence des volontés (p. 24-31). Le secret de sa valeur est dans la vie qu’il est capable d’infuser aux âmes (p. 32-37). Mais c’est à condition de lui appliquer la parole évangélique : Spiritus est qui vivificat, en subordonnant à sa fécondité religieuse les conceptions intellectuelles dont il s’est chargé au cours des temps (p. 50-51). Un essai d’explication pragmatiste du Credo (p. 57-58) accompagnait cet exposé.

3o Application : Rôle de l’Église.

Cette philosophie religieuse se prolongeait en une ecclésiologie, dont le programme était tracé par le « petit livre gris » d’ « Hilaire Bourdon ».

1. Partie négative. — Sous sa forme traditionnelle, le catholicisme est caduc : la critique biblique en a ruiné les fondements (p. 7-19) et l’histoire des dogmes lui enlève tous ses droits à l’infaillibilité (p. 19-22). La Curie romaine, avec son despotisme désuet, ne fait que révéler aux yeux de tous la gravité du mal.

2. Partie positive. — Étant donné que le christianisme est moins une doctrine qu’un esprit, l’Église a pour mission essentielle de se faire l’école de la charité divine ici-bas (p. 33-84). Comme expression de la vérité, ses dogmes ne sont qu’une « approximation nécessairement faillible » (p. 95) : ils ne peuvent passer pour infaillibles que dans la mesure où ils se montrent générateurs de vie et d’action. À ce titre, ils s’expriment tout d’abord dans la conscience des fidèles, d’où les formules officielles ne font que les dégager (p. 101). De ce consensus fidelium la hiérarchie n’est que l’interprète, sous l’impulsion de l’esprit du Christ qui est l’unique règle de foi (p. 112-113) : l’infaillibilité du pape, en particulier, n’a pas d’autre sens (p. 108-109).

3. Conséquences pratiques. — Il reste à l’Église telle que nous la voyons le mérite de représenter en fait l’idée nécessaire d’un christianisme organisé. Le Christ se retrouve en elle, moyennant de remonter à la foi qui l’anime à travers la lettre de son enseignement (p. 142-150). Aux plus éclairés de ses fils le devoir s’impose de rester dans son sein pour travailler à sa transformation (p. 155-163) : en quoi ils ressemblent aux bons citoyens qui ne combattent leur gouvernement que pour mieux servir le pays. De même donc que le judaïsme a fait place au christianisme, on peut entrevoir, à la limite, « que le catholicisme ait à mourir pour revivre sous une forme plus large et plus élevée ». A much abused letter, p. 89.

Pragmatisme agnostique et évolutionniste dans la notion de la révélation et du dogme ; mysticisme individualiste d’origine protestante dans la conception de l’Église et de son magistère : les œuvres postérieures de G. Tyrrell n’ont guère ajouté à ce programme initial. Aussi bien est-ce à lui notoirement que la synthèse du « modernisme » construite par l’encyclique Pascendi doit le plus de son architecture et de ses matériaux.

I. Milieu. — Ern. Dimnet, La pensée catholique dans l’Angleterre contemporaine, Paris, 1906 ; A. Lilley, Modernism. A record and a review, Londres, 1908 ; A. Bawkes, Studies in modernism, Londres, 1913 ; A. Houtin, Histoire du modernisme catholique, Paris, 1913 ; J. Rivière, Le modernisme dans l’Église. Étude d’histoire religieuse contemporaine, Paris, 1929 (résumé ici même à l’art. Modernisme, t. x, col. 2009-2047) ; M.-D. Petre, Modernism. Its failure and his fruits, Londres, 1918 ; Percy Gardner, Modernism in the english Church, Paris, 1926 ; A.-R. Vidler (anglican libéral), The modernist movement in the Roman Church, Cambridge, 1934 (recension par J. Rivière, La crise moderniste devant l’opinion d’aujourd’hui, dans Revue des sciences religieuses, t. xx, 1940, p. 140-157) ; A. Loisy, Mémoires, Paris, 1930-1931 ; P. Sabatier, Les modernistes, Paris, 1909.

II. Biographie. — 1. Sources : M.-D. Petre, Autobiography and life of George Tyrrell, Londres, 1912 (trad. ital., Milan, 1915) ; G. Tyrrell’s letters (1898-1909), Londres, 1920 ; Fr. von Hügel, Selected letters, éd. Holland, Londres, 1927 ; L. Gougaud, Le modernisme en Angleterre, dans Revue du clergé fr., t. lvii, 1909, p. 549-565 ; Congrès d’histoire du christianisme, t. iii, Paris, 1928 (en l’honneur du jubilé d’A. Loisy).

2. Monographies : R. Gout (prot.), L’affaire Tyrrell, Paris, 1910 (paru d’abord dans la Revue de théologie publiée par la Faculté de théologie protestante de Montauban à partir de 1908) ; R. Thibaut, Dom Columba Marmion, Maredsous. 1929 ; J.-L. May (prot.), Father Tyrrell and the modernist movement, Londres, 1932 ; J.-J. Stam (prot.), George Tyrrell, Utrecht, 1938 (en néerlandais).

III. Discussion doctrinale. — À défaut d’une étude complète de sa théologie, qui reste encore à faire, quelques essais du premier jour méritent de survivre à l’actualité.

1. Chez les protestants : « Hakluyt Egerton » (pseudonyme d’Arthur Boutwood), Father Tyrrell’s modernism, Londres, 1909 (critique de Through Scylla and Charybdis). — 2. Chez les catholiques : Eug. Franon, Un nouveau manifeste catholique d’agnosticisme, dans Bulletin de littérature eccl., 1903, p. 157-166 (sur la brochure du « Dr Ernest Engels » ) ; La philosophie religieuse du P. Tyrrell, ibid., 1906, p. 33-49 ; note anonyme de la « Rédaction », dans Études, t. cvi, 1906, p. 693-695 ; J. Lebreton, Chronique de théologie, dans Revue pratique d’apologétique, t. iii, 1907, p. 542-550 ; Catholicisme, ibid., t. iv, 1907, p. 526-548 (en réponse à Théologisme de G. Tyrrell, paru ibid., p. 499-526) ; J.-V. Bainvel, Le dernier livre de George Tyrrell, dans Études, t. cxxiii, 1910, p. 737-775 (étude très ironique de l’ouvrage posthume : Christianity at the cross-roads).

J. Rivière.