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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/253

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UBIQUISME. ORIGINES


fermement que l’omniprésence du Christ doit s’entendre exclusivement de sa divinité. La formule stéréotypée du Moyen Age : Christus secundum humanitatem in cœlo est, secundum divinitatem ubique est résumée d’Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, t. II, part. I, c. xiii, P. L., t. clxxvi, col. 413416. Pierre Lombard y ajoute la mention de la présence eucharistique : Intelligendum est corpus Christi esse in uno loco, scilicet visibiliter in forma humana ; veritas lamen ejus, id est divinitas, ubique est ; veritas etiam ejus, id est verum corpus in omni altari est, ubicumque celebratum est. Sent., t. IV, dist. X, n. 2, P. L., t. cxcii, col. 860.

Toutefois il faut reconnaître que le problème de la multiprésence du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie n’a pas reçu d’explications bien fermes, dans la théologie catholique, avant le xiiie siècle. Le dogme, sans doute, est reçu avec foi ; mais la plupart des auteurs affirment cette foi sans chercher à la pénétrer. Parmi les rares solutions envisagées, quelques-unes sont franchement mauvaises, et mettent en péril le dogme lui-même ; d’autres sont hésitantes ou formulées en termes équivoques ou encore incomplètement présentées. Il est intéressant de rechercher quels antécédents, de formules principalement, de doctrine très exceptionnellement, l’ubiquisme luthérien pourrait revendiquer du ixe au xv » siècle.

1. Le « triple » corps du Christ, imaginé par Amalaire, même entendu au sens purement symbolique, ne saurait être retenu que comme une expression maladroite de la présence simultanée du Christ déjà ressuscité au ciel et dans l'âme du communiant, comme gage de la résurrection future. Voir ici Eucharistie, t. v, col. 1211-1212.

Malgré l’orthodoxie de Paschase Radbert quant à la présence réelle, certaines de ses expressions présentent quelque analogie avec les explications dont les luthériens, au moment des controverses ubiquistes, tentèrent de couvrir leur opinion. Il s’agit surtout de la « spiritualisation » de la chair du Christ dans l’eucharistie, ainsi qu’on l’a exposé à Radbert (Paschase), t. xiii, col. 1636 ; spiritualisation qui, dans la théologie de Radbert, veut expliquer la multiplication des présences réelles. Ce terme est d’ailleurs à rapprocher de certaines formules de saint Augustin. Voir Eucharistie, col. 1178-1179.

Plus directement apparentée aux formules ubiquistes se présente l’exposé de Ratramne. La chair du Christ crucifié était vraie ; mais sacramentelle est la chair eucharistique et, quand nous disons que la communion nous fait posséder le corps du Christ, il faut entendre le mystère d’une façon purement spirituelle : l’eucharistie est le corps du Christ, parce que l’esprit du Christ y devient présent, fit in eo spiritus Christi, id est divini potentia Verbi. Voir Ratramne, t. xiii, col. 1782 ; Stercoranisme, t. xiv, col. 2599. Il est piquant de constater que Ratramne, dont les conceptions sont hésitantes pour ce qui est de la présence réelle, emploie des expressions qu’on retrouvera, plus tard, sous la plume de défenseurs outranciers et maladroits de la présence eucharistique.

L’ouvrage de Ratramne, De corpore et sanguine Domini sera condamné plus tard sous le nom d'Érigène lors du premier éclat de la controverse bérengarienne. C’est que l'Érigène lui-même, dans son ouvrage capital, n’est pas irréprochable en sa doctrine eucharistique. Voir t. v, col. 419. Il semble concéder une sorte d’ubiquité au corps glorieux du Christ et cette ubiquité serait loin de constituer un obstacle à la présence réelle, puisque l'Érigène admet qu' à l’instar des anges qui, tout en n’ayant pas des corps matériels, mais spirituels, apparaissent aux sens humains, nec tamen phantasticc, sed veraciter,

le corps glorifié du Christ, non plus matériel, mais spirituel, put apparaître véritablement aux apôtres après la résurrection, étant le même corps qui était né de Marie et avait souffert sur la croix, mais de mortel devenu immortel, d’animal, spirituel et de terrestre, céleste ». Ibid., col. 420.

Ces trois noms du ixe siècle suffisent : autour d’eux se groupent tous les auteurs de la même époque qui ont, en tâtonnant plus ou moins, abordé le difficile problème de la présence eucharistique. Voir Eucharistie, col. 1214-1217.

2. Au xie siècle, Bérenger de Tours pose le principe sur lequel s’appuieront les sacramentaires, adversaires de l’ubiquisme et de la présence réelle : l’incorruptibilité et l’unicité du corps céleste de Jésus-Christ. Toute substance corporelle étant essentiellement soumise aux lois de l’espace, il est impossible que le corps céleste du Christ soit ailleurs qu’au ciel. Si le corps du Christ était dans l’hostie, il ne pourrait y être que partiellement. Or, le Christ est indivisible et, s’il était tout entier dans une hostie, il ne saurait être simultanément présent au ciel et sur un million d’autels. Comment donc expliquer le dogme de la présence réelle ? Bérenger propose des formules dangereuses, sinon fausses, qu’on peut également rapprocher des explications ubiquistes. Après la consécration, le pain subsiste, mais s’unit au corps du Christ par une sorte de présence spirituelle ou intellectuelle de celui-ci. Voir t. ii, col. 729, 731-732. Toutefois cette présence « spirituelle semble devoir être interprétée d’une manière subjective par rapport au communiant, car, selon l’expression même de Bérenger, pain et viii, après la consécration, deviennent fidei et intelleclui le vrai corps et le vrai sang du Christ. Col. 732. Mais « que le même corps, présent au ciel dans son être matériel et physique, soit présent dans les hosties consacrées selon un mode d'être spirituel, cette idée ne semble pas même un instant effleurer son esprit ». Eucharistie, col. 1223. Voir aussi dans le sens d’une présence incorporelle un texte attribué à Hildebert du Mans (?) ; ibid., col. 1272.

3. La controverse bérengarienne eut l’excellent résultat de faire progresser l’exposé théologique du dogme de la présence réelle et de la transsubstantiation. Mais, au xiie siècle, d’autres catégories d’adversaires succèdent aux bérengariens : cathares, vaudois, patarins, pétrobrussiens, etc. À des degrés divers, tous attaquent le dogme de la présence réelle ; les objections bérengariennes se retrouvent chez ces hérétiques. Voir Eucharistie, col. 1241-1242. Toutefois le groupe des partisans d’Amaury de Bène semble plus particulièrement préluder à l’erreur ubiquiste. La présence réelle, telle que l’enseigne l'Église catholique, est pour eux un mot vide de sens ; car le corps du Christ est partout et on peut l’adorer dans du pain ordinaire. Voir les textes dans le traité Contra amaurianos de Garnier de Rochefort, évêque de Langres (dans Jahrbuch fur Philosophie und spéculative Théologie, 1893, t. vii, p. 56-57). Aussi les paroles de la consécration n’ont aucune efficacité ; elles ne produisent pas la présence réelle ; elles la constatent : subesse ostenditur. Voir, à ce sujet, les décrets du concile de Sens (1210), dans Mansi, Concil., t. xxii, col. 809-810.

Contre de telles énormités, le dogme catholique est affirmé par tous sans hésitation. Mais il s’en faut de beaucoup que le progrès théologique suive le progrès dogmatique. Les objections formulées contre la multiprésence du Christ ne trouvent pas encore leur solution adéquate. Pour expliquer la présence de Jésus-Christ dans les fragments d’hostie, Hugues de Saint-Victor se contente de faire appel à la toutepuissance divine, quia opus Dei est. Op. cit., t. II,