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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/398

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USURE. L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE

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consacrée à détourner les emprunteurs de recourir à l’argent d’autrui. Qu’ils vendent tout ce qu’ils possèdent plutôt que de perdre leur liberté par l’emprunt et de voir disperser leurs biens, pour un prix dérisoire, par un créancier pressé de rentrer dans ses débours. L’emprunt est non seulement contraire aux intérêts temporels, il compromet gravement le salut éternel par les occasions qu’il donne au mensonge, au parjure, à l’ingratitude et à la perfidie. D’où la conclusion suivante : « Etes-vous riche ? N’empruntez donc pas. Etes-vous pauvres ? N’empruntez pas davantage. Car, si vous ne manquez de rien, pourquoi empruntez-vous à usure ? Et si vous n’avez rien, vous ne pourrez rendre ce que vous avez emprunté. » Ibid., col. 271. Que l’intérêt soit un mal générateur d’autres maux, n’est-ce pas là quelque chose de solidement établi par l’appellation toxoç, enfantement, qui lui a été donnée dans la langue grecque ? « …L’intérêt est appelé toxoç à cause de la fécondité du mal… ; ou est-il appelé toxoç pour les douleurs et les ennuis, que, par sa nature, il provoque aux esprits des débiteurs parce que le délai de paiement se présente à eux comme la douleur à la femme qui accouche ? L’intérêt des intérêts est une mauvaise progéniture de mauvais parents. Que les produits des intérêts soient appelés des enfants de vipère… » Ibid., col. 274.

Les emprunteurs ne manquent pas d’excuses, apparemment du moins, pour justifier leur conduite. Les uns sont dans le besoin ; les autres veulent augmenter leur bien-être. Aux premiers, Basile donne l’exemple de l’abeille et de la fourmi qui savent trouver le nécessaire sans emprunter ni mendier. A tout prendre, mieux vaut encore demander l’aumône, si l’on est dans le dénuement et si l’on n’a pas assez de force pour supporter les fatigues du travail. Aux autres, le saint rappelle que, s’ils n’ont pas assez pour leurs nécessités, leurs commodités ou leurs voluptés, le nombre finira par se multiplier de ceux dont ils sont les débiteurs. Ibid., col. 275-278. L’homélie se termine par le rappel aux riches du conseil de Notre-Seigneur : « Prêtez à ceux de qui vous n’espérez rien recevoir » et par une condamnation toute spéciale de l’usure envers les pauvres. Col. 278.

Saint Grégoire de Nysse affirme d’abord, comme son frère, que prêter à usure c’est prendre le bien d’autrui. P. G., t. xliv, col. 671. Puis, avec plus de netteté que ses devanciers, il note que l’usure est le résultat d’une union contre nature, improba conjunctio, qui a le pouvoir de faire que les choses stériles et inanimées enfantent, alors que la nature n’a donné la fécondité qu’aux choses animées qui ont des sexes différents. Col. 671-672. N’est-ce pas déjà, mais dans une formule moins décisive, l’affirmation de la stérilité naturelle de l’argent que saint Thomas empruntera à Aristote ?

Que celui qui prête à usure sache qu’il augmente l’indigence de son emprunteur au lieu de la diminuer, (elle idée amène tout naturellement le saint à passer la revue des tourments auxquels sont, en conséquence, exposés les usuriers : crainte de n’être pas remboursés. même si le débiteur est riche, car il peut être ruiné rapidement ; angoisses plus grandes encore si l’argent a été prèle à des marchands et à des gens de trafic, car les risques courus par les capitaux sont plus grands eux aussi. Il insiste sur les dangers sociaux de l’usure : multiplication des pauvres, ruine des maisons, occasions de luxe el île débauche, désespoir des débiteurs BCI Ulés a la misère. Col. 673-67 I.

Si saini Basile et saint Grégoire, comme d’ailleurs les autres Pères du rve siècle, prohibent plus du ment l’usure envers les pauvres, (’est. sans doute. parce que, dans un monde qui tend a s’anémier et a se replier sur soi-même, Albcrtini, L’Empire romain, Paris, 1929, p. 368 sq., surtout p. 389, les classes pauvres sont celles qui recourent le plus au prêt de consommation et ont le plus à souffrir des exigences de leurs créanciers. On n’en saurait conclure que l’usure est permise dans certains cas, notamment envers les riches. Les Pères cappadociens et avec une particulière netteté saint Grégoire condamnent la perception d’un intérêt quel qu’il soit, même sous le couvert de la loi civile. C’est ainsi que dans sa Lettre à Létoïus, évêque de Mélitène, écrite vers 390, saint Grégoire déclare qu’il faut s’en tenir à l’Écriture qui « condamne l’usure, toxoç, et le surplus, TrXeovaop. ôç, qu’on prend outre le principal, et défend d’user d’une puissance quelconque pour faire passer le bien d’autrui en sa possession, même si cela se fait par hasard sous la forme du contrat ou de la transaction », donc dans les limites permises par la loi. Atqui apud divinam Scripturam feenus et usura sunt prohibita, et per quamdam potentiam, ad suam possessionem aliéna traducere, etiamsi sub contractas aut transaclionis specie hoc fortasse factum sit. P. G., t. xlv, col. 234. Enfin l’usure est condamnable non seulement chez les clercs, mais encore chez les laïques, car saint Basile et saint Grégoire estiment qu’un laïque, qui a pratiqué l’usure, ne peut être admis aux ordres sacrés qu’après s’être engagé à restituer tout le profit injuste qu’il a réalisé et à s’abstenir désormais de tout gain sordide : Basile, Lettre canonique à Ami>hiloque, Epist., cxcviii, t. xxxii, col. 682 ; Grégoire, Lettre ù Létoïus. c. 6, t. xlv, col. 233. Sur ces deux Pères, utiles précisions dans S. Giet, Les idées et l’action sociales de saint Basile, thèse de lettres, Cæn, 1941, p. 120 sq., et De saint Basile à saint Ambroise. La condamnation du prêt à intérêt au IVe siècle, dans Recherches de science religieuse, 1944, p. 95 sq.

A son tour saint Jean Chrysostome (314-407) va s’attaquer à l’usure et aux usuriers dans ses homélies sur la Genèse et dans celles sur saint Matthieu, prononcées à Antioche vers 390. Il apporte dans le débat la fougue de son tempérament batailleur et toutes les ressources de sa science et de sa dialectique. Dans V homélie xli sur la Genèse, xviii, il tente une réfutation philosophique de la notion d’intérêt en s’appuyant sur la morale chrétienne : « Pour l’argent sensible, dit-il, Dieu a prohibé la perception d’intérêts. Pour quelle raison et pourquoi ? Parce que chacun des deux contractants en subit un grave dommage, car tandis que la pauvreté de l’un s’accentue, l’autre accumule une foule de péchés en même temps qu’il augmente sa fortune. » P. G., t. lui, col. 376-377. Dans l’homélie lxi sur saint.Matthieu, il insiste sur les dangers de l’usure pour le salut éternel, t. î.vin, col. 591-592, tandis que, dans l’homélie i.yi, « préférant l’indignation des hommes à celle de Dieu > et prévoyant que son discours sera désagréable a ceux qui veulent être flattés et non avertis des vérités du salut — ils sont sans doute nombreux dans ce monde d’affaires et de trafic qu’est Antioche il établit que les usures sont contre nature, qu’elles sont pernicieuses a ceux qui prêtent et à ceux qui empruntent, op. cit., col. 556 sq., ce qui n’est pas nouveau : mais surtout il prévoit et réfute les justifications que les usuriers donnent de leur conduite. On distribue en aumônes les profits de l’usure ? Dieu ne veut point de ces offrandes. Il vaut mieux ne rien donner aux pauvres que leur donner de la sorte, car c’est faire injure a Dieu. On se retranche derrière la loi civile Mais le publicain lui aussi gardait les lois extérieures et il ne laissa pas d’être puni. De plus les lois civiles elles mêmes considèrent l’USUre comme le si^ne d’une extrême imprudence. Aussi n’est il pas permis aux sénateurs de prêter à usure (allusion à une constitution d’Arcadius au Code Théodosien, II. xxxiii. 3) ci