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USURE. LA BULLE V IX PERVENIT


donnait l’exemple de ces coutumes financières. Des marchands, des banquiers, en vue de s’assurer une trésorerie abondante, empruntaient, à intérêt, en reportant le remboursement à l’époque des foires ultérieures. Les docteurs catholiques s’insurgeaient, pour la plupart, contre ces façons d’agir. La Faculté de Paris les condamnait. Les papes Alexandre VII (1666) et Innocent XI (1679) les censuraient. Les Conférences ecclésiastiques de Paris, dont le P. Le Semelier était le rapporteur, les réprouvaient. Et Bossuet, en 1700, leur jetait un blâme au nom du clergé de France.

Cependant l’unanimité n’était pas faite. Un moraliste connu, le P. Gebalinus, S. J., ramenait ces pratiques à une forme du triple contrat qu’il autorisait. Et un prêtre parisien, Le Correur, tout en condamnant l’usure, inaugurait, à leur propos, une explication nouvelle. Il distinguait entre les ]frêts de consommation et les prêts de production. Les premiers devaient être gratuits. Mais les seconds, dont les n prêts de commerce » étaient le type, pouvaient, à l’entendre, rapporter un intérêt.

On voit ici la tendance qui se marquera encore, par la suite et jusqu’à nos jours, dans nombre de théories visant à légitimer la location de l’argent. Ces tentatives s’inspirent toutes d’une idée commune. Et elles apportent, pour argument, l’avantage procuré, le service rendu, plus ou moins occasionnellement, à l’emprunteur. Mais c’est une perspective, dans laquelle la doctrine catholique a refusé d’entrer. La justification de l’intérêt, pour être admise, doit être établie du côté du prêteur. Ce personnage, en fournissant son argent, peut-il prouver qu’il se dessaisit d’une valeur appréciée, ou qu’il subit un dommage ? Il est alors habilité à percevoir un supplément à la somme par lui avancée. Les circonstances, en modifiant l’état économique du monde, pourront aussi changer les conditions de cette preuve. Mais les éléments en seront toujours tirés de la situation du prêteur, ils ne seront pas demandés, tout au moins directement, à celle de l’emprunteur.

El c’est ce que nous allons entendre répéter, une (ois de plus, par le pape Benoit XIV, dans l’encyclique VLr pervertit qui, au milieu des discussions, dont nous avons fourni l’exposé rapide, a eu pour but d’effectuer une mise au point doctrinale.

III. Du la BULLE VLV PERVENIT AUX hkciihts domains Dr XIX’- SIÈCLE. — 1° l.d huile VlX PERVENIT (1745). - Elle eut pour occasion, sinon pour cause déterminante, une certaine agitation produite dans la ville de Vérone à propos des emprunts pour lesquels cette cité payait un intérêt à ses bailleurs de fonds.

II n’y avait point là exception ou nouveauté. Depuis longtemps, les villes italiennes, en quête de ressources, avaient employé ce procédé. Et les moralistes lui avaient, en général, accordé un laisser passer comme représentant une forme de renies ou comportant un lucrum cessons dans ces milieux d’affaires déjà très Ctives. Saint Antonin de Florence (r 1459), s’était prononcé dans un sens favorable. Mais les esprits n’étaient pointant pas en repos, la controverse se

rallumait au sujet de ces emprunts publics. Et la polémique, qui agitait, a ce moment, la Hollande, n’était pas étrangère au trouble des consciences italiennes. Quoi qu’il en soit, une consultation fui demandée à

un citoyen important de Vérone, Scipion Maffei, qui,

par son savoir, semblait qualifié pour donner un axis compétent, L’avis fut conforme à celui du hollan

dais Broedersen et, par de la <e contemporain, llrejoi gnail l’opinion de Calvin. Maffei déniait la stérilité

essentielle de l’argent, le transfert temporaire de la propriété dans le contrai « le prêt. Et, du point de vue

ni in. ni rUSOL. c.ATHOL.

pratique, il déclarait licite un intérêt modique réclamé des riches en pareille convention. S’il s’agissait des pauvres, la charité voulait qu’on n’exigeât rien.

Un an plus tard, paraissait l’encyclique Vix pervertit, Denz.-Bannw. n. 1475 sq. Pas plus que les textes déjà promulgués sur l’usure parle Saint-Siège, celui-ci ne fait appel au privilège de l’infaillibilité. Mais il apportait pourtant un jugement dogmatique. Lien qu’en raison des circonstances locales, il ait eu pour destinataires directs les évêques d’Italie, il s’adressait à l’Église universelle. Nul doute qu’il ait, de ce fait, une importance de premier plan. D’ailleurs le pape ne prétend pas résoudre les divers cas de conscience qui ont pu surgir, ici ou là, au sujet des placements d’argent. Même il ne nomme pas Scipion Maffei et ne condamne pas’explicitement sa thèse qui pourra, sans être officiellement censurée, être rééditée à Rome en 1746. Cette tolérance était-elle due aux relations personnelles et amicales de l’auteur avec le souverain pontife ? Était-elle un appel tacite à l’apaisement des esprits ? Toujours est-il que, si Mafïei ne s’estima pas visé par la bulle, c’est que, de bonne foi sans doute, il refusait de lire le texte ou ne voulait pas entendre.

Car le document romain apporte une contradiction formelle à la thèse du citoyen de Vérone ou de ses devanciers. Le pape reprenait la définition de l’usure et disait, comme l’avait fait le concile de Vienne, que ce péché consistait à réclamer, dans le contrat de prêt, ex ipso mutuo… ipsius ratione rmilui, plus que la somme avancée. Peu importe, ajoutait-il, que ce surplus soit modéré ou considérable, peu importe que l’emprunteur soit riche ou pauvre, qu’il laisse la somme inutilisée ou qu’il en tire un profit par des achats avantageux, un commerce lucratif. Après quoi la bulle rappelait la légitimité des titres extrinsèques, les moyens de percevoir un intérêt licite de l’argent par d’autres contrats que le prêt. Mais la bulle n’admettait pas que cette justification de l’intérêt pût être tenue pour toujours acquise, en vertu d’un de ces titres supposé a priori existant.

Elle spécifiait, fût-ce avec une note de sévérité qui rappelait les disciplines antiques déjà élargies, au xviiie siècle, par la présomption généralement admise

— qu’il y fallait, en chaque cas particulier, un examen attentif. Quisquis igitur sues conscientise consultum velit. inquirat prius diligenter oportet, verene cum mutuo justus alius titulus, verene fustus aller a mutuo conlractus occurrat, quorum bénéficia, quod quæril lucrum, omnis labis expers, et immune reddatur.

2° Après la bulle « VLr pervertit ». — La controverse ne prit point fin avec la promulgation de l’encyclique. En Italie, saint Alphonse de Ligori fait siennes les propositions de la bulle. Concina, un contemporain, un concitoyen de Maffei, sous prétexte de défendre la doctrine orthodoxe, en exagère la sévérité et se lance dans d’âpres polémiques. Il attaque notamment les professeurs de la Faculté d’Ingolstadt. Ceux-ci répliquent. Et l’un d’eux, Rarth, dans un ouvrage De statulo principis, paru vers 1750, invoque explicitement, pour autoriser le prêt à intérêt, un nouveau titre extrinsèque qui aura, quelque temps, une certaine vogue, ainsi que nous le verrons. Il s’agit de la vertu que posséderait la loi civile, de justifier l’intérêt et souvent d’ailleurs d’en fixer le taux, sans avoir à alléguer d’autres raisons que son pouvoir souverain.

Disons ici que la plupart des Etats avaient, en effet, admis le prêt dans leur code. Nous l’avons vu poulies Pays l’.as en 1658. L’Angleterre et l’Allemagne avaient précédé la Hollande et, depuis le milieu du KVIe siècle, adopté la même tolérance légale. Seule la France résistait encore et ce sera seulement a l’heure de la Révolution (le 12 octobre 1789), que le prêt <

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