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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/44

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1617 TRINITÉ. LES APOLOGISTES 1618

et des oreilles, mais par une puissance indicible. » Dial., 127. Il ajoute que Dieu est bon et qu’il aime les hommes, tellement qu’il les admet à jouir de l’immortalité et à partager sa vie. » Apol., i, 10.

Bien plus, il y a en Dieu une Trinité de personnes : « Nous ne sommes pas athées, nous qui vénérons le Créateur de l’univers… et nous honorons celui qui nous a enseigné ces choses et qui est né pour cela, Jésus-Christ, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, gouverneur de Judée au temps de Tibère César, que nous reconnaissons pour le Fils du vrai Dieu et que nous mettons au second rang, et en troisième lieu l’Esprit prophétique. » Apol., i, 13.

Dieu, le Père inengendré et ineffable, a donc un Fils que saint Justin appelle aussi le Verbe. Le Fils de Dieu est vraiment distinct du Père et, dans le Dialogue, l’apologiste consacre de nombreuses pages à établir cette distinction : « Je reviens aux Écritures, et je vais essayer de vous convaincre, déclare Justin à Tryphon, que celui qui est apparu à Abraham, à Jacob, à Moïse et qui est décrit comme un Dieu, est autre que le Dieu qui a fait toutes choses, je veux dire autre par le nombre, mais non par la pensée ; car j’affirme qu’il n’a rien fait ni rien dit que ce que le Créateur du monde, celui au-dessus duquel il n’y a pas d’autre Dieu, a voulu qu’il fasse ou qu’il dise. » Dial., 56. Et plus loin : « Il a été prouvé que cette puissance, que le texte prophétique appelle Dieu et Ange, n’est pas seulement nominalement distincte du Père comme la lumière l’est du soleil, mais qu’elle est quelque chose de numériquement distinct. » Dial., 128.

Le Verbe, distinct du Père, est Dieu : « Ceux qui disent que le Fils est le Père, montrent bien qu’ils ne connaissent pas le Père et qu’ils ne savent pas que le Père de l’univers a un Fils qui, étant Verbe et premierné de Dieu, est aussi Dieu. » Apol., i, 63 ; cf. Dial., 34, 36, 37, 38, 61, 58.

Le Verbe est préexistant et antérieur à toute créature. Il est Dieu avant la création. Dial., 56, 48. Il n’est donc pas lui-même une créature ; et si on lui applique le texte de Prov., viii, 22, « le Seigneur m’a créé », Dial., 61, c’est à la condition de ne pas appuyer sur le sens du verbe ektise. Tandis que les autres êtres sont des œuvres ou des créatures, lui seul est le rejeton de Dieu, Apol., i, 21 ; Dial., 62 ; son enfant, Dial., 125 ; son Fils unique, Dial., 105 ; et personne hors de lui n’est Fils de Dieu. Apol., i, 23 ; ii, 6.

Cependant, par la génération, le Fils ne se trouve pas séparé du Père ; celui-ci n’est pas privé de son Verbe, et sa substance n’est pas partagée. « Lorsque nous proférons un verbe, nous engendrons un verbe et nous ne le proférons pas par une amputation qui diminuerait le verbe qui est en nous. C’est aussi comme ce que nous voyons d’un feu allumé à un autre feu ; celui auquel il est allumé n’en est pas diminué, mais il reste le même ; et celui qui s’y est allumé se montre bien réel, sans diminuer celui auquel il s’est allumé. » Dial., 61, 128.

Tout cela est très clair. Mais quelques expressions de l’apologiste le sont moins et ont amené des théologiens à se poser des questions importantes sur le développement de sa pensée. La première de ces questions porte sur le moment de la génération du Verbe : le Verbe, engendré sans doute avant la création, ne l’a-t-il pas été conséquemment à la résolution formée par Dieu de créer ? Sa génération n’est-elle pas ainsi l’effet d’un acte libre ; et, si le Verbe existait auparavant en Dieu comme raison immanente, n’est-il pas devenu une personne lors de sa génération ? C’est ainsi que Justin écrit : « Comme principe, avant toutes les créatures, Dieu engendra de lui-même une puissance qui était Verbe… elle peut recevoir tous les noms, parce qu’elle exécute les desseins du Père et qu’elle est née du Père par volonté. » Dial., 61. Et encore : « Ce Fils, émis réellement avant toutes les créatures, était avec le Père, et c’est avec lui que le Père s’entretient… ce même être est principe avant toutes les créatures et il a été engendré par Dieu comme son Fils : c’est lui que Salomon appelle Sagesse. » Dial., 62. Ou bien : « Son Fils, le seul qui soit proprement appelé Fils, le Verbe qui, avant toutes les créatures était avec lui et avait été engendré quand, au commencement, le Père fit et ordonna toutes choses. » Apol., ii, 6.

Ces textes sont embarrassants. Si Justin affirme que le Verbe est antérieur à toutes les créatures, il ne déclare pas qu’il est éternel ; et en mettant sa génération en rapport avec la création du monde, il semble dire qu’il a été produit par un acte libre et volontaire de Dieu. Sans doute, l’apologiste n’a pas aperçu les conséquences de ses formules et nous aurions tort de l’accuser : que lui importait après tout l’éternité métaphysique, lorsqu’il s’agissait de mettre en relief l’action du Verbe dans la création ? Il reste cependant que les mots employés laissent à désirer : on les évitera plus tard.

On peut également se demander si Justin n’enseigne pas la subordination du Verbe par rapport au Père. Pour l’apologiste, comme pour saint Jean, Dieu est invisible et c’est le Verbe qui le manifeste aux hommes. Il exerce son action de plusieurs manières. Déjà parmi les païens, « tout ce qu’ont dit ou découvert de juste les philosophes et les législateurs, ils l’ont atteint, grâce à une participation partielle du Logos, par leurs découvertes et leurs études. Mais, comme ils n’ont pas connu le tout du Logos, qui est le Christ, ils se sont souvent contredits… Socrate ne put persuader à personne de mourir pour sa doctrine ; mais le Christ, que Socrate a connu partiellement — car il était et il est le Logos présent en tout, et il a prédit ce qui devait arriver par les prophètes et par lui-même en devenant semblable à nous et en nous enseignant tout cela — le Christ a persuadé non seulement les philosophes et les lettrés, mais même des artisans et des hommes tout à fait ignorants, qui ont méprisé l’opinion, la crainte et la mort, car il est le Verbe du Père ineffable et non pas un produit du logos humain. » Apol., ii, 10.

Parmi les Juifs, le Verbe s’est manifesté surtout dans les théophanies : « Dire que l’auteur et le père de l’univers ait abandonné tous les espaces supracélestes pour apparaître en un coin de terre, personne, si peu d’esprit qu’il ait, ne l’oserait. » Dial., 60. « Par suite, on doit croire qu’il y a au-dessous du Créateur de l’univers un autre Dieu et Seigneur qui est appelé ange, pour qu’il annonce aux hommes tout ce que veut leur annoncer le Créateur de l’univers, au-dessus duquel il n’y a pas d’autre Dieu. » Dial., 61. Comme le remarque le P. Feder, cet argument, très efficace pour établir la distinction des personnes divines, met en péril l’égalité et l’unité substantielle du Père et du Fils. Et saint Justin insiste sur la subordination du Fils : après avoir développé l’enseignement des théophanies, il déclare qu’il pense avoir démontré que celui qui est apparu à Abraham, à Isaac, à Jacob et aux autres patriarches, et qui est nommé Dieu, est assujetti au Père et Seigneur et qu’il exécute sa volonté. Dial., 126.

On peut d’ailleurs ajouter que Justin n’en affirme pas moins la divinité du Fils : on a l’impression que sa philosophie l’a égaré en des voies périlleuses, tandis que la fermeté de son attachement à la croyance traditionnelle le retenait dans l’orthodoxie. Lorsqu’il se contente d’affirmer les enseignements chrétiens, il les exprime en termes généralement heureux. Lorsqu’il essaie de les expliquer, de concilier en particulier la transcendance et l’unité de Dieu avec la doctrine du Verbe, il lui arrive d’employer des expressions inadéquates. Nous ne nous laisserons pas impressionner par