1657
- TRINITÉ##
TRINITÉ. MARCEL D’ANCYRE
1658
souvenait-on pas que, plus récemment, Paul de Samosate avait également dû s’en servir et que les évêques réunis à Antioche en avaient condamné l’usage ? D’ailleurs, le sens même du mot était plus ou moins amphibologique : il peut exprimer cette idée que le Fils a la même essence concrète que le Père, qu’il est non seulement semblable au Père, mais identique à lui, qu’il ne se distingue pas de lui numériquement, et tel paraît bien être son sens propre ; dans ce cas comment peut-on affirmer que le Fils est autre que le Père ? ne faut-il pas cependant maintenir entre les personnes divines une distinction, si l’on ne veut pas tomber dans le modalisme ?
Pour les évêques d’Orient, le modalisme restait l’ennemi à combattre, l’hérésie redoutable par-dessus toutes les autres. On conçoit dès lors qu’ils aient hésité devant le terme ôfxooûoioç et que plusieurs d’entre eux ne l’aient accepté que contraints et forcés. Selon les vraisemblances, ce ne sont pas eux qui en ont eu l’initiative. Il semble plutôt que ce mot ait été proposé par Osius de Cordoue, qui représentait à Nicée les tendances occidentales. A Rome, le spectre du modalisme était moins effrayant ; par contre on y redoutait plutôt le trithéisme ou le subordinatianisme ; on avait gardé mauvais souvenir des’essais théologiqiies de saint Hippolyte et, comme Arius reprenait, en l’exagérant, une doctrine subordinatienne, comme il séparait totalement le Fils du Père, il fallait, contre lui, affirmer l’unité de la substance divine, ce que faisait excellemment le consubstantiel.
Le dogme de l’unité divine est encore confirmé par l’anathème qui suit le symbole. Cet anathématisme condamne en effet ceux qui disent que le Fils est d’une autre « hypostase ou ousie » que le Père. Il affirme par suite l’identité de sens entre les deux vocables hypostase et ousie. Si l’on se souvient qu’en latin, le mot hypostase se traduit littéralement par substanl.ia, on n’a pas de peine à comprendre l’identification ainsi faite : n’est-il pas évident qu’il ne saurait y avoir qu’une seule substance, une ^eule essence divine ? Affirmer que le Fils est d’une autre hypostase que le Père, n’est-ce pas le rejeter expressément au nombre des choses créées ? Le malheur est que, chez les Grecs, Û7t6aTaaiç est susceptible de prendre un sens tout différent et de désigner simplement la personne en tant que centre d’attribution. Origène n’avait pas hésité naguère à déclarer que le Père et le Fils différaient en hypostase, qu’il y avait en Dieu trois hypostases, ci-dessus, col. 1641, 1648 : sans être unanimement acceptées, ces formules étaient devenues courantes chez les Orientaux. Leur condamnation par l’anathématisme de Nicée risquait fort de soulever des difficultés nouvelles.
III. AU LENDEMAIN DE NICÉE : MARCEL D’ANCYRE.
— De fait, dès que les évêques qui avaient pris part au concile furent rentrés chez eux, les controverses reprirent de plus belle. Socrate, qui nous a conservé un tableau d’ensemble de ces luttes les compare à des combats dans la nuit, au cours desquels il est souvent difficile de reconnaître les amis des adversaires, et l’on peut garder cette image, parce qu’elle traduit fort exactement notre impression.
D’ariens proprement dits, c’est-à-dire de partisans avoués de la doctrine énoncée par Arius dans la Thalie, il n’est plus question pour l’instant. D’abord envoyé en exil, l’hérésiarque a obtenu son rappel moyennant la signature d’une profession de foi, insuffisante assurément du point de vue de la stricte orthodoxie, mais beaucoup moins dangereuse que ses précédentes affirmations. Ses partisans, sans se rallier en conscience à Vhomoousiox, restent fidèles à leurs préférences doctrinales pour un subonlinatianisme plus ou moins édulcoré, disons tout au moins pour une doctrine qui affirme nettement la Trinité des personnes.
Et les événements semblent d’abord leur donner raison, puisque, parmi les défenseurs les plus ardents de la formule de Nicée se fait remarquer un évêque fort suspect de sabellianisme, Marcel d’Ancyre. Il nous est difficile aujourd’hui de connaître exactement la doctrine de Marcel : de ses écrits nous ne possédons plus que les fragments conservés par Eusèbe de Césarée, un adversaire assurément peu soucieux de les présenter sous un jour favorable. Nous devons seulement rappeler que, pendant longtemps, Marcel fut la bête noire des eusébiens, c’est-à-dire en gros des adversaires, latents ou avoués, du consubstantiel, tandis que sa cause eut pour défenseurs les nicéens les plus convaincus. Même après avoir rompu avec Marcel les rapports de communion, saint Athanase se garda bien de le proclamer hérétique. Il y a là un ensemble de faits assez impressionnant.
En toute hypothèse, le point de départ de Marcel est le monothéisme le plus strict. Il faut, déclare l’évêque d’Ancyre, poser la monade, d’où découlera la triade, car il est impossible, si l’on pose d’abord trois hypostases, de les ramener à l’unité. Fragm., 66, éd. Klostermann du Corpus de Berlin, Œuvres d’Eusèbe, t. iv, p. 197. Dieu est donc une monade indivisible, il n’est pas trois hypostases. La pluralité introduite en lui, aussi bien que l’infériorité du Verbe par rapport au Père sont le résultat d’infiltrations païennes et la suite des erreurs d’Origène. En Dieu cependant existe le Verbe dont l’Écriture nous apprend trois choses : premièrement qu’il était au commencement, pour signifier qu’il était dans le Père en puissance ; deuxièmement qu’il était auprès de Dieu pour marquer qu’il était en énergie active et qu’il a tout créé par lui-même ; enfin qu’il était Dieu, pour nous apprendre que Dieu n’est pas divisé. Fragm., 52. Le Verbe éternel est ainsi consubstantiel à Dieu, ô(xooûaioç, aÙTOoûoaoç. Est-il une personne ? Ceci est une autre question et Marcel ne saurait y répondre d’une manière affirmative.
Selon lui en effet, le Verbe s’avance, 7rpoeX8u>v, procède, èx7topeÔETai, pour être l’auteur de la création : disons, si l’on veut, pour reprendre le langage des apologistes, que le Verbe immanent devient Verbe proféré. C’est là sa première économie. Une seconde a lieu lors de l’incarnation, quand la divinité vient habiter dans une humanité réelle et complète. À ce moment, le Verbe devient Fils, ce qu’il n’était pas auparavant. L’union du Verbe et de l’humanité assumée par lui ne saurait d’ailleurs durer éternellement. S’il est vrai que cette humanité a été glorifiée par la résurrection et est devenue digne de l’immortalité, elle n’est pas divinisée pour autant, ce qui est contradictoire. Après la parousie, le Verbe se dépouillera donc de cette humanité et rentrera en Dieu, comme il y était avant la création. Dieu recommencera donc à régner seul.
Marcel ne parle pas aussi longuement du Saint-Esprit. Cependant, il le traite de la même manière que le Verbe. Jusqu’au jour de la Pentecôte, PEsprit-Saint était contenu dans le Verbe et le Père ; il n’en était ni distinct ni séparé. À ce moment, se produit une extension nouvelle ; la monade se dilate en triade. Mais cette dilatation, elle aussi, est transitoire. Lorsque viendra la fin du monde, Dieu sera tout en tous. Il n’y aura plus que la monade éternelle.
Une telle doctrine nous apparaît assez inquiétante et nous n’hésitons guère à la rapprocher de « .lit dea sahelliens contre lesquels Denys d’Alexandrie avait lutté Jadis. Ce jugement doit pourtant être trop sévère. Marcel admettait bien, dans un certain sens, l’éternité du Verbe et du Saint-Esprit, mais il ne voulait pas qu’on les fît sortir du Père pour constituer des per