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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/642

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    1. VEUILLOT (LOUIS)##


VEUILLOT (LOUIS). LE CONCILE DU VATICAN

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Elle avait, par contre, excité dans le monde politique un certain nombre d’appréhensions. Elle ne laissait pas non plus de causer dans les milieux catholiques libéraux des inquiétudes plus ou moins justifiées. Dès le principe, l’Univers, prolongeant les perspectives ouvertes par la bulle, espérait que le concile, flétrissant les « erreurs libérales » donnerait au Syllabus, toujours objet de contestations, une consécration définitive, devant laquelle les catholiques libéraux n’auraient plus l’alternative que de la soumission ou de la révolte ouverte. Sans savoir encore quelle tâche était réservée au concile par la sagesse romaine, on commençait à polémiquer autour de toutes sortes de questions, autour de toutes sortes de personnes. La moins regrettable de ces polémiques ne fut pas celle qui s’engagea autour du P. Hyacinthe Loyson, lequel faisait déjà pressentir son exode.

C’est dans cette agitation des esprits, déjà si divisés, qu’éclata l’article de la Civillà cattolica du 6 février 1869, qui semblait indiquer, de bonne source, les buts assignés au concile : affirmation des principes du Syllabus, proclamation de l’assomption corporelle de Marie, définition, par acclamation, de l’infaillibilité pontificale. Cf. art. Vatican (Concile du), co. 2542. C’est beaucoup plus tard que l’on saurait que l’inspiration de cet article était partie de France même et rapportait simplement aux lecteurs français les opinions de leurs compatriotes. Dès le 13 février, l’Univers insérait, comme un document reflétant les vues de la curie, les « révélations » de la Civillà. Désormais, déclarait-il, on était au clair sur les intentions de Pie IX, désormais aussi il fallait que les vrais catholiques prissent position, toutes affaires cessantes, sur la question de l’infaillibilité pontificale. Sans se douter de la complexité d’un problème que les définitions mêmes du Vatican n’ont pas complètement élucidé (cf. art. Vatican, col. 2573 sq.), on ne voulut voir ici qu’un beau cadeau à faire au pape, qu’une compensation à accorder à Pie IX pour tous les déboires dont il avait été abreuvé. Sous couleur de souscriptions recueillies pour les frais du concile, les colonnes de l’Univers s’ouvrirent pour des mois à un véritable plébiscite. Chaque jour, accompagnant des ofïrandes souvent très modestes, se publiaient les adhésions des curés, des vicaires, des simples fidèles, agrémentées tantôt d’effusions pieuses, tantôt d’anathèmes ou d’injures. Il n’était pas très difficile de remarquer que ces dernières provenaient surtout des diocèses dont les pasteurs passaient, à tort ou à raison, pour n’être pas favorables à la définition de l’infaillibilité.

Tour cinq francs, pour un franc, le premier vicaire venu se payait le plaisir d’adresser à son évêque quelque lazzi injurieux. » Lecanuet, op. cit., t. iii, p. 466. Et. comme le dit fort bien P. de la Corée, au paisible enseignement des écoles ecclésiastiques ou des séminaires s’était substituée une théologie ignorante et batailleuse, qui s’arrogeait le droit de juger, de condamner ou d’absoudre. » Op. cit., t. vi, p. 52.

Aussi bien, le leitmotiv de cette théologie enfantine était-il que, l’infaillibilité personnelle et séparée du pape étant une vérité révélée, il ne pouvait y avoir pour s’opposer à la définition que des esprits plus OU moins suspects d’hérésie OU de mauvaise foi. Formidable pétition de principe, puisque la question était justement de savoir si le privilège revendiqué

l’oni le pape étail bien une vérité enseignée par la révélation. Sans compter que, même si cela était démontré, la question restait de savoir s’il était opportun de transformer en dogme de foi ecclédastique cette vérité de foi divine, il ne semble pas qu’a la rédaction de V I Hivers on se fiil beaucoup préoccupé de tant de subtilités. De là une atti tude hautaine, méprisante, violente même à l’endroit de tous les évêques français — on s’occupa moins des étrangers, pourtant nombreux — qui ne semblaient pas disposés à voter par acclamation l’infaillibilité pontificale, contre ceux, bien plus coupables, qui mettaient en doute l’opportunité de la définition, contre ceux enfin — étaient-ils encore des chrétiens ? — qui ne lisaient pas clairement inscrit dans la Tradition et l’Écriture le privilège pontifical, ou qui voyaient, dans certains faits de l’histoire ecclésiastique, de grosses difficultés à la définition. Il faudrait lire à ce sujet les jugements portés sur Mgr Maret et son livre Du concile général et de la paix religieuse. Voir ici, t. ix, col. 2033 sq. Avant même l’apparition de cet ouvrage, l’Univers avait pris à partie le doyen de Sorbonne. Celui-ci ayant déclaré que le système de diffamation et d’intimidation dont on usait contre lui ne l’empêcherait pas de parler, la polémique monta très vite au diapason le plus élevé, auquel l’intrusion des lecteurs de l’Univers, ecclésiastiques et laïques, n’était pas faite pour mettre une sourdine. Quelque contestables que fussent plusieurs des idées de l’évêque de Sura, il les avait émises dans la plénitude de son droit de « juge de la doctrine ». Il relevait seulement du jugement de ses pairs, dont plusieurs aussi bien le critiquèrent sévèrement. Que l’Univers ait inséré ces réfutations, c’était encore son droit ; où il y avait abus c’était de solliciter, avec l’indiscrétion que l’on y mit, le sentiment de toutes les incompétences. Un des correspondants du journal n’allait-il pas jusqu’à dénoncer dans le livre de Mgr Maret « une révolte comme celle que Satan prêchait dans le paradis terrestre » ?

Chose curieuse, alors qu’à l’Univers on s’arrogeait presque le droit de tracer au concile la marche à suivre, on y jugeait très sévèrement les « libéraux », qui se permettaient d’exprimer quelques desiderata. Le 10 octobre 1869, 1e Correspondant publiait, comme émanant de sa rédaction prise collectivement, un article sur le concile : « Éloquent, réservé bien plutôt que téméraire, il respirait l’entier dévouement, l’en tière obéissance au Saint-Siège. Les plus grandes hardiesses n’allaient pas au delà de quelques vœux pour la périodicité des conciles, pour une participation plus large des évêques au gouvernement de l’Église, pour un recrutement moins exclusif des congrégations romaines. Le souhait était exprimé que les catholiques, privés de leurs anciens privilèges, retrouvassent leur influence en prenant une part plus active dans l’usage des libertés générales. Sur la question de l’infaillibilité les rédacteurs observaient une extrême prudence et la seule supposition qu’ils écartaient, comme indigne de l’Église, était celle d’un vote emporté par surprise ou prématurément formulé par acclamation, i P. de la Corée, op. cit., t. vi, p. 51-52. Or, telle était l’humeur belliqueuse que les plus ardents affectèrent de voir en ce programme très modéré un empiétement sur le concile futur. L’évêque de Poitiers, Mgr Pie. frappa d’une sévère réprobation le < manifeste du Correspondant, et l’Univers s’associa à ces critiques.

Cette échauffourée un peu vive devait amener une intervention de Mgr Dupanloup. Peu avant son départ pour le concile, l’évêque d’Orléans adressait à son clergé un mandement, OÙ passaient ses sentiments à l’endroit de l’Église et du pape : il demandait prêtres de voit avant tout dans le concile l’action du Saint Esprit. À l’ensemble de l’opinion catholique, le prélat dédiait un peu plus tard des Observations sur la controverse soulevée relativement ii la définition de l’infaillibilité an futur concile, où il mettait au point, à sa manière naturellement, la