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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/683

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VICTORINUS AFKH. APPRECIATION D’ENSEMBLE


cuse pas l’cxégète d’obscurité, mais d’incompétence ; de même qu’il n’incrimine pas les spéculations du théologien, mais sa manière de dire. Ramenés ainsi à leur vrai sens, ces deux jugements avertissent seulement de distinguer entre la valeur littéraire de Victorin et sa valeur théologique.

Valeur littéraire. — Nous avons affaire à un rhéteur, pour qui chaque ouvrage correspond à un genre défini. Les ouvrages de grammaire et de logique sont fort clairs et ont été compris même au Moyen Age ; les commentaires de saint Paul sont eux aussi encore faciles à lire, et bien des obscurités tiennent à des fautes de copistes qui ont été relevées en partie par Benz, M. Victorinus, Stuttgart, 1932, p. 126 et passim. Cf. col. 1239 B.

Mais VAdversus Arium n’est pas un livre de vulgarisation : ce sont de savants tractatus (sur le sens technique de ce mot, voir G. Bardy, dans Rech. se. relig., juin 1946), dirigés contre un arien retors, puis contre des semi-ariens au vocabulaire nouveau, qui ne font grâce à Victorin d’aucune subtilité métaphysique. Celui-ci n’est pas en reste : il donne ses divisions, ses définitions, ses dilemmes, etc. Et sa réponse est extrêmement dure à lire ; Scriptor Me ferreus, disait un bon juge, Petau, De Trinitate, t. II, c. ii, 9. Cette obscurité tient aux fautes d’impression, aux néologismes que tout lecteur peut apercevoir, mais aussi au style concis, aux sens techniques que le philosophe donne à beaucoup de ses mots, enfin à l’incertitude de sa marche, toutes obscurités qu’une étude approfondie n’arrive pas toujours à dissiper.’1. Vocabulaire. — Les mots grecs dont il émaille soh texte, ont été souvent mal transcrits : on a mis ocoXa pour àOXoc, col. 1121 A, Aôyoç pour Aôyou, col. 1086 B, et surtout régulièrement àyLOQvaioç, pour ofi.oiouai.oc, le mot accepté des homéousiens, Adv. Arium, t. I, c. xxiii, xxv, xxviii, xliii ; t. II, c. ii, vu, ix, etc. La ponctuation a aussi souffert de l’incompréhension des copistes devant certains tours de phrase elliptiques, par exemple sa transition favorite : Sed ista ( sufjiciunt), col. 1044, 1045, 1050, etc., devant certains rejets inopinés, col. 1073 C ; devant des incises interrogatives, col. 1074 A, des citations bibliques enclavées dans le texte, col. 1089 B, 1123 B. Cf. col. 1062.

2. Style. — Il est précis, serré à l’extrême : c’est la phrase nerveuse et heurtée de Tertullien, mais sans ses antithèses, ni ses figures de langage. Jamais une approximation : alque ut dicuntur et sunt, col. 1101 D ; il s’excuse de ses comparaisons fugitives, col. 1066 A. Jamais un auteur n’a tant usé du verbe être exprimé ou sous-entendu, col. 1118 A, des mots vivere, vita, « dont, dit-il, la répétition même peut paraître obscure », col. 1115 B. Il faut parfois recourir au grec pour avoir le secret d’une phrase, col. 1082 C, 1077 C.

3. Néologismes. — Quoique assez rébarbatifs, ils ne sont pas de vraies difficultés. Étant le premier à exprimer systématiquement en latin ces conceptions métaphysiques, l’auteur a dû lutter contre les résistances d’une langue trop concrète. Il a eu, il faut l’avouer, une belle confiance en sa malléabilité : héllénismes, tournures populaires, néologismes surtout : des centaines de mots apparaissent chez lui pour la première fois. Beaucoup sont des dérivés en enlia, atus, itas ou etas, mentum, alis, osus, iter, qui sont fort commodes, mais ne lui ont pas survécu. D’autres cependant, par exemple le substantif ens pour désigner l’être, subsistentia, les infinitifs avec valeur nominale, ont fait fortune grâce à Boèce et aux scolastiques. « Il a beaucoup contribué, dans l’Occident latin, à la création d’une nouvelle langue philosophique et théologique. » P. Monceaux, op. cit., p. 417.

4. Le sens technique de ces mots anciens ou nouveaux est bien plus difficile à saisir. Car ce n’est pas généralement le sens aristotélicien, col. 1063 A, ni même le sens que la philosophie scolastique a consacré, col. 1035 A ; c’est le sens néoplatonicien, col. 1066 A. On pourra lire et suivre le raisonnement pendant des pages entières sans arriver à une notion claire, faute d’avoir préalablement cherché à définir les expressions : progressio, potentiu, motus, substantia, exsistentia, subsistentia, in intelleclu, in cœlestibus, etc. Et ipse substantia existens, habens esse, et a se, col. 1066 C : neuf mots, six expressions à sens théologique précis, mais pour Victorin seul et pour quelques érudits, comme le note saint Jérôme. La première chose à faire dans la présente étude sera donc une question de vocabulaire.

5. Une pue d’ensemble de chaque livre de V Adversus Arium semblerait aussi bien utile. Mais la suite des idées est ici précisément ce qui manque le plus : Victorin est un professeur qui aime à se répéter, à revenir en arrière, à s’arrêter en cours de route. Deux et trois fois il annonce une même thèse, col. 1077 C, 1080 B, 1081 D, 1082 B, sans arriver à la conclure. De même qu’il n’avait pas su composer son Ars grammatica, ainsi ses livres Contre Arius se présentent comme une suite de tractatus où la progression n’est pas nette, où les redites ne sont pas rares ; et l’auteur s’en aperçoit, Adv. Arium, t. IV, c. xviii, col. 1126 BC, col. 1127. Le 1. I est une étude exégétique jusqu’au c. xxxvi inclus, une diatribe contre les semi-ariens, du c. xxxvii jusqu’au c. xlvii, une méditation philosophique enfin sur les noms divins, c. xlviii à lxiv ; le 1. II présente une défense du terme nicéen : consubstantiel ; mais les livres III et IV s’ouvrent en pleine métaphysique. L’étude annoncée plus haut donnera la marche progressive de ces quatre livres.

Valeur théologique.

Saint Augustin met Victorin

en compagnie de saint Cyprien et… de saint Hilaire, parmi les docteurs chrétiens qui ont au mieux utilisé la sagesse des anciens, en particulier la philosophie platonicienne. De doctrina christ., t. II, c xl, P. L., t. xxxiv, col. 62. L’éloge ne s’applique guère qu’à Victorin ; il en aurait été fier, car c’est là le mot le plus juste qui ait été dit à son sujet. Plus qu’Origène, et au même degré que Synésius de Cyrène, notre auteur a porté haut l’étendard de Platon. « Dans l’ensemble, c’est bien le système de Plotin, interprété dans le sens chrétien, justifié par l’Écriture, et ramené au dogme catholique pour la défense de l’Église contre l’arianisme. » P. Monceaux, op. cit., p. 413. Dans le détail même, les emprunts visibles aux Ennéades sont innombrables : Adv. Arium, t. I, c. xlix « = Enn., III, viii, 9 ; t. IV, c. v = Enn., III, v, 9 ; t. IV, c. xxi = Enn., V, i, 6. Cf. Thomassin, Dogm. theol., t. i, p. 101 ; Geiger, C. M. Victorinus Afer, ein neupl. Philosoph, p. 17 sq.

1. Philosophe ou théologien ? — On peut seulement se demander dans quel esprit Victorinus a employé sa philosophie après sa conversion. « Dans l’ensemble comme dans le détail, nous avons là un système néoplatonicien entièrement neuf. » Schmid, M. Vikl. Rhetor., p. 4. Mais cette originalité — qui n’est pas entière — ne vient-elle pas précisément de la signification chrétienne qu’il impose à certains termes familiers à Plotin ? Le cas de la Trinité est typique avec le sens hypostatique qu’il donne au Noûç et au Aôyoç. Il admet qu’on puisse professer une autre philosophie, col. 1242 D. Plus encore, il laisse tomber beaucoup de dogmes de Plotin, comme le Dieu aveugle et muet, la causation nécessaire du monde, les modes plotiniens de purification et l’extase devenus inutiles depuis la révélation du Christ ; il a omis, sans doute volontairement, de dire à ses frères chrétiens ce qu’il pensait sur la liberté et la responsabilité morale, sur