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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/703

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VICTORINUS AFER. LKS ŒUVHKS DE DIEU


enseigne, semble-t-il, une chute contrainte : celle des âmes du monde matériel, et une chute libre : celle des âmes humaines. Quand il s’agit d’expliquer comment « la vie anime les choses matérielles », il montre « l’âme universelle qui se précipite sur les choses à animer avec une ardeur trop impétueuse, au point de sombrer dans la matière et dans les liens de la chair. A cause de cet accouplement à la matière, la lumière vitale de ces âmes est bien atténuée » ; mais enfin c’est dans leur nature et dans leur rôle que « de donner ainsi à la matière une apparence de vie ». Adv. Arium, t. IV, c. xi, col. 1121 AB. Au contraire, s’agit-il des âmes humaines, de ces âmes privilégiées, « intermédiaires entre les esprits purs et la matière, comme leur propre esprit est tourné vers l’un et l’autre pôle, puisqu’elles sont du Verbe sans être le Verbe », une terrible alternative se présente à elles : aul divina fit, aul incorporatur ». Adv. Arium, t. I, c. lxi, col. 1086 C. Victorin considère alors les âmes humaines, non plus en leur préexistence idéale dans le Verbe, mais à l’instant même de leur création et de leur séparation de l’âme universelle : « Ce pas qu’elles font pour sortir du Christ diminue leur lumière, cet éloignement de leur source est pour elles une perfection moindre » que celle de leur vie idéale en Dieu. Ad Ephes., i, 4, col. 1241 B. Laissée un instant par Dieu, si l’on peut dire, à l’état de nature pure, ces âmes aux facultés antagonistes, « anima cum suo proprio vu », prennent conscience de leurs privilèges : privées de la vraie lumière, mais dotées de la faible étincelle de leur esprit propre, elles sont appelées vers le haut ; mais les voilà avec leur seul esprit, et enténébrées par en bas, par cette matière dont les sommets les plus purs, qui sont vivants, attirent la lumière à descendre sur eux… » Col. 1086 C. Tout ceci est du Plotin à peine modifié. Enn., IV, m, 10 et 17 ; de même pour ce qui suit, cf. Enn., IV, m, 15 et 17 ; IV, viii, 4 et 7. Cf. Bréhier, La philosophie de Plotin, p. 75, 84, 221, 224. « Les âmes se penchent hors du monde intelligible », avait enseigné le philosophe, IV, iii, 15 ; « Intelligens tantum effecta, reprend notre théologien, non jam ut intelligibile, ou bien elle persévère en cet état, alors elle devient lumière pour les êtres supra-célestes…, ou bien elle se tourne vers les êtres inférieurs, et comme elle est pleine d’ardeur pour donner la vie, elle fait vivre (le corps humain) pour le monde et les choses du monde… » Loc. cit.

Nous sommes loin de la théologie traditionnelle : c’est pourtant là le péché originel, ou plutôt la chute prémondaine d’Origène : l’incarnation des âmes. Victorin l’appelle péché en l’appliquant à Adam et au récit de la Genèse, qui n’a qu’une valeur symbolique : « Nous naissons à cette vie corrompue, qui à ce titre est nommée femme. Ainsi tout le mal vient de la femme, car in primo homine non peccatum nisi ex fœmina. » Col. 1177 A ; cf. col. 1290 A. Comment cette option serait-elle libre, sinon de cette liberté chère à Plotin, qui n’est qu’une souplesse envers les lois cosmiques ? Enn., IV, viii, 4, 5, 7 ; IV, iii, 13 ; I, i, 12. Cf. P. Henry, La liberté chez Plotin, dans Rev. néo-scolastique, 1911, p. 60. Ailleurs le théologien introduit la Providence et le démon, ce qui ne simplifie point le problème de la chute : « C’est Dieu, par la vie qu’il a donnée à la matière, qui a fait que celle-ci envoie ses suppôts, pour corrompre l’homme. » Ado. Arium, t. I, c. xxvi, col. 1060 A. Bien plus, c’est « Dieu même qui a pris de la poussière, c’est-à-dire qui a mis en forme la fine fleur de la terre pour en faire le corps d’Adam », ibid., col. 1087 A, « les parties les plus pures de la matière animée, pour attirer l’âme à y descendre comme chez elle ». Col. 1086 C. Au reste, puisque la chute des âmes vient de leur incarnation, c’est une option fatale qui s’impose pour

chacune d’elles, au moment de son entrée dans le monde : i Eramus naturn filii irie, parce que nous avons été engendrés selon la nature de la chair et de la matière ; car c’est cela la naissance. Bien entendu, il ne s’agit plus ici de la naissance [des âmes] en Dieu, mais de leur naissance au monde ». Ad Ephes., ii, 3, col. 1254 B. Le problème de la transmission du péché originel ne se posait donc pas pour notre philosophe. Il est vrai que nous n’avons pas là-dessus sa pensée explicite ; et elle s’était peut-être clarifiée en son commentaire perdu sur les Bomains, qui avait du moins cette bonne note d’étonner l’Ambrosiaster, P. L., t. xviii, col. 96.

Le péché originel, qui vient d’un libre choix dans la préexistence, s’achève à la naissance, qui constitue une déchéance de nature. « L’âme avec son esprit, s’est ravalée au rang de puissance vitale. » Col. 1086 C. En effet, la vie de l’âme incarnée a désormais besoin de ce qu’elle veut vivifier ; aussi partage-t-elle le sort de son compagnon, et subit-elle ses souffrances jusqu’à la mort. Et son intelligence, dont l’aliment naturel était l’intelligible, se vautre — nouvelles sources de souffrances et de faiblesses — parmi les choses sensibles. Col. 1065 D. Notons toutefois que Victorin, qui appelle l’incarnation des âmes une passion et une source de péchés, ne l’appelle jamais une faute : ce n’est même pas « une tache, et quelque chose de surajouté à la substance de l’âme ; c’est une perfection diminuée ». Col. 1242 et 1239 C.

4. Les suites du péché originel.

L’ignorance, l’inclination au mal, les infirmités et la mort, s’expliquent naturellement par l’incarnation des âmes. Le monde matériel, dont le contact est une source de corruption pour tous les principes vivants, col. 1083, est de plus pour les âmes humaines « source de péché : les âmes que les puissances matérielles entraînent dans les ténèbres et l’ignorance ont besoin du secours de la lumière éternelle ». Adv. Arium, t. I, c. lviii, col. 1084 C. « Voilà bien les péchés : les désirs nés dans le monde et du monde ». Col. 1253 A. « Le monde est le ministre du péché, c’est pourquoi il faut le fuir ». Ad Phil., ii, 27, col. 1216 A. « Les âmes devenues chair ont des sentiments charnels. » Col. 1241. Le péché vient de l’erreur de l’âme, et l’erreur vient des sens, selon la théorie de Platon, que Victorin expose longuement. Col. 1240 A, 1239 D, 1242 A. Cf. Platon, Tim., c. xlii-lii. Sans doute, « ce glissement du vrai dans le vraisemblable et dans l’erreur, par le fait des sens, du monde et de la matière », col. 1241 B, est une vraie catastrophe, parce que « les âmes, vaincues par les puissances sensibles », n’ont apprécié que le monde, la matière, la chair, le corps : il n’y a plus pour elles que cela de vrai ; et les âmes sont impuissantes à rompre ces liens qui les retiennent par la puissance et volonté de Dieu ». Col. 1240 B. Sur la connaissance intellectuelle, cf. col. 1179 A.

Cette position n’est point, comme on l’a dit, gnostique et fataliste, moins encore est-elle manichéenne, parce que « si l’intelligence est en éveil contre ce qui la trompe…, elle gardera facilement son pouvoir et arrivera à la connaissance ». Col. 1240 D ; cf. col. 1184 B, 1024 C, 1240 A. Si « les jours que nous passons dans le monde, sont des jours mauvais, du temps perdu, nous pouvons le racheter par le travail et la patience », Ad Ephes., v, 16, col. 1286. « Si l’on peut parler de dualisme, si duo sint : la lumière et les ténèbres, la vérité et la fausseté, le bien et le mal, non ila ut ex aequo sint : neque enim fas est aliquid Deo vel per contrarium comparari. » Ad Ephes., ii, 2, col. 1253 C.

5. L’ordre surnaturel.

« Les animaux ont été faits in animam vivant, mais pour Adam, Dieu a soufflé, dit la Genèse, ii, 7, sur son visage, entendez ici sur