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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/76

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TRINITÉ. SYSTÉMATISATION AUGUSTINIENNE

Grégoire de Nazianze put bientôt se faire le héraut de l’union retrouvée. Les deux discours sur la paix sont des chefs-d’œuvre d’éloquence. Plus tard, dans son discours d’adieu à l’Église de Constantinople, le Nazianzène met le point final aux controverses stériles sur l’hypostase et la personne :

« Le « un », dit-il, nous le reconnaissons dans l’ousie et

dans l’inséparabilité de l’adoration. Les trois, nous les confessons dans les hypostases ou les personnes, comme certains préfèrent dire. Car il faut en finir avec cette ridicule querelle, élevée entre frères, comme si notre religion consistait dans les mots et non dans les choses. En effet, que prétendez-vous dire, vous partisans des trois hypostases ? est-ce que vous employez ce mot pour supposer trois ousies ? J’en suis sûr, vous réclameriez à grands cris contre ceux qui penseraient ainsi, car vous professez une et identique l’ousie des trois. Et vous, maintenant, avec vos personnes ? est-ce que vous vous figurez le un comme je ne sais quel composé, comme un homme à trois faces ? Allons donc. A votre tour, vous répondriez à grands cris : « Jamais ne voie « la face de Dieu celui qui aurait de telles pensées ! » Eh bien alors, que signifient pour nous les hypostases et pour vous les personnes ? je vous le demanderai encore une fois. Cela veut dire que les trois sont distingués non par les natures, mais parles propriétés. Parfaitement ! Mais, dites-moi donc : peut-on s’accorder davantage, dire plus absolument la même chose, bien qu’avec des syllabes différentes. » Orat., xlii, 16, P. G., t. xxxvi, col. 477.

On ne saurait mieux dire. Comment ne pas voir cependant que le travail théologique n’est pas achevé, aussi longtemps que les termes indispensables à l’expression du dogme ne sont pas définis dans un sens rigoureux ? Pour le bien de la paix, saint Grégoire de Nazianze peut consentir à employer indifféremment les mots ὑπόστασις et πρόσωπον, bien qu’il préfère manifestement le premier. Il est d’ailleurs nécessaire d’expliquer ce qu’est l’hypostase ; et, sur ce point, les Cappadocicns n’ont pas donné de réponse satisfaisante. Il appartiendra à leurs successeurs d’achever l’élaboration des formules, en apportant ici les dernières clartés.


VII. La systématisation augustinienne.

Les Occidentaux n’ont jamais été regardés, dans l’antiquité, comme des philosophes originaux : tant païens que chrétiens, ils se sont généralement contentés d’adopter les systèmes inventés par les Grecs, pour en tirer surtout des applications pratiques. Il est d’autant plus curieux de constater que, lorsqu’il s’agit du dogme de la Trinité, l’Occident a devancé l’Orient dans les essais de systématisation méthodique. Nous avons déjà rappelé que, vers le milieu du iiie siècle, Novatien a donné le premier traité De Trinitate. Au ve siècle, l’exemple de Novatien fut suivi par saint Augustin, comme il l’avait été au iv « par saint Hilaire.

Les circonstances expliquent en partie ce fait assez curieux. C’est surtout en Orient que les controverses ariennes se sont développées au cours du ivesiècle. Pendant longtemps, l’Occident a vécu sans être atteint par elles ; et, lorsqu’il a été amené à prendre parti, il s’est laissé guider par ceux qui connaissaient le mieux les événements ou qui, du moins, étaient à même de les connaître : de là le rôle capital joué par saint Hilaire.

Tandis qu’en Orient, Il fallait défendre pied à pied les positions orthodoxes, réfuter sans cesse les nouvelles difficultés qu’opposaient les hérétiques, et qu’il était ainsi impossible de composer un traité complet de la Trinité, les Occidentaux jouissaient de plus de liberté d’esprit. Certes, à partir du ve siècle, les circonstances se modifièrent et saint Augustin eut personnellement à défendre l’orthodoxie contre des ariens bien vivants qui vinrent le combattre en Afrique. Jamais pourtant, Jusqu’au triomphe des Barbares convertis à l’arianisme, la situation ne fut aussi grave pour l’Église d’Occident qu’elle l’avait été pour l’Église d’Orient sous les règnes de Constance et de Valens. Saint Augustin profita de la tranquillité que lui laissaient sur ce point les hérétiques. Son De Trinitate, rédigé entre 400 et 416, constitue le monument le plus ample élevé par la théologie patristique latine à la gloire de la Trinité.

I. victorin.

Il faut cependant, avant de parler de ce grand traité, signaler rapidement les écrits antiariens de Victorin, parce qu’ils constituent un essai philosophique des plus curieux et qu’ils ne sont pas sans avoir exercé leur influence sur saint Augustin. Victorin est amené à écrire sur la Trinité pour résoudre les objections qu’un arien, nommé Candidus, lui a adressées. Voir l’art. Victorinus.

D’après Candidus, on ne saurait imaginer en Dieu une génération : elle blesserait son immutabilité parce qu’elle suppose un changement, sa simplicité parce qu’elle comporte une division, une séparation. D’autre part, un Verbe engendré ne saurait être Dieu, puisqu’il est devenu, qu’il a passé du néant à l’être et il n’est pas consubstantiel au Père : Ex quibus apparet quoniam neque consubstanliale est quod générât ur, neque sine conversione generatio a Deo. De générât, divina, 7, P. L., t. viii, col. 1017.

Victorin s’efforce de résoudre ces difficultés ; et, comme elles ont un point de départ rationnel, c’est à la philosophie qu’il fait appel, tout en reconnaissant qu’il est malaisé de bien parler de Dieu, De générât. Verbi divini, 27 et 28, ibid., col. 1033, 1034. Il remarque tout d’abord que l’action implique un mouvement : Facere nonne motus est ? Mais il n’est pas vrai que le mouvement implique un changement, une mutalio. Dieu est éternellement en action, en mouvement ; il ne cesse pas d’agir et de se mouvoir : Est enim movere ibi et moveri ipsum quod est esse, simul et ipsum. Adv. Arium, i, 43, col. 1074. Ce mouvement est une création, factio, par rapport aux êtres contingents ; mais, lorsqu’il s’agit du Verbe, il est une génération : génération éternelle comme le mouvement dont elle est le terme. Le Verbe a été l’instrument de la création ; il a donc préexisté à toute créature. De générât. Verbi divini, 29, 30, col. 1034, 1035.

Il est vrai que Victorin laisse échapper ici ou là quelques expressions défectueuses. Il dit par exemple que le Père est plus ancien, que le Fils est plus jeune ; ou encore que Dieu a créé le Verbe, Ado. Arium, i, 20, col. 1053. Ce sont là des formules qu’il ne faut pas prendre à la lettre. Nombreux sont les Pères qui ont parlé de cette manière. Il déclare trop clairement que le Verbe est consubstantiel au Père pour qu’on puisse prendre le change sur sa véritable pensée : ὁμοούσιον ergo et Filius et Pater, et semper ita, et ex seterno et in œlernum. Adv. Arium, i, 34, col. 1067. Le Père et le Fils sont quelque chose d’un et de simple : Unum ergo et simplex ista duo. De generat. Verbi divini, 22, col. 1031.

Victorin précise d’ailleurs ses idées. Le Fils, déclare-t-il, est le terme de la volonté du Père, ou plutôt sa volonté en acte : Pater ergo cujus est volunlas, Filius autem voluntas est, et voluntas ipse est λόγος. Toute volonté est enfant : le λόγος est donc Fils : Omnis enim voluntas progenies est… λόγος ergo Filius. Et, comme Dieu atteint tout par une volonté unique, il n’y a qu’un seul Fils. Ce Fils unique, procédant par la volonté, est non a necessitate naturee sed voluntate magnitudinis Dei, ce qui ne veut pas dire, comme le prétendaient les ariens, que Dieu aurait pu ne pas l’engendrer, mais que sa génération a pour principe la volonté. Adv. Arium, i, 31, col. 1064.

De même que le Fils est la volonté actuée du Père, il est aussi le terme de sa connaissance, ou plutôt l’image par laquelle le Père se connaît lui-même : Est autem lumini et spiritui imago… Filius ergo in Patre